Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 31 octobre 2014 par lequel le préfet du Loiret a accordé à l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Ferme des Carneaux l'autorisation d'exploiter 118,57 hectares de surfaces agricoles. Par un jugement n° 1403298, 1404880 du 28 avril 2016, le tribunal administratif a annulé cet arrêté.
Par un arrêt n° 16NT01951 du 8 juin 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de l'EARL Ferme des Carneaux, annulé ce jugement et rejeté les conclusions de M. C... aux fins d'annulation de l'arrêté du 31 octobre 2014.
Par une décision n° 422400 du 28 septembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur pourvoi de M. C..., annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel.
Par un arrêt n° 20NT03082 du 21 mai 2021, la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé le jugement du 28 avril 2016 en tant qu'il annule l'arrêté du 31 octobre 2014 du préfet du Loiret et rejeté les conclusions de M. C... aux fins d'annulation de cet arrêté.
Procédure devant le Conseil d'Etat :
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 juillet et 12 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'EARL Ferme des Carneaux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'EARL Ferme des Carneaux la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, notamment son article 93 (IX) ;
- le décret n° 2015-713 du 22 juin 2015, notamment son article 4 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. C... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'EARL Ferme des Carneaux.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêté du 12 février 2003, le préfet du Loiret a autorisé l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Ferme des Carneaux à exploiter des terres d'une surface de 238,78 hectares précédemment mises en valeur sous forme de SCEA par M. B..., leur propriétaire. Ayant signé un bail rural avec celui-ci, l'EARL Ferme des Carneaux a débuté la mise en valeur de ces terres en juin 2003. Toutefois, par un arrêt du 30 décembre 2005, la cour administrative d'appel de Nantes, saisie par M. C... qui avait également demandé et obtenu l'autorisation d'exploiter une partie de ces terres, a annulé, pour un vice de procédure, l'autorisation du 12 février 2003. Le préfet du Loiret a statué à nouveau sur les deux demandes le 22 mai 2006, et accordé à l'EARL Ferme des Carneaux une nouvelle autorisation d'exploiter 238,78 hectares et, concurremment, à M. C..., l'autorisation d'exploiter 119,58 hectares. L'autorisation accordée à l'EARL ayant été à nouveau annulée pour un motif de forme par le juge administratif à la demande de M. C..., le préfet a pris une nouvelle décision d'autorisation le 7 novembre 2007. Par un arrêt du 5 novembre 2013, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé cette nouvelle autorisation, en tant seulement qu'elle portait sur les terres pour lesquelles M. C... disposait également d'une autorisation. Après l'avoir invitée à compléter sa demande, le préfet du Loiret a, par un arrêté du 31 octobre 2014, autorisé l'EARL Ferme des Carneaux à exploiter les 118,57 hectares provenant de l'exploitation de M. B... pour lesquelles M. C... disposait d'une autorisation concurrente, portant la surface totale que l'EARL est autorisée à exploiter à 238,78 hectares.
2. M. C... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, sur renvoi du Conseil d'Etat, d'une part, annulé le jugement du 28 avril 2016 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du 31 octobre 2014 et, d'autre part, rejeté ses conclusions de première instance tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le pourvoi :
3. Selon l'article D. 343-4 du code rural et de la pêche maritime dans sa version applicable au litige, pour pouvoir bénéficier des " aides à l'installation des jeunes agriculteurs ", " le jeune agriculteur doit répondre aux conditions générales suivantes : 1° Ne pas avoir atteint l'âge de quarante ans à la date de son installation (...) ". Aux termes de l'article 3 du schéma directeur départemental des structures agricoles du Loiret du 4 novembre 2013 en vigueur à la date de la décision attaquée : " Lorsque le bien objet de la demande porte sur une superficie supérieure à 0.4 UR, les autorisations d'exploiter sont accordées selon l'ordre de priorités suivant : / - installation à titre principal d'un jeune agriculteur qui répond aux conditions d'accès aux aides à l'installation, qu'elles soient demandées ou non (...) / - autres installations / - autres confortations ".
4. Pour annuler le jugement qui lui était déféré et rejeter la demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 31 octobre 2014, la cour administrative d'appel a jugé que la demande présentée par l'EARL Ferme des Carneaux, structure créée par Messieurs A... et D... E..., à laquelle le préfet du Loiret a répondu favorablement par cet arrêté, devait être regardée comme tendant à l'installation à titre principal de jeunes agriculteurs au sens des dispositions de l'article 3 du schéma directeur départemental des structures agricoles du Loiret, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis et qu'il était expressément soutenu par M. C... que MM. E..., alors âgés respectivement de cinquante et cinquante-quatre ans, ne pouvaient être regardés à la date de cette autorisation comme de jeunes agriculteurs s'installant. En ne répondant pas à cette argumentation qui n'était pas inopérante, la cour a insuffisamment motivé son arrêt. M. C... est par suite fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.
Sur la requête d'appel de l'EARL " Ferme des Carneaux " :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
6. En premier lieu, le jugement attaqué comporte, dans ses visas, une analyse suffisante des moyens présentés en défense par l'EARL Ferme des Carneaux et satisfait aux exigences de l'article R. 741-2 du code de justice administrative.
7. En second lieu, le tribunal administratif a annulé l'autorisation accordée à l'EARL Ferme des Carneaux pour deux motifs, dont l'un tiré de ce que le préfet du Loiret a commis une erreur d'appréciation en s'estimant saisi d'une demande d'installation bénéficiant du même rang de priorité que celle de M. C..., alors qu'il s'agissait, selon le tribunal, d'une demande d'agrandissement. En censurant ainsi l'erreur de qualification juridique des faits commise selon lui par le préfet après avoir refusé de faire droit à une substitution de motifs demandée en défense par l'EARL, le tribunal a suffisamment motivé sa décision, alors même qu'il n'a pas expressément écarté le moyen tiré de ce que l'autorisation donnée à M. C... serait caduque.
En ce qui concerne la légalité de l'autorisation du 31 octobre 2014 :
8. Lorsqu'une autorisation d'exploiter des terres a fait l'objet d'une annulation par le juge administratif après que l'exploitant a pu les exploiter en vertu de cette autorisation, il appartient à l'autorité préfectorale, à nouveau saisie de la demande présentée par le candidat et des modifications que ce dernier est susceptible d'y apporter, de statuer en considération des éléments de droit et de fait prévalant à la date à laquelle intervient sa nouvelle décision, sans pouvoir tenir compte, quel que soit le motif de l'annulation contentieuse, de l'exploitation effectuée sur la base de l'autorisation annulée. Il en va notamment ainsi dans le cas particulier où la décision préfectorale n'est annulée que pour une partie des terres dont elle autorisait l'exploitation, l'autorité préfectorale, à nouveau saisie de la demande en tant qu'elle porte sur ces terres, n'ayant pas à tenir compte de ce que, le cas échéant, une exploitation a pu légalement débuter sur le reste des terres dont l'exploitation était autorisée.
9. Il résulte de ce qui vient d'être dit que, saisi à nouveau par l'EARL La Ferme des Carneaux à la suite de l'arrêt du 5 novembre 2013 de la cour administrative d'appel de Nantes annulant partiellement l'arrêté du 7 novembre 2007, d'une demande d'autorisation d'exploiter les terres pour lesquelles M. C... bénéficiait d'une autorisation d'exploiter concurrente, le préfet du Loiret ne pouvait tenir compte de ce que l'exploitation avait légalement débuté sur la partie des terres pour laquelle l'autorisation du 7 novembre 2007 n'avait pas été annulée. Par suite, la demande sur laquelle le préfet du Loiret a de nouveau statué le 31 octobre 2014 devait être regardée, au sens et pour l'application des dispositions citées au point 3, comme visant à l'installation de l'EARL Ferme des Carneaux et non, comme l'a jugé le tribunal administratif, à son agrandissement. En conséquence, d'une part, cette demande n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions de l'article R. 331-4 du code rural et de la pêche maritime dans leur rédaction applicable au litige, qui ne prévoyaient une obligation de publicité que pour les seules demandes d'autorisation aux fins d'agrandissement et de réunion d'exploitations et, d'autre part, c'est à tort que le tribunal a considéré que le préfet avait commis une erreur d'appréciation en ne considérant pas cette demande comme une demande d'agrandissement.
10. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ces deux motifs pour annuler l'arrêté du 31 octobre 2014. Il appartient toutefois au juge d'appel, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif et la cour.
11. Il résulte des dispositions des articles L. 331-1 et L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime dans leur rédaction, applicable au litige, antérieure à la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, que le préfet, saisi de demandes concurrentes d'autorisation d'exploiter portant sur les mêmes terres, ou d'une seconde demande lorsqu'une autorisation a déjà été délivrée, doit, pour statuer sur ces demandes, observer l'ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles. S'il peut être conduit à délivrer plusieurs autorisations lorsque plusieurs candidats à la reprise relèvent du même rang de priorité et qu'aucun autre candidat ne relève d'un rang supérieur, il ne peut légalement accorder successivement à deux agriculteurs l'autorisation d'exploiter les mêmes parcelles qu'à la condition que sa seconde décision soit prise au bénéfice d'un agriculteur dont la demande relève, soit du même rang de priorité, soit doive être regardée comme plus prioritaire que la première demande en application des dispositions du schéma directeur départemental des structures agricoles.
12. Pour comparer la situation de l'EARL " Ferme des Carneaux " à celle de M. C..., qui bénéficiait d'une autorisation délivrée le 22 mai 2006 portant sur les mêmes terres et qui, en application de l'article L. 331-4 du code rural et de la pêche maritime, n'était pas périmée en l'absence de départ effectif du preneur en place, le préfet du Loiret a estimé que la demande de l'EARL visait, tout comme celle de M. C..., à l'installation d'un jeune agriculteur susceptible de bénéficier des aides à l'installation. Il résulte des pièces du dossier et de ce qui a été dit aux points 3 et 4 ci-dessus que A... et D... E..., compte-tenu de leur âge, ne pouvaient être regardés comme de jeunes agriculteurs à la date de la décision du préfet. Dans ces conditions, et alors que l'administration, qui seule peut le faire, n'a pas demandé que soit substitué à ce motif erroné un autre motif susceptible de fonder légalement sa décision d'autoriser l'EARL à s'installer sur les terres pour lesquelles M. C... disposait d'une autorisation, ce dernier est fondé à soutenir qu'en s'estimant saisi d'une demande d'installation d'un jeune agriculteur le préfet a commis une erreur de qualification juridique des faits. Ce motif, qu'il y a lieu de substituer aux motifs erronés retenus par le tribunal administratif, est suffisant, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, pour justifier l'annulation de l'arrêté du 31 octobre 2014 en litige.
13. Il résulte de ce qui précède que l'EARL Ferme des Carneaux n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du 31 octobre 2014 du préfet du Loiret.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... devant le Conseil d'Etat et à la charge de l'EARL Ferme des Carneaux une somme de 3 000 euros à verser à M. C... au titre des frais exposés devant le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 mai 2021 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par l'EARL Ferme des Carneaux devant la cour administrative d'appel de Nantes est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : L'EARL Ferme des Carneaux versera à M. C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par l'EARL Ferme des Carneaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A... C..., au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à l'exploitation agricole à responsabilité limitée Ferme des Carneaux.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 mai 2023 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 13 juin 2023.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Sylvie Pellissier
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet