Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 456556, par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 septembre et 4 novembre 2021 et le 16 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de la directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé rejetant sa demande du 5 juillet 2021 tendant à l'abrogation de l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants en tant qu'il inscrit le cannabis et sa résine sur cette liste ;
2°) d'enjoindre au ministre chargé de la santé et au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'abroger l'arrêté du 22 février 1990 en tant qu'il inscrit le cannabis et sa résine sur la liste des substances stupéfiantes et de classer le cannabis et sa résine sur la liste I visée au 4° de l'article L. 5132-1 du code de la santé publique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 468073, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 octobre et 29 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association National Organisation for the Reform of Marijuana Laws France (NORML France) demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de la directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé rejetant sa demande, reçue le 11 août 2022, tendant à l'abrogation de l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants en tant qu'il inscrit le cannabis et sa résine sur cette liste ;
2°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit qu'il soit procédé à une expertise ayant pour objet d'évaluer et comparer les risques de dépendance et les effets nocifs pour la santé induits par le cannabis, la prégabaline, le clonazepam, le tramadol et le tianeptine ;
3°) d'enjoindre au ministre chargé de la santé ou au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, d'abroger l'arrêté du 22 février 1990 en tant qu'il inscrit le cannabis et sa résine sur la liste des substances classées comme stupéfiants ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 ;
- la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1230 du 7 octobre 2020 ;
- la décision n° 2021-967/973 QPC du 11 février 2022 ;
- la décision du 20 octobre 2022 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces des dossiers que M. A..., d'une part, et l'association National Organisation for the Reform of Marijuana Laws France (NORML France), d'autre part, ont demandé à la directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, par un courrier, respectivement, du 5 juillet 2021 et du 9 août 2022, d'abroger l'arrêté du 22 février 1990 du ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale en tant qu'il inscrit le cannabis et sa résine sur la liste des substances stupéfiantes. M. A... et l'association NORML France demandent chacun l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite opposé à leur demande. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour statuer par une seule décision.
Sur l'intervention :
2. L'association Groupe de recherche et d'études cliniques sur les cannabinoïdes, qui a notamment pour objet de promouvoir les applications thérapeutiques du cannabis, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête présentée par M. A... tendant à l'annulation du refus d'abroger l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants en tant qu'il inscrit le cannabis et sa résine comme substances stupéfiantes. Son intervention est ainsi recevable.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association NORML France :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
4. Les dispositions des articles 222-34, 222-35, 222-36, 222-37 et 222-39 du code pénal et L. 3421-1 du code de la santé publique définissent le régime pénal, respectivement, du trafic de stupéfiants et de l'usage illicite de stupéfiants. Le dernier alinéa de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique prévoit que, s'agissant du délit d'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiant, l'action publique peut être éteinte, dans les conditions prévues aux articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale, par le versement d'une amende forfaitaire. Le deuxième alinéa de l'article 495-17 du code de procédure pénale précise les hypothèses dans lesquelles la procédure de l'amende forfaitaire n'est pas applicable. La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ces dispositions est sans incidence sur la légalité du refus d'abroger l'arrêté du 22 février 1990 en tant qu'il classe le cannabis sur la liste des substances stupéfiantes. Elles ne sont, par conséquent, pas applicables au présent litige.
5. Par suite, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré par l'association National Organisation for the Reform of Marijuana Laws France de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.
6. Enfin, si, dans son mémoire enregistré le 29 novembre 2022, l'association NORML France déclare " s'approprier " l'ensemble des écritures et observations produites sous le n° 456556 par M. A..., elle ne saurait en tout état de cause être regardée comme ayant ainsi entendu demander au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de dispositions législatives sur lesquelles ne portent pas la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par mémoire distinct.
Sur les autres moyens soulevés :
7. En premier lieu, l'effet utile du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si, à la date à laquelle il statue, l'acte réglementaire est devenu illégal en raison d'un changement de circonstances, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger pour contraindre l'autorité compétente de procéder à son abrogation. S'agissant des règles relatives à la détermination de l'autorité compétente pour édicter un acte réglementaire, leur changement ne saurait avoir pour effet de rendre illégal un acte qui avait été pris par une autorité qui avait compétence pour ce faire à la date de son édiction.
8. Les dispositions du code de la santé publique en vigueur à la date d'édiction de l'arrêté litigieux, notamment ses articles L. 627 et R. 5172 et suivants, donnaient compétence au ministre chargé de la santé pour établir, ainsi qu'il l'a fait par l'arrêté du 22 février 1990, la liste des substances classées comme stupéfiants. Contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance que le législateur ait, par l'article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, autorisé l'expérimentation de l'usage médical du cannabis et renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de définir les conditions de mise en œuvre de cette expérimentation n'a ni pour objet ni pour effet de remettre en cause le classement du cannabis et de sa résine sur la liste des substances stupéfiantes et ne saurait, en tout état de cause, rendre illégal pour incompétence l'arrêté du 22 février 1990. Il en est de même de la circonstance que la commission des stupéfiants des Nations Unies ait décidé en 2020 de supprimer le cannabis et sa résine du tableau IV de la convention unique sur les stupéfiants de 1961, celui-ci demeurant en tout état de cause inscrit en tant que stupéfiant au tableau I.
9. En deuxième lieu, saisi le 8 décembre 2021 par le Conseil d'Etat de la question, posée par M. A..., de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2021-967/973 QPC du 11 février 2022, déclaré conforme à la Constitution les mots " par décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé " figurant à cet article, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique. Il suit de là que M. A... n'est pas fondé à se prévaloir de l'inconstitutionnalité de ces dispositions de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique pour demander l'annulation du refus d'abroger l'arrêté du 22 février 1990 qu'il attaque.
10. En troisième lieu, les produits utilisés dans le cadre de l'expérimentation relative à l'usage médical du cannabis sont soumis au régime des médicaments stupéfiants prévu aux articles R. 5132-27 à R. 5132-38 du code de la santé publique en vertu du II de l'article 1er du décret du 7 octobre 2020 relatif à l'expérimentation de l'usage médical du cannabis. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que l'arrêté du 22 février 1990 serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation en tant qu'il inscrit le cannabis à usage thérapeutique sur la liste des stupéfiants.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de procéder à une expertise ayant pour objet, comme le demande l'association requérante, d'évaluer et comparer les risques de dépendance et les effets nocifs pour la santé induits par le cannabis et par certains médicaments inscrits sur la liste I définie à l'article L. 5132-6 du code de la santé publique, que M. A..., d'une part, et l'association National Organisation for the Reform of Marijuana Laws France, d'autre part, ne sont en tout état de cause pas fondés à demander l'annulation des refus d'abroger l'arrêté du 22 février 1990 en tant qu'il classe le cannabis et sa résine comme stupéfiants. Leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Groupe de recherche et d'études cliniques sur les cannabinoïdes au soutien de la requête n° 456556 est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association National Organisation for the Reform of Marijuana Laws France.
Article 3 : Les requêtes de M. A... et de l'association National Organisation for the Reform of Marijuana Laws France sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à l'association National Organisation for the Reform of Marijuana Laws France et à l'association Groupe de recherche et d'études cliniques sur les cannabinoïdes.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre, au ministre de la santé et de la prévention et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 décembre 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.
Rendu le 12 décembre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
La rapporteure :
Signé : Mme Manon Chonavel
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber