Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " DIGNITAS - Vivre Dignement - Mourir Dignement " demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation des articles R. 4127-37 à R. 4127-38 du code de la santé publique;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ces dispositions et d'en édicter de nouvelles aux fins de prévoir l'intervention médicale pour garantir " le droit pour chacun de pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité " ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale ;
- le code de la santé publique ;
- les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme le 29 juillet 2002 dans l'affaire Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02 et le 20 janvier 2011 dans l'affaire Haas c. Suisse, n° 31322/07 ;
- la décision n° 465977 du 10 octobre 2022 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée par l'association " DIGNITAS - Vivre Dignement - Mourir Dignement " ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association " DIGNITAS - Vivre Dignement - Mourir Dignement " ;
Considérant ce qui suit :
Sur l'intervention :
1. M. B... et les autres intervenants justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de l'association " DIGNITAS - Vivre Dignement - Mourir Dignement ". Leurs interventions sont, par suite, recevables.
Sur le cadre du litige :
2. D'une part, l'article L. 1110-5 du code de la santé publique garantit à toute personne, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées, ainsi que le droit d'avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. L'article L. 1110-5-1 du même code prévoit que ces actes ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable et qu'ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale, lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en lui dispensant des soins palliatifs. L'article L. 1110-5-2 du même code dispose notamment que : " A la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas subir d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre dans les cas suivants : / 1° Lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ; / 2° Lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable./ Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie (...) ". Enfin, l'article L. 1110-5-3 du même code prévoit notamment que : " Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée. Le médecin met en place l'ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s'ils peuvent avoir comme effet d'abréger la vie. (...) "
3. D'autre part, les articles R. 4127-32 à R. 4127-55 du code de la santé publique fixent, au sein du code de déontologie médicale, les devoirs des médecins envers les patients. L'article R. 4127-37 du code de la santé publique prévoit à ce titre que : " En toutes circonstances, le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l'assister moralement. Il doit s'abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. ". L'article R. 4127-37-1 du même code fait obligation au médecin ayant la charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté de respecter la volonté exprimée par celui-ci dans des directives anticipées, excepté dans les cas qu'il prévoit. L'article R. 4127-37-2 du même code organise les conditions dans lesquelles est prise la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable. Aux termes de l'article R. 4127-37-3 du même code : " I.- A la demande du patient, dans les situations prévues aux 1° et 2° de l'article L. 1110-5-2, il est recouru à une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, à l'issue d'une procédure collégiale, telle que définie au III de l'article R. 4127-37-2, dont l'objet est de vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies (...) ". En vertu de l'article R. 4127-37-4, le médecin doit accompagner la personne selon les principes et dans les conditions énoncées à l'article R. 4127-38 et veiller à ce que l'entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire. Enfin, aux termes de l'article R. 4127-38 du même code : " Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. / Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort. "
4. L'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir du refus du Premier ministre d'abroger les articles R. 4127-37 à R. 4127-38 du code de la santé publique, mentionnés au point 3.
Sur les moyens :
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que ni les dispositions des articles L. 1110-5 à L. 1110-5-3 du code de la santé publique, ni celles des articles R. 4127-37 à R. 4127-38 du code de la santé publique dont l'association requérante conteste le refus d'abrogation n'ont pour objet ou pour effet de reconnaître ou d'organiser l'exercice d'un " droit de chacun à pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité " au moment de son choix et en dehors de toute situation d'obstination déraisonnable ou de fin de vie, tel que revendiqué par cette association. Les articles 2, 8 et 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatifs respectivement au droit à la vie, au droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté de pensée, de conscience et de religion, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment par les arrêts qu'elle a rendus le 29 juillet 2002 dans l'affaire Pretty c. Royaume-Uni, et le 20 janvier 2011 dans l'affaire Haas c. Suisse, visés ci-dessus, n'impliquent pas par eux-mêmes de prévoir l'intervention médicale réclamée par l'association pour l'exercice du droit qu'elle revendique. Par suite, le moyen par lequel l'association requérante soutient que, faute de prévoir et d'organiser une telle intervention médicale, ces dispositions législatives et règlementaires méconnaîtraient ces stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
6. Il résulte de tout ce qui précède que l'association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement " n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent par suite qu'être également rejetées, de même que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de M. B... et autres est admise.
Article 2 : La requête de l'association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement " est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement " et à M. A... B..., représentant unique désigné, pour l'ensemble des intervenants.
Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de la santé et de la prévention.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 novembre 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 29 décembre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Mickaël Lemasson