Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 9 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. et Mme I... et O... C... J... demandent au Conseil d'État :
1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite du 7 juin 2021 par laquelle le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, a rejeté leur demande tendant à l'abrogation du paragraphe n° 40 des commentaires administratifs publiés le 19 novembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-50-10-40, et d'enjoindre au ministre d'y procéder, sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard à compter de la date fixée par la décision à intervenir ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir le même paragraphe ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 ;
- la décision n° 2010-88 QPC du 21 janvier 2011 du Conseil constitutionnel ;
- la décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011 du Conseil constitutionnel ;
- la décision n° 435634 du 13 mars 2020 du Conseil d'État statuant au contentieux ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Gariazzo, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa du 2 du VII de l'article 167 bis du code général des impôts applicable aux transferts du domicile fiscal hors de France intervenus à compter du 3 mars 2011, dans sa version issue de l'article 48 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2013 : " À l'expiration d'un délai de huit ans suivant le transfert de domicile fiscal hors de France ou lorsque le contribuable transfère de nouveau son domicile fiscal en France si cet événement est antérieur, l'impôt établi dans les conditions du I du présent article, à l'exception de l'impôt afférent aux créances mentionnées au second alinéa du 1 du même I, est dégrevé d'office, ou restitué s'il avait fait l'objet d'un paiement immédiat lors du transfert de domicile fiscal hors de France, lorsque les titres mentionnés au même 1 ou les titres reçus lors d'une opération d'échange entrant dans le champ d'application de l'article 150-0 B intervenue après le transfert de domicile fiscal hors de France demeurent, à cette date, dans le patrimoine du contribuable ". Aux termes du dixième alinéa du I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, qui institue notamment une contribution sociale sur les plus-values et les créances mentionnées au I et au II de l'article 167 bis du code général des impôts, dans sa version issue du même article 48 de la première loi de finances rectificative pour 2011, applicable à la date de publication des commentaires en litige : " Il n'est pas fait application à la contribution du dégrèvement ou de la restitution prévus à l'expiration d'un délai de huit ans au 2 du VII de l'article 167 bis du code général des impôts et du dégrèvement prévu au premier alinéa du 4 du VIII du même article ". Cette disposition est applicable, par renvoi, aux autres prélèvements sociaux auxquels les plus-values et créances mentionnées au I et au II de l'article 167 bis du code général des impôts sont par ailleurs soumises.
2. M. et Mme C... J..., qui ont transféré leur domicile fiscal hors de France le 4 juin 2012 et déclaré à cette occasion, conformément à l'article 167 bis du code général des impôts, des plus-values latentes grevant leur patrimoine, demandent, à titre principal, l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicitement opposé par le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, à leur demande tendant à l'abrogation du paragraphe n° 40 des commentaires administratifs publiés le 19 novembre 2012 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-50-10-40, par lesquels l'administration fiscale a fait connaître son interprétation des dispositions précitées des articles 167 bis du code général des impôts et L. 136-6 du code de la sécurité sociale. À titre subsidiaire, ils demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce paragraphe.
3. Le paragraphe n° 10 des commentaires en litige énonce que " L'impôt sur le revenu afférent à l'ensemble des plus-values latentes constatées lors du transfert du domicile fiscal hors de France est dégrevé d'office ou restitué à l'expiration d'un délai de huit ans suivant ce transfert, lorsque les titres demeurent dans le patrimoine du contribuable au terme de ce délai (...) ". Le paragraphe n° 40 des mêmes commentaires énonce que " En revanche, les prélèvements sociaux restent dus. Dans le cas où le contribuable a bénéficié du sursis de paiement lors du transfert de son domicile fiscal hors de France, il continue à bénéficier de ce sursis pour les seuls prélèvements sociaux jusqu'à la réalisation d'un des événements mentionnés au BOI-RPPM-PVBMI-50-10-30 au III-D § 370 (...) ".
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
5. M. et Mme C... J... soutiennent que les dispositions de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale citées au point 1 ci-dessus méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce que, d'une part, elles instituent à l'encontre des contribuables ayant transféré leur domicile fiscal hors de France une présomption irréfragable de fraude et que, d'autre part, elles créent entre impôts et entre contribuables placés dans une situation comparable une différence de traitement qui n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi par le législateur.
6. L'article 48 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, dont sont issues les dispositions contestées, a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011. Les requérants soutiennent toutefois que deux changements de circonstances justifient que la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution lui soit transmise.
7. Ils se prévalent, en premier lieu, d'une évolution de jurisprudence du Conseil constitutionnel en vertu de laquelle le législateur ne peut instituer des présomptions irréfragables de fraude pesant sur les contribuables, notamment ceux transférant leur domicile fiscal hors de France. Une telle argumentation ne peut cependant qu'être écartée dès lors qu'en tout état de cause, le Conseil constitutionnel a rendu des décisions en ce sens antérieurement à celle du 28 juillet 2011, notamment sa décision n° 2010-88 QPC du 28 janvier 2011.
8. Ne saurait, en second lieu, davantage constituer un changement de circonstances susceptible de justifier un nouvel examen par le Conseil constitutionnel des dispositions contestées la modification que le législateur leur a apportée par l'article 42 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013.
9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 font obstacle à ce que la question prioritaire de constitutionnalité soit transmise au Conseil constitutionnel.
Sur le recours pour excès de pouvoir :
10. M. et Mme C... J... soulèvent à l'encontre des commentaires administratifs qu'ils attaquent, comme à l'encontre de la décision implicite du ministre refusant de les abroger, un unique moyen tiré de ce que leurs énonciations réitèrent des dispositions législatives non conformes à la Constitution. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 ci-dessus qu'un tel moyen n'est pas fondé.
11. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, M. et Mme C... J... ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre a refusé d'abroger les commentaires administratifs qu'ils attaquent. Leurs conclusions à fin d'injonction doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
12. Il en va de même, pour les mêmes motifs, des conclusions tendant à l'annulation des mêmes commentaires, lesquelles sont par ailleurs tardives et, par suite, irrecevables dès lors qu'elles ont été enregistrées après l'expiration du délai imparti par la décision n° 435634 du 13 mars 2020 du Conseil d'Etat statuant au contentieux pour former un recours pour excès de pouvoir contre des commentaires administratifs par lesquels l'autorité compétente prescrit l'interprétation de la loi fiscale, lorsque ceux-ci ont, comme en l'espèce, été insérés au BOFiP-impôts et mis en ligne sur un site internet accessible depuis l'adresse www.impots.gouv.fr entre le 10 septembre 2012 et le 31 décembre 2018.
13. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme C... J....
Article 2 : La requête de M. et Mme Dubois de Belair est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme I... et O... C... J... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. H... M..., M. E... L..., M. I... G..., M. B... N..., Mme K... A..., M. Jonathan Bosredon, conseillers d'Etat et M. Olivier Gariazzo, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 10 décembre 2021.
Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Gariazzo
La secrétaire :
Signé : Mme D... F...