Vu la procédure suivante :
M. et Mme B... et A... C... ont demandé la réduction de la cotisation de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2016 à raison d'un appartement situé à Eaubonne (Val-d'Oise). Par un jugement
n° 1700337 du 25 juillet 2019, le tribunal administratif de Cergy-pontoise a rejeté leur demande.
Par une décision nos 434938, 434980 du 30 décembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de M. et Mme C..., a annulé ce jugement et renvoyé l'affaire devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Par un jugement n° 2100615 du 10 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-pontoise a partiellement fait droit à la demande de M. et Mme C....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 août et 7 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise :
- l'a entaché d'irrégularité en omettant de viser un mémoire produit postérieurement à la clôture de l'instruction ainsi que d'analyser et de communiquer un mémoire produit avant la clôture de l'instruction ;
- a commis une double erreur de droit en jugeant que l'administration fiscale avait à bon droit classé l'immeuble litigieux dans la catégorie intermédiaire " 5 M ", sans rechercher à quel local de référence celle-ci avait comparé leur appartement pour en déterminer la valeur locative cadastrale, ni apprécier les caractéristiques de l'immeuble ;
- a commis une erreur de droit et méconnu son office en faisant exclusivement peser sur eux la charge de la preuve de la dévalorisation de leur immeuble et en s'abstenant de recourir à une mesure d'instruction.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet du pourvoi. Il s'en remet à la sagesse du Conseil d'Etat s'agissant du premier moyen et soutient que les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Nissen, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de M. et Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que
M. et Mme C... ont été assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de l'année 2016 à raison d'un appartement situé à Eaubonne (Val-d'Oise). Par une décision du
30 décembre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, d'une part, annulé le jugement du
25 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait rejeté leur demande de réduction de cette imposition et, d'autre part, renvoyé l'affaire devant ce tribunal. Par un jugement du 10 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a partiellement fait droit à leur demande et rejeté le surplus de leurs conclusions. M. et Mme C... se pourvoient en cassation contre ce jugement en tant qu'il leur est défavorable.
2. Aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ". Il résulte de ces dispositions que lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge est saisi d'une production, mémoire ou pièce, émanant de l'une des parties à l'instance, il lui appartient de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision, ainsi que de la viser sans l'analyser.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que
M. et Mme C... ont adressé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise un mémoire, enregistré au greffe de ce tribunal le 26 avril 2022, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, fixée au 29 octobre 2021. Les visas du jugement qu'ils attaquent ne font pas mention de ce mémoire, en méconnaissance de la règle rappelée au point 2 ci-dessus. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi,
M. et Mme C... sont fondés à demander l'annulation de l'article 3 du jugement qu'ils attaquent.
4. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.
5. En premier lieu, aux termes de l'article 1388 du code général des impôts : " La taxe foncière sur les propriétés bâties est établie d'après la valeur locative cadastrale de ces propriétés déterminées conformément aux principes définis par les articles 1494 à 1508 et 1516 à 1518 B (...) ". Selon l'article 1415 du même code, cette taxe est établie " pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition ". Aux termes de l'article 1495 de ce code, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " Chaque propriété ou fraction de propriété est appréciée d'après sa consistance, son affectation, sa situation et son état, à la date de l'évaluation ". Aux termes de son article 1496 : " I. La valeur locative des locaux affectés à l'habitation (...) est déterminée par comparaison avec celle de locaux de référence choisis, dans la commune, pour chaque nature et catégorie de locaux (...) ". Enfin, il résulte des articles 1516 et 1517 du même code que la valeur locative des locaux affectés à l'habitation est appréciée, après constatation annuelle des changements affectant ces propriétés, à la date de référence de la précédente révision générale, c'est-à-dire, à défaut de révision générale plus récente dont la loi aurait prévu la prise en compte des résultats, au 1er janvier 1970.
6. Il résulte de ces dispositions législatives que l'assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle M. et Mme C... ont été assujettis à raison de l'appartement dont ils sont propriétaires est constituée de la valeur locative de cet appartement et que celle-ci doit être évaluée par comparaison avec celle de locaux de référence, déterminée à la date du 1er janvier 1970. Par suite, M. et Mme C... ne peuvent utilement soutenir, en tout état de cause, que le montant de leur cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties serait excessif ou inéquitable, par comparaison avec des cotisations de montants similaires mis à la charge de propriétaires de locaux voisins dont la valeur vénale actuelle serait bien supérieure à celle de leur appartement.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 324 H de l'annexe III au code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " I. Pour les maisons individuelles et les locaux situés dans un immeuble collectif, la classification communale est établie à partir d'une nomenclature type comportant huit catégories, en adaptant aux normes locales de construction les critères généraux mentionnés au tableau ci-après (...) ". Ces critères sont le caractère architectural de l'immeuble, la qualité de la construction, la distribution du local et sa conception générale, l'équipement du local et l'impression d'ensemble donnant le caractère général de l'habitation. L'article 324 J de la même annexe dispose : " Des locaux de référence sont choisis par nature de construction pour illustrer chacune des catégories de la classification communale et servir de termes de comparaison. Le choix porte, pour chaque catégorie sur un ou plusieurs locaux particulièrement représentatifs de la catégorie, comprenant, le cas échéant, des dépendances bâties et non bâties d'importance moyenne par rapport à la généralité des locaux de même nature de la catégorie. / La liste des locaux de référence est inscrite au procès-verbal des opérations de la révision. "
8. Il résulte de l'instruction que la cotisation de taxe foncière à laquelle
M. et Mme C... ont été assujettis au titre de l'année 2016 a été déterminée par comparaison avec le local type n° 35 de la commune d'Eaubonne, situé 7 avenue Mirabeau, relevant de la catégorie 5M du classement des immeubles collectifs de la commune d'Eaubonne et correspondant à un appartement de 4 pièces, d'une surface réelle de 66 mètres carrés, dans un immeuble construit en 1964. Le tableau de classification communale pour la commune d'Eaubonne, qui comprend les catégories 5, 5M et 6 pour les immeubles collectifs, prévoit dans la catégorie 5M une construction d'aspect ordinaire avec des matériaux de qualité ordinaire, présentant généralement des pièces de moyenne dimension, assurant un confort moderne et complet. Par suite, les désordres dont font état les requérants s'agissant, notamment, des changements de syndic de leur immeuble, des problèmes de gestion de l'ensemble immobilier ou de la rotation importante des résidents, ne sont pas de nature à remettre en cause l'évaluation de la valeur locative de leur appartement par comparaison avec le local type n° 35 de la catégorie 5M de la classification communale. Il suit de là que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que le classement de leur immeuble dans cette catégorie serait erroné.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 324 P de l'annexe III au code général des impôts : " La surface pondérée comparative de la partie principale (...) est affectée d'un correctif d'ensemble destiné à tenir compte, d'une part, de l'état d'entretien de la partie principale en cause, d'autre part, de sa situation. Ce correctif est égal à la somme algébrique des coefficients définis aux articles 324 Q et 324 R (...) ".
10. En vertu du barème figurant à l'article 324 Q de l'annexe III au code général des impôts, les coefficients d'entretien de 1,20, 1,10, 1, 0,90 et 0,80 correspondent respectivement à des états " Bon : construction n'ayant besoin d'aucune réparation / Assez bon : construction n'ayant besoin que de petites réparations / Passable : construction présentant, malgré un entretien régulier, des défauts permanents dus à la vétusté, sans que ceux-ci compromettent les conditions élémentaires d'habitabilité / Médiocre : construction ayant besoin de réparations d'une certaine importance, encore que localisées / Mauvais : construction ayant besoin de grosses réparations dans toutes ses parties."
11. Il ressort des motifs du jugement du 10 juin 2022 rendu par le magistrat désigné, qui n'ont pas été contestés sur ce point, que celui-ci a ramené à 1 le coefficient d'entretien retenu pour évaluer la valeur locative de l'appartement de M. et Mme C... au titre de l'année 2016, traduisant, selon le barème mentionné au point précédent, un état d'entretien " Passable ". Il ne résulte pas de l'instruction qu'il y aurait lieu de retenir un coefficient plus faible.
12. En quatrième et dernier lieu, en application de l'article 324 R de l'annexe III au code général des impôts, le coefficient de situation est égal à la somme algébrique de deux coefficients destinés à traduire, le premier, la situation générale dans la commune, le second, l'emplacement particulier du bien immobilier. Ces coefficients peuvent prendre la valeur de 0,10, 0,05, 0, -0,05 ou -0,10, en fonction de l'appréciation de la situation générale ou particulière de l'immeuble : " Situation excellente, offrant des avantages notoires sans inconvénients marquants / Situation bonne, offrant des avantages notoires en partie compensés par certains inconvénients / Situation ordinaire, n'offrant ni avantages ni inconvénients ou dont les uns et les autres se compensent / Situation médiocre, présentant des inconvénients notoires en partie compensés par certains avantages / Situation mauvaise, présentant des inconvénients notoires sans avantages particuliers ".
13. Les requérants doivent être regardés comme contestant le coefficient de situation particulière appliqué à leur immeuble, en invoquant les nombreux incidents survenus dans leur résidence, comme des altercations, " rodéos ", intrusions, agressions, dégradations d'équipements collectifs. Il résulte toutefois de l'instruction que ces incidents ont eu lieu soit très postérieurement au 1er janvier 2016, soit bien antérieurement à cette date. Dès lors, ils ne sont pas de nature à remettre en cause le coefficient de situation particulière appliqué à leur immeuble pour l'établissement de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties due au titre de l'année 2016, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'instruction sur ce point.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le surplus des conclusions de la demande présentée par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, tendant à la réduction, au-delà de celle prononcée aux articles 1er et 2 de son jugement du 10 juin 2022, devenu définitif sur ce point, de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2016, doit être rejetée.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 3 du jugement du 10 juin 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par
M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ainsi que les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B... et A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 juin 2023 où siégeaient :
Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et Mme Cécile Nissen, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 24 juillet 2023.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Nissen
La secrétaire :
Signé : Mme Katia Nunes
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :