Vu la procédure suivante :
La société Orange a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés des 4 septembre 2017 et 27 avril 2018 par lesquels le maire de Sainghin-en-Mélantois (Nord) s'est opposé à sa déclaration préalable de travaux en vue de l'installation d'une antenne-relais de téléphonie mobile sur le territoire communal et la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre le premier de ces arrêtés.
Par un jugement nos 1801029, 1804954 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions et enjoint au maire de Sainghin-en-Mélantois de réexaminer la déclaration préalable de la société Orange dans le délai d'un mois à compter de la notification de son jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par une ordonnance n° 21DA00681, 21DA00682 du 29 avril 2022, le président de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté les appels formés par la commune de Sainghin-en-Mélantois contre ce jugement et fait droit aux conclusions incidentes de la société Orange tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de Sainghin-en-Mélantois de délivrer une décision de non-opposition à la déclaration préalable de travaux de la société Orange dans un délai d'un mois à compter de la notification de son ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 juin 2022, 29 septembre 2022 et 10 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Sainghin-en-Mélantois demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la société Orange la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la commune de Sainghin-en-Mélantois, et à la SCP Marlange de La Burgade, avocat de la société Orange SA ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par deux arrêtés du 4 septembre 2017 et du 27 avril 2018, le second pris après que l'exécution du premier a été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Lille, le maire de Sainghin-en-Mélantois s'est opposé à la déclaration préalable de travaux de la société Orange en vue de l'installation d'une antenne de téléphonie mobile sur le territoire communal. Par un jugement du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé ces deux arrêtés et la décision implicite de rejet du recours gracieux de la société Orange contre le premier, et enjoint au maire de réexaminer la déclaration préalable de la société Orange dans le délai d'un mois à compter de la notification de son jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par une ordonnance du 29 avril 2022, prise en application du dernier alinéa de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, contre laquelle la commune de Sainghin-en-Mélantois se pourvoit en cassation, le président de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté les appels de la commune de Sainghin-en-Mélantois et, faisant droit aux conclusions incidentes de la société Orange, a enjoint au maire de la commune de délivrer une décision de non-opposition à la déclaration de travaux de cette société dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance attaquée, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Sur le pourvoi :
2. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours, ainsi que les autres magistrats ayant le grade de président désignés à cet effet par le président de la cour peuvent (...), par ordonnance, rejeter (...) après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement (...) ".
3. Les dispositions de l'article R. 222-1 rappelées au point précédent n'ouvrent pas aux magistrats qu'elles désignent la faculté, après avoir rejeté une requête d'appel comme manifestement dépourvue de fondement, de faire droit à des conclusions incidentes.
4. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en faisant droit aux conclusions incidentes de la société Orange tendant à ce qu'il soit enjoint au maire de la commune de lui délivrer l'autorisation sollicitée, après avoir rejeté les requêtes d'appel de la commune contre le jugement du tribunal administratif de Lille annulant les décisions du maire de s'opposer aux déclarations préalables de la société Orange comme manifestement mal fondées, le juge d'appel a statué au terme d'une procédure irrégulière.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, la commune de Sainghin-en-Mélantois est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur les appels de la commune :
7. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. "
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet, enclavé, est accessible depuis la route départementale en traversant la parcelle voisine, ce dont ont attesté les propriétaires et exploitants de la parcelle donnée à bail à la société Orange et dont témoigne le recul de la clôture sur cette parcelle, de manière à ménager un accès à la voie publique. La commune de Sainghin-en-Mélantois n'explique pas en quoi l'absence de titre créant une servitude de passage serait de nature à faire regarder l'accès ou la desserte du projet comme de nature à nuire à la sécurité publique et ne fait valoir aucun élément de nature à justifier, au regard des caractéristiques du projet et de celles de la route départementale, qu'elle s'oppose à la déclaration préalable de la société Orange motif pris de la dangerosité de sa desserte ou son accès, en application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
9. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet n'est pas situé dans le périmètre de 100 mètres autour des locaux de stockage de l'installation classée voisine relevant de la rubrique 1172 de la nomenclature, à l'intérieur duquel, en application d'une servitude d'utilité publique créée par arrêté du préfet du Nord du 25 mai 2011, toute nouvelle construction, sauf celles visant à réduire les effets de l'exposition au risque technologique ou en lien avec l'activité de l'établissement à l'origine du risque, est interdite. Le maire n'apporte aucun élément de nature à établir que la situation du projet à proximité de ce site serait de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou de nature à empêcher l'extension de cette installation.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Sainghin-en-Mélantois n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé les arrêtés des 4 septembre 2017 et 27 avril 2018 par lesquels son maire s'est opposé à la déclaration préalable de travaux de la société Orange.
Sur les conclusions incidentes de la société Orange :
11. Lorsque le juge annule un refus d'autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l'article L. 424-3 du code de l'urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à l'autorité compétente de délivrer l'autorisation ou de prendre une décision de non-opposition. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée qui, eu égard aux dispositions de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme, demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date du jugement y fait obstacle.
12. Il ressort des pièces du dossier que le maire de Sainghin-en-Mélantois s'est opposé au projet de la société Orange aux motifs qu'il se situe à proximité d'une installation classée pour la protection de l'environnement classée " Seveso seuil haut " et que sa desserte n'est pas assurée, circonstances de nature à porter atteinte à la sécurité publique, enfin, qu'un projet similaire avait été autorisé à proximité. Aucun de ces motifs n'est de nature à justifier qu'il s'oppose au projet de la société Orange et il ne résulte pas de l'instruction que les dispositions en vigueur à la date de ces décisions ou un changement dans les circonstances de fait feraient désormais obstacle à la réalisation du projet.
13. L'exécution du jugement du tribunal administratif de Lille du 28 janvier 2021, confirmé par la présente décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux implique nécessairement qu'il soit délivré à la société Orange une décision de non-opposition à déclaration préalable. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au maire de la commune de Sainghin-en-Mélantois d'y procéder et, compte tenu des circonstances de l'affaire, de prononcer contre la commune, à défaut pour elle de justifier de l'exécution du jugement attaqué et de la présente décision dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 50 euros par jour jusqu'à la date à laquelle le jugement précité et la présente décision auront reçu exécution.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Orange, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que demande à ce titre la commune de Sainghin-en-Mélantois. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Sainghin-en-Mélantois la somme de 4 500 euros à verser à la société Orange pour l'ensemble de la procédure au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 29 avril 2022 du président de la 1ère chambre de la cour administrative de Douai est annulée.
Article 2 : Les appels de la commune de Sainghin-en-Mélantois sont rejetés.
Article 3 : Il est enjoint à la commune de Sainghin-en-Mélantois de délivrer une décision de non-opposition à la déclaration de la société Orange dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir.
Article 4 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lille du 28 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : La commune de Sainghin-en-Mélantois versera à la société Orange la somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions de commune de Sainghin-en-Mélantois tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Orange au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la commune de Sainghin-en-Mélantois et à la société Orange.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 octobre 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 24 octobre 2023.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Amélie Fort-Besnard
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard