Vu la procédure suivante :
Mme D... C..., M. A... E... et M. B... E... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, de condamner l'association syndicale autorisée du Hameau de la Jonchère à leur verser une somme de 900 000 euros avec intérêts et capitalisation en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait des refus successifs illégaux de l'assemblée générale de l'association d'autoriser la division de leur parcelle, et, d'autre part, d'enjoindre à cette association de leur délivrer l'autorisation de division de la propriété conformément à leur dernière demande. Par un jugement n° 1606675 du 21 juin 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 19VE03035 du 16 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par Mme C... et autres contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février, 11 mai et 13 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. E... et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles ;
3°) de mettre à la charge de l'association syndicale autorisée du Hameau de la Jonchère une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 ;
- le décret n° 2006-504 du 3 mai 2006 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. E... et autres et à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de l'association syndicale autorisée du Hameau de la Jonchère ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que MM. E... et Mme C... sont nus-propriétaires indivis d'un terrain situé au sein du hameau de la Jonchère, à Rueil-Malmaison. L'association syndicale autorisée (ASA) du Hameau de la Jonchère a refusé à plusieurs reprises de les autoriser à diviser leur terrain. Ils ont alors demandé à cette ASA de les indemniser des préjudices qui auraient résulté de ces décisions successives. Leur demande a été rejetée. Ils ont alors saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tendant à ce que soit mise à la charge de l'ASA du Hameau de la Jonchère, en réparation de leurs préjudices, une somme de 900 000 euros. Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 16 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté leur appel dirigé contre le jugement du 21 juin 2019 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant leur demande.
2. En premier lieu, en regardant comme éventuels la perte de bénéfice et le manque à gagner allégués, le pourvoi a nécessairement écarté les chefs de préjudice liés à l'impossibilité de placer les bénéfices escomptés de la division ainsi que le préjudice résultant de l'immobilisation du terrain en raison de l'obstacle à la vente. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, l'arrêt attaqué n'est pas insuffisamment motivé.
3. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel, après avoir relevé que les requérants produisaient les offres reçues, a apprécié la probabilité que les projets de cession aboutissent en relevant que les offres étaient insuffisamment avancées et, pour la plus avancée, conclue sous condition suspensive d'obtention d'un permis de construire alors que le lot se trouve dans un espace boisé classé. Elle n'a pas commis d'erreur de droit en déduisant de ces constations, résultant d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les requérants ne faisaient pas état de circonstances particulières permettant de regarder le préjudice découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de division comme présentant un caractère direct et certain et non un caractère éventuel. Contrairement à ce qui est soutenu, elle n'a pas jugé qu'un espace boisé classé faisait obstacle en principe à la délivrance de toute autorisation de construire et elle n'était pas tenue d'évaluer la probabilité que le permis de construire, objet de la condition suspensive de la promesse de vente, aurait pu être obtenu dans l'hypothèse où l'autorisation de diviser aurait été délivrée.
4. En troisième lieu, pour écarter la réparation du préjudice moral allégué, la cour a jugé qu'il n'était pas établi que si le conseil syndical de l'ASA s'était valablement prononcé, il aurait délivré une autorisation, compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont il dispose. La cour administrative d'appel n'a ni commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié ou dénaturé les faits qui lui étaient soumis en écartant ainsi tout lien de causalité direct et certain.
5. En dernier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné. / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
6. Lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée à son destinataire ou portée à la connaissance du tiers qui se prévaut de cette illégalité.
7. Pour juger que la créance née du refus opposé par l'assemblée générale de l'ASA le 7 juin 2010 dont se prévalent les consorts C... et E... étaient prescrites, les juges du fond ont estimé que les requérants devaient être réputés avoir eu connaissance de leur créance, née du refus opposé par l'assemblée générale du 7 juin 2010, au plus tard à la date de l'assemblée générale à laquelle participait Mme C.... Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en faisant courir la prescription pour le refus opposé en 2010 à compter de la date à laquelle les requérants ont pu avoir connaissance de la décision litigieuse, fait générateur de la créance alléguée, et non de la date à laquelle leur a été notifiée cette décision, dont ils étaient les destinataires, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède que les consorts C... et E... sont seulement fondés à demander l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il statue sur la créance indemnitaire liée au refus opposé en 2010.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans la seule mesure de la cassation prononcée.
10. Il résulte de l'instruction que l'assemble générale de l'ASA du Hameau de la Jonchère n'avait pas compétence pour opposer un refus à la demande des requérants de diviser leur terrain. Une telle illégalité ne peut cependant donner lieu à réparation que s'il est justifié de circonstances particulières permettant de faire regarder le préjudice invoqué comme présentant un caractère direct et certain. Or, ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 4, les préjudices que les requérants invoquent au titre des refus successifs opposés à la même demande de division du terrain qu'ils possèdent en vue de la réalisation d'une opération immobilière ne sont qu'éventuels en l'absence de toute circonstance particulière. Il en va de même du refus opposé en 2010, la situation étant identique à celle des années suivantes.
11. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à se plaindre que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande relative à la créance née du refus opposé en 2010 par l'ASA du Hameau de la Jonchère.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 16 décembre 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il statue sur la créance indemnitaire liée au refus opposé le 7 juin 2010.
Article 2 : Les conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Versailles par M. E... et autres tendant à l'annulation du jugement du 21 juin 2019 en tant qu'il statue sur la créance indemnitaire liée au refus opposé le 7 juin 2010 sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... E..., représentant unique désigné, pour l'ensemble des requérants et à l'association syndicale autorisée du Hameau de la Jonchère.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 mai 2023 où siégeaient : M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 2 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Damien Botteghi
Le rapporteur :
Signé : M. Sébastien Jeannard
Le secrétaire :
Signé : M. Mickaël Lemasson