Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juin 2022, 29 septembre 2022 et 18 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Autisme Espoir vers l'école demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 avril 2022 par laquelle le collège de la Haute Autorité de santé a adopté le document intitulé " Troubles du spectre de l'autisme - Évaluation de la méthode 3i " ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 20 décembre 2018 par laquelle la présidente de la Haute Autorité de santé a rejeté sa demande tendant au réexamen de la recommandation de bonne pratique " Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent ", adoptée par cette autorité et par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux en mars 2012, en ce qui concerne la méthode des " 3i " ;
3°) d'enjoindre à la Haute Autorité de santé de recommander la méthode des " 3i " dans un délai de 45 jours, d'abroger la recommandation adoptée en mars 2012, de publier l'arrêt à intervenir sur son site Internet et dans le bulletin officiel santé-protection sociale-solidarité et d'élaborer, en collaboration avec les personnes intéressées, le référentiel méthodologique nécessaire à la conduite d'une évaluation indépendante des méthodes innovantes de prise en charge des troubles du spectre de l'autisme dans un délai qui ne saurait excéder six mois ;
4°) de mettre à la charge de la Haute Autorité de santé la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le décret n° 2013-413 du 21 mai 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'association Autisme Espoir vers l'école ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 juillet 2023, présentée par l'association Autisme Espoir vers l'école ;
Considérant ce qui suit :
1. En application de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale aux termes duquel : " La Haute Autorité de santé (...) est chargée de : (...) / 2° Elaborer (...) les recommandations de bonne pratique, procéder à leur diffusion et contribuer à l'information des professionnels de santé et du public dans ces domaines (...) ", le collège de cette autorité publique indépendante à caractère scientifique a adopté, le 7 mars 2012, une recommandation de bonne pratique intitulée " Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent ", qui mentionne la méthode dite des " 3i ", reposant sur une stimulation individuelle, interactive et intensive de l'enfant, au nombre des " interventions globales non recommandées ".
2. Par une décision du 23 décembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, eu égard notamment aux motifs figurant au point 15 de cette décision, rejeté la requête de l'association Autisme Espoir vers l'école, qui accompagne les familles d'enfants souffrant de troubles autistiques et promeut cette méthode, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 décembre 2018 de la présidente de la Haute Autorité de santé ayant rejeté la demande de l'association tendant au réexamen de la recommandation de bonne pratique du 7 mars 2012 pour que cette méthode ne soit plus mentionnée au nombre des " interventions globales non recommandées " et à ce qu'il soit enjoint à la Haute Autorité de santé de procéder au réexamen de cette recommandation. Il a notamment indiqué, au point 15 de cette décision, que ce refus ne revêtait pas un caractère manifestement erroné au regard des données acquises de la science. Il a précisé qu'il appartenait cependant à la Haute Autorité de santé, eu égard à l'évolution des connaissances et des pratiques dans la prise en charge de l'autisme depuis sa recommandation de 2012 et aux enjeux que comporte cette prise en charge pour les enfants et pour leur famille, de déterminer un cadre et d'élaborer un référentiel méthodologique permettant d'assurer une évaluation indépendante des méthodes telles que celle des " 3i " pour préparer les travaux nécessaires au réexamen de la recommandation de bonne pratique de mars 2012 à bref délai.
3. Par une décision du 28 avril 2022, le collège de la Haute Autorité de santé a adopté un document intitulé " Troubles du spectre de l'autisme - Évaluation de la méthode 3i ". L'association Autisme Espoir vers l'école demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir cette décision. Les conclusions par lesquelles elle demande également, de nouveau, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 décembre 2018 doivent être regardées, eu égard aux conclusions à fin d'injonction dont les conclusions à fin d'annulation sont, dans leur ensemble, assorties, comme tendant, en réalité, aux mêmes fins.
4. En premier lieu, la Haute Autorité de santé a pu, en l'espèce, lorsqu'elle a choisi la procédure d'évaluation lui semblant la plus pertinente, opter, comme elle indique dans sa décision l'avoir fait, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation ni, en tout état de cause, porter atteinte au principe d'égalité, pour la méthode selon laquelle elle élabore habituellement ses recommandations pour la pratique clinique, en l'adaptant à ce cas particulier pour tenir compte de ce qu'elle n'avait jusqu'alors été utilisée que pour une recommandation dans son ensemble et non pour un seul mode de prise en charge, en faisant appel à une recherche systématique de la littérature disponible, à la réunion d'un groupe de travail, à l'audition par ce groupe de travail de représentants de l'association Autisme espoir vers l'école, à la consultation d'un groupe de lecture composé de professionnels et de représentants de patients et d'usagers du système de santé élargis aux représentants des spécialités médicales, professions ou de la société civile non présents dans le groupe de travail, complétée par l'interrogation d'un groupe d'experts internationaux, ainsi qu'à une analyse des commentaires du groupe de lecture et des avis du groupe d'experts internationaux par le groupe de travail, avant la rédaction de la version finale du rapport adoptée par le collège. Elle ne peut être regardée, en tout état de cause, comme ayant porté atteinte à l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du 23 décembre 2020 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, rendue dans les conditions décrites au point 2, ou à l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif que l'évaluation ainsi menée n'aurait pas été précédée de la détermination d'un cadre et de l'élaboration d'un référentiel méthodologique permettant d'assurer une évaluation indépendante.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1452-1 du code de la santé publique : " L'expertise sanitaire répond aux principes d'impartialité, de transparence, de pluralité et du contradictoire ". En vertu de l'article L. 1452-2 du code de la santé publique : " Une charte de l'expertise sanitaire, approuvée par décret en Conseil d'Etat, s'applique aux expertises réalisées dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire à la demande du ministre chargé de la santé ou à la demande des autorités et des organismes mentionnés au I de l'article L. 1451-1. Elle précise les modalités de choix des experts, le processus d'expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, la notion de lien d'intérêts, les cas de conflit d'intérêts, les modalités de gestion d'éventuels conflits et les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts ". En application de ces dispositions, la charte de l'expertise sanitaire a été adoptée par un décret du 21 mai 2013. Elle précise notamment que : " La décision peut s'appuyer, si l'objet de l'expertise le justifie, sur la prise en compte des points de vue des parties prenantes (...) " et que : " Dans toutes les hypothèses (...), l'expertise doit s'appuyer sur : / - la complétude des données ou de l'état des connaissances existant sur la question posée ; / - la confrontation de différentes opinions, thèses ou écoles de pensées ; / - l'expression et l'argumentation d'éventuelles positions divergentes ".
6. D'une part, si l'association requérante fait valoir que l'une des douze membres du groupe de travail sur le projet de rapport d'évaluation, présidente d'une association d'usagers, aurait mis en garde une représentante d'une autre association d'usagers située à l'étranger à propos de la méthode des " 3i ", ce qui entacherait d'irrégularité les travaux ayant abouti à l'adoption de ce document, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressée aurait été mue par un intérêt personnel ou aurait eu un intérêt, au sens de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, aux questions soumises au groupe de travail. Il n'en ressort pas davantage qu'il puisse être déduit de cette mise en garde, d'ailleurs formulée dans le cadre d'échanges privés postérieurs aux travaux du groupe de travail, que la composition de ce dernier aurait été manifestement déséquilibrée du fait de la participation de l'intéressée à ces travaux ou que cette participation ait fait obstacle à ce que ceux-ci soient menés dans le respect du principe d'impartialité qui s'impose à tous les organes administratifs.
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que l'association requérante, qui a été regardée comme une " partie prenante " au sens des dispositions citées au point 6, a été informée par la Haute Autorité de santé de l'engagement de l'évaluation de la méthode des " 3i ", ainsi que de la procédure et du calendrier choisis, qu'elle a proposé deux des représentants de patients et d'usagers retenus comme membres du groupe de lecture et qu'elle a bénéficié d'une audition, ainsi qu'elle l'avait sollicité et selon les modalités qui avaient été convenues. Il en ressort également que les pièces et documents transmis par l'association au cours de la procédure d'évaluation ont été adressés aux membres du groupe de travail, du comité de lecture et du collège et examinés. Elle n'est ainsi pas fondée, alors même qu'elle fait valoir l'implication plus grande à laquelle elle aspirait, à soutenir que l'expertise n'aurait pas pris en compte son point de vue et qu'elle n'aurait pas été mise à même d'exprimer et d'argumenter sa position dans des conditions d'ailleurs conformes à la charte de l'expertise sanitaire, laquelle n'impliquait pas, en particulier, que le projet de rapport du groupe de travail lui soit transmis avant d'être soumis au collège de la Haute Autorité de santé.
8. En troisième lieu, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en décrivant la méthode des " 3i " comme " une méthode française, inspirée du programme américain Son Rise (...) mise en œuvre au domicile de l'enfant" et en indiquant qu'elle " ne prévoit pas de mélange avec d'autres méthodes" et, ainsi, que " la fréquentation de l'école maternelle ou primaire est différée ou suspendue pendant les deux premières phases (qui durent généralement 1 à 2 ans) et les sorties hors de la maison sont considérablement limitées au début " le rapport, qui se réfère par ailleurs au site internet de l'association dont il précise le lien et la date de consultation, serait entaché d'erreurs de fait.
9. D'autre part, si l'association soutient que le rapport serait également entaché d'autres erreurs de fait, s'agissant en particulier de l'absence de fondements théoriques de cette méthode et de données sociologiques sur ses utilisateurs ou sur son coût, de l'absence de prise en compte des intérêts particuliers des enfants et de l'insuffisance de la formation des bénévoles et des psychologues mobilisés, ou encore de ce qu'une information propice à une décision éclairée concernant cette méthode ne pourrait être donnée aux parents en l'absence d'éléments de preuve suffisant, ces éléments relèvent, pour l'essentiel, non de faits sur lesquels le rapport s'appuierait, mais des seuls avis émis par les membres du groupe de lecture et du groupe d'experts internationaux consultés, relatés dans ses annexes.
10. Enfin, si la Haute Autorité de santé, conclut, après avoir relevé " l'insuffisance quantitative et qualitative des études publiées sur les 3i depuis 2012, ce qui contraste avec l'important corpus de données dans la littérature sur d'autres méthodes thérapeutiques recommandée par la Haute Autorité de santé dans le trouble du spectre autistique ", que " les données scientifiques identifiées ne permettent pas de juger ni de conclure à l'efficacité et à la sécurité de la méthode " et estime que " cette méthode soulève des questions par son caractère exclusif et par le fait qu'une information propice à une décision éclairée concernant cette méthode ne peut être donnée aux parents en l'absence d'élément de preuve suffisant ", cette appréciation, qui n'est pas davantage entachée d'erreurs de fait, ne présente pas un caractère manifestement erronée au regard des données actuellement acquises de la science.
11. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Autisme Espoir vers l'école n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions qu'elle attaque. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être également rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Autisme Espoir vers l'école est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Autisme Espoir vers l'école et à la Haute Autorité de santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 juillet 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, présidente de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Pierre Boussaroque, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et M. Sébastien Jeannard, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 20 juillet 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Sébastien Jeannard
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber