Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune d'Aubière (Puy-de-Dôme). Par un jugement n° 2001090 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa protestation.
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 24 février, 18 mai 2021 et 12 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 28 juin 2020 dans la commune d'Aubière ;
3°) de mettre à la charge de de M. C... D... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Barbat, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 décembre 2021, présentée pour M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue du second tour de scrutin des élections municipales qui s'est déroulé le 28 juin 2020 à Aubière (Puy-de-Dôme), la liste conduite par M. C... D..., " Ensemble pour vivre bien à Aubière ", a recueilli 1524 voix, soit 47,57 % des suffrages exprimés, tandis que celle de M. A... B..., " Un avenir à partager Aubière, ville durable et solidaire ", a obtenu 1519 voix, soit 47,41 % des suffrages. M. A... B... fait appel du jugement du 26 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa protestation tendant à l'annulation de ces opérations électorales.
Sur le déroulement de la campagne électorale :
2. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral : " Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. ".
3. Il résulte de l'instruction qu'à compter d'avril 2020 et pendant un mois, M. D... a participé à la distribution d'une centaine de visières de protection contre le virus de la covid-19 aux commerçants de la ville d'Aubière et que, par un message publié sur le réseau social Facebook le 30 mai 2020, il indiquait avoir mis en place un partenariat avec l'école d'ingénieurs Sigma Clermont, située sur le territoire de la commune, affirmant qu'il souhaitait poursuivre ce type d'échanges à l'avenir. En dépit de la communication mise en œuvre par M. D... autour de cette distribution, qui revêtait une tonalité politique et laissait penser aux électeurs qu'il était à l'origine de cette action solidaire, il résulte de l'instruction que les visières ne lui étaient pas destinées personnellement, qu'elles avaient été fabriquées bénévolement par l'établissement d'enseignement supérieur à destination de plusieurs communes, à charge pour leurs services de les distribuer aux populations concernées et que les élus de la majorité municipale ont également communiqué à propos de cette initiative. Les visières de protection ne constituent dès lors pas un don d'une personne morale à la campagne d'un candidat.
4. Si le requérant allègue que deux actions menées par des colistiers de M. D..., à savoir la distribution de six cents masques aux écoliers de la ville, et le don par le club de football de viennoiseries au personnel et aux résidents de l'EHPAD d'Aubière ont constitué des dons en nature prohibés à la campagne du candidat, il résulte de l'instruction que les masques, fabriqués bénévolement par des habitants, n'ont pas été distribués dans le cadre de la campagne, et que la distribution des viennoiseries résultait de l'initiative du club, sans que son président ait tenu à cette occasion des propos relevant de la polémique électorale. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance de l'article L.52-8 du code électoral doit être écarté.
5. En deuxième lieu, l'article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales garantit le droit d'expression des élus de l'opposition dans le bulletin d'information de la commune, droit dont M. D... a fait usage en sa qualité de conseiller municipal d'opposition, en publiant une tribune en novembre 2019, laquelle ne peut dès lors être assimilée au financement par la commune de la campagne d'un candidat. Par suite, ce grief doit être écarté.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 48-2 du code électoral : " Il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ".
7. Il résulte de l'instruction qu'un tract a été diffusé par la liste de M. D... dans la journée du vendredi 26 juin 2020, dernier jour de la campagne électorale, sous la forme d'un " journal de campagne " qui contenait, entre autres, des articles relatifs au repas des aînés et à l'organisation de la rentrée scolaire. Dès lors que la suppression du repas des aînés faisait l'objet de débats dès l'année 2015, il ne s'agit pas d'un élément nouveau de polémique électorale. En ce qui concerne la rentrée scolaire à l'issue du confinement, quand bien même il s'agirait d'un élément nouveau, le requérant ne démontre pas qu'il était dans l'impossibilité de répondre en temps utile au passage en cause, qui ne comportait que quelques lignes et n'excédait pas les limites de la polémique électorale.
8. Il résulte également de l'instruction que le " journal de campagne " diffusé le 26 juin 2020 contenait un bilan critique des finances communales pour la période comprise entre 2008 et 2018, durant laquelle M. B... était adjoint aux finances, dont l'auteure, colistière de M. D..., faisait état de sa qualité d'inspectrice des finances publiques. La situation financière de la commune ayant constitué un thème récurrent de la campagne, l'article litigieux ne peut être considéré comme apportant des éléments nouveaux de polémique électorale. En outre, la mention par l'auteure de cet article, dont le propos n'était ni mensonger ni diffamatoire, de sa fonction d'inspectrice des finances publiques, alors que cette dernière n'est pas employée par la collectivité dans laquelle se déroule la campagne, ne saurait être regardée comme une manœuvre de nature à faire pression sur les électeurs. Le grief tiré de la violation de l'article L.48-2 du code électoral doit donc être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 49 du code électoral : " A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de : / 1° Distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. / 2° Diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale (...) ".
10. Il résulte de l'instruction, et notamment du constat d'huissier réalisé le 30 juin 2020 à la demande de M. B..., que deux colistiers de M. D... ont publié le matin du scrutin sur le réseau social Facebook, l'un l'affiche de campagne du candidat et l'autre les remerciements que ce dernier avait publiés sur le réseau la veille du scrutin. Eu égard à l'absence de tout élément nouveau, les contenus publiés, par ailleurs peu consultés, consistant en une mise en ligne d'une affiche déjà connue du public et un partage d'un message déjà posté avant l'expiration du délai imparti pour la campagne électorale, ne constituent pas une méconnaissance de l'article L. 49 du code électoral.
Sur le déroulement du scrutin :
11. En premier lieu, aux termes de l'article R. 60 du code électoral : " Les électeurs des communes de 1000 habitants et plus doivent présenter au président du bureau, au moment du vote, en même temps que leur carte électorale ou l'attestation d'inscription en tenant lieu, un titre d'identité ".
12. Il résulte de l'instruction que si le requérant produit des attestations d'électeurs indiquant que l'identité des électeurs n'a pas fait l'objet de contrôles systématiques dans le bureau de vote n° 6, il n'établit pas que des électeurs admis à voter n'auraient pas été régulièrement inscrits sur les listes électorales ou qu'ils auraient voté sous une fausse identité. Au demeurant, il résulte de l'instruction qu'aucune mention relative à la méconnaissance de l'article R. 60 n'a été portée au procès-verbal des opérations électorales. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 71 du code électoral : " Tout électeur peut, sur sa demande, exercer son droit de vote par procuration. ". Le grief tiré de l'irrégularité de votes par procuration n'est recevable que s'il est assorti, dans le délai de saisine du juge de l'élection et en l'absence d'éléments de nature à démontrer l'existence d'un dysfonctionnement systémique, de précisions suffisantes tenant à l'identité des électeurs et aux bureaux de votes concernés. Il résulte de l'instruction que si des difficultés ont été constatées dans l'acheminement d'un certain nombre de procurations vers les communes d'Aubière, de Chamalières et de Beaumont, les services postaux ne connaissaient pas de perturbation de grande ampleur liée à la crise sanitaire et les services de la commune d'Aubière ont mis en œuvre des procédures destinées à permettre le vote des mandants concernés, suivant des consignes émises par la préfecture, de sorte que sur dix-sept procurations arrivées le lendemain du jour du scrutin, treize votes ont pu être valablement exprimés. Il s'ensuit que le requérant, qui n'établit pas l'existence d'un dysfonctionnement systémique, n'est recevable à contester que les irrégularités relatives aux procurations pour lesquelles il indique l'identité des électeurs concernés dans le délai de recours contentieux, à savoir trois d'entre elles.
14. Eu égard à l'impossibilité pour le juge de l'élection de présumer le sens des suffrages qui n'ont pas pu s'exprimer, il appartient à celui-ci, pour apprécier l'influence de cette anomalie sur les résultats du scrutin, de placer les candidats dont l'élection est contestée dans la situation la plus défavorable, et d'ajouter les suffrages qui n'ont pas pu être émis à ceux obtenus par les candidats battus. L'adjonction de trois voix au bénéfice de la liste conduite par M. B..., conduisant à 1522 suffrages, contre 1524 pour la liste élue, ne modifie pas le résultat de l'élection. Dès lors, la circonstance que trois procurations sont parvenues tardivement en mairie et ont privé trois mandants de l'expression de leur suffrage est sans incidence sur l'issue du scrutin. Le grief doit donc être écarté.
Sur les opérations de dépouillement :
15. En premier lieu, il résulte de l'instruction que si le requérant soutient que des erreurs de comptage se seraient produites dans le bureau de vote n° 1 et que le maire sortant aurait refusé un recomptage des voix, les deux attestations de scrutateurs qu'il produit sont contredites par deux attestations produites par M. D.... En l'absence de production des procès-verbaux du bureau concerné et du bureau centralisateur, le grief n'est pas suffisamment établi et ne peut, par suite, qu'être écarté.
16. En second lieu, si M. B... fait valoir qu'une différence entre le nombre de bulletins trouvés dans l'urne du bureau de vote n° 5, qui s'élevait à 599, et le nombre de 598 signatures relevées sur la liste d'émargement constitue une irrégularité de nature à altérer la sincérité du scrutin, ce grief n'a pas été soulevé dans le délai de recours contentieux et est dès lors irrecevable.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa protestation tendant à l'annulation des opérations électorales qui se sont tenues le 28 juin 2020 dans la commune d'Aubière.
Sur les conclusions au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée par M. D... et ses colistiers sur ce fondement.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et M. Philippe Barbat, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 30 décembre 2021.
Le Président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Philippe Barbat
La secrétaire :
Signé : Mme E... F...