Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, à titre principal, la suspension, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de l'exécution de la décision implicite par laquelle le maire de La Croix-Valmer a refusé de retirer l'arrêté du 20 octobre 2020 par lequel il a délivré un permis de construire modificatif à la société civile immobilière La Pinède, ainsi que cet arrêté et, à titre subsidiaire, la suspension, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de l'exécution de cette décision ainsi que de cet arrêté en tant qu'ils autorisent cette société à utiliser pour la sortie des véhicules de dix-huit employés la voie en impasse desservant la villa La Balandrane. Par une ordonnance n° 2103314 du 17 décembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 décembre 2021 et 14 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de La Croix-Valmer et de la société La Pinède la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- le code de l'urbanisme, notamment son article L. 600-3 ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat de Mme A... et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société La Pinède ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulon que, par une décision implicite, le maire de La Croix-Valmer a refusé de retirer le permis de construire modificatif qu'il avait délivré le 20 octobre 2020 à la société La Pinède. Par une ordonnance du 17 décembre 2021, le juge des référés de ce tribunal administratif a rejeté la demande, fondée sur l'article L. 521-1 du code de justice administrative, présentée par Mme A..., tendant à la suspension de l'exécution de cette décision implicite ainsi que de ce permis de construire. Mme A... se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. La construction d'un bâtiment autorisée par un permis de construire présente un caractère difficilement réversible. Par suite, lorsque la suspension de l'exécution d'un permis de construire est demandée sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la condition d'urgence est en principe satisfaite, ainsi que le prévoit l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme. Il ne peut en aller autrement que dans le cas où le pétitionnaire ou l'autorité qui a délivré le permis justifie de circonstances particulières. Il appartient alors au juge des référés, pour apprécier si la condition d'urgence est remplie, de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.
4. Pour rejeter la demande de suspension, présentée par Mme A... sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, faute que la condition d'urgence soit satisfaite, le juge des référés du tribunal administratif, devant lequel la requérante avait fait valoir qu'une grue venait d'être installée sur le chantier et que les travaux avaient commencé, s'est fondé, d'une part, sur son absence de diligence pour le saisir, compte tenu du délai de plusieurs mois s'étant écoulé depuis l'enregistrement de son recours pour excès de pouvoir contre la décision implicite rejetant sa demande de retrait du permis de construire et contre ce permis, d'autre part, sur la circonstance que l'atteinte qu'elle invoquait était très peu susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation et de jouissance de son bien. L'un et l'autre de ces deux motifs sont entachés d'erreur de droit, dès lors que le premier n'est pas de nature à renverser la présomption d'urgence prévue par l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme et que le second, en faisant peser sur le requérant la charge d'établir l'urgence à suspendre l'exécution du permis litigieux, procède d'une erreur sur la charge de la preuve en cette matière où l'urgence est présumée à défaut de circonstances particulières dont justifie le pétitionnaire ou l'autorité qui a délivré le permis.
5. Il résulte de ce qui précède que la requérante est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande en référé de Mme A... en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
8. Les deux premiers alinéas ajoutés à l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme par l'article 80 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique disposent que : " Un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d'aménager ou de démolir ne peut être assorti d'une requête en référé suspension que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. / La condition d'urgence prévue à l'article L. 521 1 du code de justice administrative est présumée satisfaite ". Selon l'article R. 600-5 du même code : " Par dérogation à l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l'application de l'article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d'une requête relative à une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le présent code, ou d'une demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense (...) ".
9. Les parties ont été informées de ce que la décision du Conseil d'Etat était susceptible d'être fondée sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que dans l'éventualité d'un règlement de l'affaire après cassation au titre de la procédure de référé, la requête en référé suspension de Mme A... était susceptible d'être rejetée comme irrecevable en application des dispositions de l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme dès lors qu'à la date à laquelle elle a été présentée, le délai de deux mois au terme duquel intervient la cristallisation des moyens, qui avait commencé à courir le 13 juillet 2021, date de la communication aux parties du premier mémoire produit par l'un des défendeurs à l'instance devant le juge pour excès de pouvoir, était expiré. Mme A... soutient que ces dispositions législatives méconnaissent les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont il résulte qu'il ne doit pas être porté d'atteinte substantielle au droit des personnes intéressées à exercer un recours effectif devant une juridiction, et qu'elles privent de garanties légales, ce faisant, la protection constitutionnelle du droit de propriété résultant de l'article 2 de la Déclaration, qui implique que les atteintes portées à ce droit soient justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.
10. Les dispositions contestées se bornent, sans affecter la substance du droit au recours, à enserrer dans des délais particuliers la possibilité d'assortir une requête en annulation pour excès de pouvoir dirigée contre certaines autorisations d'urbanisme d'une demande de suspension de l'exécution de ces autorisations. Le législateur, qui a par ailleurs prévu que la condition d'urgence est présumée satisfaite, sans pour autant qu'il ait entendu que cette présomption présente un caractère irréfragable, a ainsi entendu éviter que ne soit ralentie de façon excessive la réalisation du projet autorisé, notamment par l'introduction tardive de conclusions aux fins de suspension. Si, en application de ces dispositions, l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens a pour effet de rendre irrecevable l'introduction de telles conclusions, il appartient au pouvoir règlementaire, compétent pour fixer ce délai, de prévoir un délai clair, précis et suffisant pour garantir l'exercice effectif du recours en référé-suspension. Dans ces conditions, et alors même que dans le cadre de la procédure juridictionnelle aucune information spécifique sur l'existence de ce délai et les conséquences de son dépassement n'est exigée à l'égard des parties au litige, la fixation d'une telle règle relevant au demeurant du pouvoir réglementaire, les dispositions législatives en cause ne peuvent être regardées comme portant atteinte au droit au recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ni, par suite, comme privant pour ce motif de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété résultant de l'article 2 de cette Déclaration et comme lui portant, à ce titre, une atteinte qui ne serait pas justifiée par un motif d'intérêt général et proportionnée à l'objectif poursuivi.
11. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.
12. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.
Sur la demande en référé :
13. Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme que l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés dans le cadre du recours au fond dirigé contre un permis de construire a pour effet de rendre irrecevable l'introduction d'une demande en référé tendant à la suspension de l'exécution de ce permis.
14. Il résulte en outre des dispositions de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme, citées au point 8, que la cristallisation des moyens qu'elles prévoient intervient à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense produit dans l'instance par l'un quelconque des défendeurs.
15. Il ressort en l'espèce de la chronologie de la procédure dans l'instance au fond engagée par Mme A... le 13 avril 2021 et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire délivré à la société La Pinède que le délai de deux mois au terme duquel intervient la cristallisation des moyens a commencé de courir le 13 juillet 2021, date de la communication aux parties du premier mémoire produit par l'un des défendeurs à cette instance, en l'occurrence celui de la société La Pinède. Par suite, à la date à laquelle Mme A... a présenté sa demande en référé, le 9 décembre 2021, le délai fixé pour la cristallisation des moyens était expiré. Dans ces conditions, la demande en référé tendant à la suspension de la décision implicite par laquelle le maire de La Croix-Valmer a refusé de retirer le permis de construire modificatif qu'il avait délivré à la société La Pinède, ainsi que de ce permis, était, à la date à laquelle elle a été introduite, irrecevable en vertu des dispositions de l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme. Cette demande ne peut, par suite, qu'être rejetée.
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros à verser à la société La Pinède au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font, en revanche, obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par Mme A... au titre du même article.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 17 décembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A....
Article 3 : La demande de Mme A... devant le juge des référés du tribunal administratif de Toulon et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 4 : Mme A... versera à la société La Pinède une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., à la société civile immobilière La Pinède, à la commune de La Croix-Valmer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 mars 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 14 avril 2023.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Eric Buge
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber