Vu la procédure suivante :
La société Soval a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la décharge des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012 à hauteur de 85 483 euros. Par un jugement n° 1701089 du 11 octobre 2018, le tribunal administratif de Caen a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 19NT00558 du 5 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Nantes, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé ce jugement et remis les suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à la charge de la société Soval pour un montant de total de 85 483 euros.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 janvier et 6 avril 2021 et le 10 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Soval demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Juliana Nahra, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Soval ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société à responsabilité limitée (SARL) Soval a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les années 2011 et 2012. A l'issue de ce contrôle, le vérificateur a réintégré dans la base d'imposition à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises le montant des plus-values réalisées par la société lors de la cession d'immeubles. Par un jugement du 11 octobre 2018, le tribunal administratif de Caen a fait droit à la demande de la société tendant à la décharge des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui en ont résulté. Sur appel du ministre chargé des comptes publics, la cour administrative d'appel de Nantes a, par un arrêt du 5 novembre 2020, annulé ce jugement et remis les suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à la charge de la société Soval pour un montant de total de 85 483 euros. La société se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. Aux termes de l'article 1586 quinquies du code général des impôts : " I. - 1. Sous réserve des 2, 3 et 4, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est déterminée en fonction du chiffre d'affaires réalisé et de la valeur ajoutée produite (...) ". L'article 1586 sexies du même code prévoit que : " I. - Pour la généralité des entreprises, à l'exception des entreprises visées aux II à IV : 1. Le chiffre d'affaires est égal à la somme : (...) - des plus-values de cession d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante ".
3. En premier lieu, pour juger que les gains de cession d'immeubles perçus au cours des exercices vérifiés devaient être regardés comme résultant de l'activité normale et courante de la société Soval, la cour administrative d'appel de Nantes a relevé que son objet social comportant non seulement la location, mais aussi l'achat et la vente d'immeubles, la vente d'immeubles était réputée faire partie de son activité normale et courante, qu'elle avait cédé neuf immeubles en 2011 et onze immeubles en 2012, pour un prix de vente de plus de 4 millions d'euros chaque année, et effectué des cessions pour un montant équivalent en 2009 et 2010, ces cessions présentant ainsi un caractère régulier, que les plus-values en résultant, de l'ordre de deux millions d'euros en 2011 et trois millions d'euros en 2013, représentaient une part significative des profits de la société, dont le résultat d'exploitation s'élevait pour ces années à environ six millions d'euros, et enfin que la société n'apportait aucune précision sur les raisons pour lesquelles elle avait décidé de céder les biens en cause, et en a conclu que la vente d'immeubles faisait partie intégrante de l'activité économique de la société et de son modèle économique.
4. Toutefois, d'une part, la circonstance que l'objet social de la société comportait également l'achat et la vente d'immeubles ne permettait pas de présumer que celle-ci faisait partie de l'activité normale et courante de la société, au sens et pour l'application de l'article 1586 sexies du code général des impôts. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société faisait valoir, sans être sérieusement contredite par l'administration, que ces cessions, dont elle ne contestait pas le caractère régulier, ne portaient que sur une dizaine d'immeubles par an, à rapporter à un parc total d'environ deux cent quatre-vingts immeubles, que ces cessions n'étaient aucunement indispensables à la bonne santé financière de l'entreprise, les produits d'exploitation locatifs se montant à près de quatorze millions d'euros par an et le résultat d'exploitation étant largement bénéficiaire indépendamment des plus-values de cession, et soutenait enfin, sans être davantage contredite par l'administration, que son modèle économique reposait sur la détention durable des immeubles qu'elle mettait en location, leur cession n'étant pas systématiquement dictée par une dépréciation de ces immeubles dans le temps, et ne procédant pas d'une stratégie pré-établie de cessions systématiques ou à bref délai, mais d'arbitrages ponctuels, en fonction de l'état de l'immeuble et de facteurs locaux de commercialité. Au regard de ces éléments, les cessions en cause doivent être regardées comme procédant d'une gestion patrimoniale des actifs de la société ne s'inscrivant pas dans son modèle économique et ne relèvent pas, ainsi, de son activité normale et courante, au sens de l'article 1586 sexies du code général des impôts. Par suite, la société est fondée à soutenir que la cour a commis une erreur de qualification juridique en jugeant que les plus-values correspondantes se rapportaient à son activité normale et courante, et devaient dès lors être incluses dans l'assiette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012.
5. En second lieu, en ne se prononçant pas sur le moyen tiré de ce que les plus-values de cession de titres de participation ne pouvaient être qualifiées de plus-values de cession d'immobilisations corporelles et incorporelles au sens de l'article 1586 sexies du code général des impôts, la cour administratif d'appel de Nantes a insuffisamment motivé son arrêt.
6. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués, que la société Soval est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque dans son ensemble.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Soval, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 5 novembre 2020 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat versera à la société Soval une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Soval et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 novembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Juliana Nahra, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 16 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Juliana Nahra
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin