Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 mars, 13 juin et 25 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... A... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 novembre 2021 par laquelle le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, statuant en formation restreinte, l'a suspendu du droit d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pour une durée de trois ans et a subordonné la reprise de son activité à la justification du respect d'obligations de formation ;
2°) à titre subsidiaire, d'abroger cette décision du 18 novembre 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'agence régionale de santé d'Ile-de-France et du conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Françoise Tomé, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. A... C... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique : " I. - En cas d'insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d'exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée qui peut, s'il y a lieu, être renouvelée. / Le conseil régional ou interrégional est saisi à cet effet soit par le directeur général de l'agence régionale de santé, soit par une délibération du conseil départemental ou du conseil national. Ces saisines ne sont pas susceptibles de recours. / II. - La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional dans les conditions suivantes : / (...) 2° Pour les chirurgiens-dentistes, le rapport est établi par trois chirurgiens-dentistes, le cas échéant, qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l'intéressé, le deuxième par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. Ce dernier est choisi parmi les enseignants, le cas échéant, de la spécialité ; (...) / IV. - Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l'examen des connaissances théoriques et pratiques du praticien. Le rapport d'expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Il indique les insuffisances relevées au cours de l'expertise, leur dangerosité et préconise les moyens de les pallier par une formation théorique et, si nécessaire, pratique (...) / VI. - Si le conseil régional ou interrégional n'a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l'affaire est portée devant le Conseil national de l'ordre. / VII. - La décision de suspension temporaire du droit d'exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien. / La notification de la décision mentionne que la reprise de l'exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu'il ait au préalable justifié auprès du conseil régional ou interrégional avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision. (...) ".
2. Il ressort des pièces du dossier que le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes a été saisi par le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes de la situation de M. A... B..., chirurgien-dentiste. Par une décision du 19 mai 2021, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, statuant en formation restreinte, a, sur appel de M. A... B..., annulé la décision du conseil régional d'Île-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 4 mars 2021 ayant prononcé la suspension de M. A... B... pour une durée de deux ans et ordonné une nouvelle expertise. Par la décision attaquée du 18 novembre 2021, le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a, en application des dispositions citées au point 1 de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique, suspendu pour insuffisance professionnelle M. A... B... du droit d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de trois ans et subordonné la reprise de son activité au suivi d'une formation de type universitaire théorique et pratique, portant sur la dentisterie générale.
Sur les conclusions à fins d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. En premier lieu, si l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique cité au point 1 prévoit que le rapport des experts doit être déposé dans le délai de six semaines à compter de la saisine de l'instance ordinale compétente, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité. Par suite, M. A... B... n'est pas fondé à soutenir que la procédure a été entachée d'irrégularité au motif que le rapport d'expertise déposé le 4 octobre 2021 a été remis au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes au terme d'un délai plus long que celui qui était imparti aux experts.
4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport d'expertise du 4 octobre 2021, que les trois experts ont interrogé, de manière circonstanciée, M. A... B... sur ses pratiques professionnelles et notamment sur ses méthodes de traçabilité de la stérilisation de son matériel ainsi que sur le système de désinfection et de conservation de ses instruments. Ils ont également pris en compte les premières constatations effectuées dans son cabinet le 26 octobre 2020 par le praticien mandaté par le conseil départemental de Paris de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Le rapport d'expertise constate ainsi, sur la base de l'ensemble des éléments recueillis, que si M. A... B... " possède incontestablement des connaissances livresques mais se référant à des données anciennes ", ses pratiques professionnelles ne sont pas en adéquation avec les règles d'hygiène et d'asepsie actuelles. Dans ces conditions, M. A... B... n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir qu'il a été privé d'une garantie, faute d'avoir pu bénéficier d'une analyse approfondie des conditions d'exercice de son activité professionnelle en raison de l'arrêté du 26 octobre 2020 par lequel le directeur de l'agence régionale de santé d'Île-de-France a prononcé la suspension immédiate de son droit d'exercer.
En ce qui concerne la légalité interne :
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment du dernier rapport d'expertise, que M. A... B... présentait des insuffisances graves dans sa pratique quotidienne de la chirurgie dentaire, en raison de manquements persistants dans l'application de protocoles de gestion du risque infectieux, dont la stérilisation des instruments utilisés pour la réalisation des actes de soins dentaires et chirurgicaux, et méconnaissait les règles professionnelles en matière d'hygiène et d'asepsie. Par suite, et nonobstant la circonstance qu'aucune plainte n'avait antérieurement été déposée à son encontre et qu'il n'aurait pas eu connaissance de la teneur des témoignages adressés aux instances ordinales, en estimant que M. A... B... présentait une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa profession et en prononçant à son encontre une mesure de suspension temporaire du droit d'exercer pendant trois ans avec l'obligation de suivre une formation adaptée de remise à niveau en dentisterie générale, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, dont la décision ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, a fait une exacte application des dispositions de l'article R. 4124-3-5 du code de la santé publique.
6. En second lieu, n'est pas de nature à affecter la légalité de la décision attaquée la circonstance, à la supposer établie, que le protocole de stérilisation qu'il utiliserait et dont il fait état pour la première fois dans le cadre de la présente instance n'ait pas été pris en compte par le collège d'experts.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fins d'annulation présentées par M. A... C... doivent être rejetées.
Sur les autres conclusions :
8. Si, à l'appui de conclusions, présentées à titre subsidiaire, tendant à l'abrogation de la décision attaquée, M. A... C... fait valoir, en produisant des photographies, qu'il a procédé à des aménagements dans son cabinet et indique qu'il a suivi une formation en ligne intitulée " optimisez la chaîne de stérilisation " et qu'en 2021, il a assisté à des conférences organisées par l'association universitaire d'odontologie Garancière et au congrès international de l'association dentaire française, il ne résulte pas de ces éléments un changement des circonstances de fait de nature à établir l'illégalité, à la date de la présente décision, de la mesure de suspension le frappant pour une durée de trois ans, ni, par suite, à ce qu'il soit fait droit à de telles conclusions. Ces dernières ne peuvent donc qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M. A... C.... Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A... B... la somme que demande le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. D... A... B... et au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.