Vu la procédure suivante :
La Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information (SOMUPI) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 29 juillet 2019 par laquelle la Ville de Paris a refusé de lui communiquer le rapport d'analyse des offres présentées pour l'attribution d'une concession de services relative à la conception, la fabrication, la pose, l'entretien, la maintenance et l'exploitation de mobiliers urbains publicitaires, occulté des mentions portant atteinte au secret des affaires, les courriers échangés entre la Ville de Paris et la société Clear Channel France au cours de la phase de négociation des offres et les documents mentionnés par le premier adjoint à la maire de Paris au cours de la séance du conseil de Paris du 1er avril 2019.
Par un jugement n° 1921041/6-2 du 12 avril 2022, le tribunal administratif de Paris a fait droit à ses demandes.
1° Sous le n° 465171, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 juin 2022 et 10 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les demandes de la SOMUPI ;
3°) de mettre à la charge de la SOMUPI la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 465174, par une requête enregistrée le 21 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :
1°) de prononcer, en application de l'article R. 821-5 du code de justice administrative, le sursis à exécution du même jugement ;
2°) de mettre à la charge de la SOMUPI une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information et de la société JC Decaux France ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi n° 465171 et la requête n° 465174 présentés par la Ville de Paris, qui tendent à l'annulation et au sursis à exécution du même jugement, présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Par une délibération du 1er avril 2019, le conseil de Paris a attribué à la société Clear Channel France une concession de services relative à la conception, la fabrication, la pose, l'entretien, la maintenance et l'exploitation de mobiliers urbains d'information à caractère général ou local supportant de la publicité. La société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information (SOMUPI), qui s'était portée candidate pour l'attribution de la concession, a, par un courrier du 22 mai 2019, sollicité la communication des documents relatifs à l'offre de l'attributaire et à la passation du contrat. À la suite du refus implicite né le 22 juin 2019 du silence de la Ville de Paris, la société requérante a saisi la commission d'accès aux documents administratifs par deux courriers enregistrés les 5 juillet et 12 octobre 2019. Par un courrier du 29 juillet 2019, la Ville de Paris a transmis plusieurs documents à la SOMUPI. La SOMUPI a demandé au tribunal administratif de Paris, dans le dernier état de ses écritures, l'annulation de cette décision en tant qu'elle refuse de lui communiquer les documents mentionnés par le premier adjoint à la maire de Paris au cours de la séance du conseil de Paris du 1er avril 2019, les courriers échangés entre la Ville de Paris et la société Clear Channel France au cours de la phase de négociation des offres ainsi que le rapport d'analyse des offres occulté dans la seule mesure du respect du secret des affaires. Par un jugement du 12 avril 2022, le tribunal a fait droit à ces demandes. La Ville de Paris se pourvoit en cassation contre ce jugement et en demande le sursis à exécution.
3. Aux termes de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs (...) quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ". Aux termes de l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte (...) au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la communication des documents mentionnés par le premier adjoint à la maire de Paris le 1er avril 2019 :
4. En premier lieu, pour annuler le refus de la Ville de Paris de communiquer les documents mentionnés par le premier adjoint à la maire de Paris au cours de la séance du conseil de Paris du 1er avril 2019, le tribunal a relevé que la SOMUPI avait pu légitimement estimer, au vu des déclarations de cet adjoint, qu'il existait d'autres documents relatifs à la garantie bancaire de la société attributaire que la seule note des services municipaux déjà produite par la collectivité, qui ne faisait ressortir aucun élément propre à éclairer la réalité du montant de cette garantie bancaire. Par suite, les moyens tirés de ce qu'il aurait entaché sa décision d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit en ne se prononçant pas de façon certaine sur l'existence des documents sollicités par la SOMUPI doivent être écartés.
5. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, les moyens tirés de ce que le jugement attaqué est entaché de contradiction entre ses motifs et son dispositif et d'erreur de droit en n'assortissant pas l'injonction qui a été faite à la Ville de Paris de communiquer les documents mentionnés par le premier adjoint le 1er avril 2019 de la réserve tenant à ce qu'elle puisse justifier que celui-ci se serait exprimé de manière imprécise, doivent également être écartés.
6. En dernier lieu, en jugeant de manière surabondante que la note des services municipaux produite par la Ville de Paris ne faisait ressortir aucun élément propre à éclairer la réalité du montant de la garantie alléguée par la société attributaire, le tribunal n'a, en tout état de cause, entaché son jugement d'aucune dénaturation.
En ce qui concerne la communication des échanges entre la Ville de Paris et la société attributaire pendant la phase de négociation :
7. Les contrats de commande publique et les documents qui s'y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des documents administratifs au sens de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration. Saisis d'un recours relatif à la communication de tels documents, il revient aux juges du fond d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions de l'article L. 311-6 du même code. Les documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation d'un contrat de la commande publique, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l'article L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables.
8. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le tribunal administratif a entaché son jugement d'erreur de qualification juridique en considérant que les pièces et courriers échangés entre la Ville de Paris et la société Clear Channel pendant la phase de négociation devaient être regardés comme, en principe, communicables à la SOMUPI, alors même qu'il mentionne la réserve du respect du secret des affaires.
En ce qui concerne la communication d'une version moins occultée du rapport d'analyse des offres :
9. En premier lieu, il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal a considéré, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, que les éléments du rapport d'analyse des offres relatifs " aux engagements financiers globaux " de la société attributaire et " à la nature générale des prestations proposées " présentaient un caractère communicable au regard des dispositions du code des relations entre le public et l'administration, sans se borner à constater, contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, que les éléments équivalents relatifs à l'offre de la SOMUPI n'avaient pas été occultés dans la version du rapport adressée à cette société. Par suite, le jugement attaqué n'est entaché sur ce point ni d'insuffisance de motivation ni d'erreur de droit.
10. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, parmi les mentions occultées par la Ville de Paris dans le rapport d'analyse des offres communiqué à la SOMUPI, figurent des éléments relatifs aux engagements pris par la société attributaire à l'égard du pouvoir adjudicateur en termes de quantité et de qualité des prestations, qui, dès lors que, comme l'a relevé le tribunal administratif, ils ne mentionnent ni les prix unitaires, ni les caractéristiques précises de ces prestations, ne révèlent pas en eux-mêmes des procédés de fabrication ou la stratégie commerciale de l'entreprise et sont, par suite, communicables. Il en va notamment ainsi des éléments relatifs aux modèles de mobilier envisagés, à leur dimensionnement, à leur qualité, incluant la nature des équipements numériques proposés, à leur esthétique, à leur évolutivité ainsi qu'à leur nombre et au calendrier de leur déploiement. Par suite, le tribunal n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en considérant que le rapport d'analyse des offres communiqué à la SOMUPI avait fait l'objet d'occultations excessives.
11. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que la Ville de Paris est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué, d'une part, en tant qu'il a annulé sa décision du 29 juillet 2019 en tant qu'elle a refusé de communiquer à la SOMUPI les courriers échangés entre elle et la société Clear Channel pendant la phase de négociation des offres et, d'autre part, en tant qu'il lui a enjoint de communiquer ces documents à la SOMUPI.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur les conclusions de première instance de la SOMUPI :
13. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d'une décision de refus de communication de documents administratifs sur le fondement des dispositions des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.
14. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la SOMUPI n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 29 juillet 2019 de la Ville de Paris en tant qu'elle lui a refusé la communication des courriers échangés entre elle et la société Clear Channel pendant la phase de négociation des offres.
Sur la requête à fin de sursis à exécution :
15. La présente décision statuant sur le pourvoi tendant à l'annulation du jugement attaqué, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est devenue sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 12 avril 2022 est annulé, d'une part, en tant qu'il a annulé la décision du 29 juillet 2019 de la Ville de Paris en tant que celle-ci a refusé à la SOMUPI la communication des courriers échangés entre elle et la société Clear Channel pendant la phase de négociation des offres et, d'autre part, en tant qu'il a enjoint à la Ville de Paris de communiquer ces documents à la SOMUPI.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SOMUPI devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de la décision du 29 juillet 2019 en tant que la Ville de Paris lui a refusé la communication des courriers échangés entre elle et la société Clear Channel pendant la phase de négociation des offres sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la Ville de Paris est rejeté.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution présentées par la Ville de Paris.
Article 5 : Les conclusions présentées par la SOMUPI au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris et à la SOMUPI.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 février 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszeski, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Isabelle Lemesle, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat et Mme Christelle Thomas, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 15 mars 2023.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Christelle Thomas
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana