Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mars et 8 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi du fait de la durée excessive de la procédure engagée devant le tribunal administratif de Toulon ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Ghestin, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Guermonprez-Tanner, avocat de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la durée excessive de plusieurs procédures juridictionnelles qu'elle a engagées devant le tribunal administratif de Toulon.
2. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulières à chaque instance, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive.
3. Il résulte de l'instruction que Mme A..., reconnue comme prioritaire pour l'attribution d'un logement social par une décision du 8 novembre 2012 de la commission de médiation du Var, s'est maintenue dans son ancien logement jusqu'au 8 décembre 2015, date à laquelle elle a bénéficié d'un logement social. Pendant cette période, le tribunal d'instance de Toulon a condamné Mme A... à rembourser à son bailleur privé un arriéré locatif de 6 936, 01 euros. Le préfet du Var n'ayant pas accordé le concours de la force publique pour procéder à l'expulsion de Mme A... du logement, l'Etat a indemnisé l'ancien bailleur puis, s'estimant subrogé dans les droits de ce dernier, le directeur départemental des finances publiques du Var a émis à l'encontre de Mme A... plusieurs titres de perception. Le 5 avril 2017, Mme A... a saisi le préfet du Var d'une demande préalable tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser des préjudices causés par la carence de l'administration à exécuter la décision la reconnaissant comme prioritaire pour l'attribution d'un logement social. En l'absence de réponse à sa demande, elle a saisi, le 17 juillet 2017, le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation des titres de perception émis à son encontre et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices précités. Par un jugement du 9 juillet 2019, le tribunal administratif a partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires de Mme A... en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des troubles de toute nature subis dans ses conditions d'existence. Il a, en revanche, rejeté comme relevant d'un litige distinct ses autres conclusions relatives aux titres de perception. Après avoir saisi le 9 octobre 2019 le préfet du Var d'une nouvelle demande d'indemnisation, Mme A... a, le 22 janvier 2020, à nouveau saisi le tribunal administratif de Toulon de conclusions tendant à l'annulation des titres de perception, au remboursement des sommes qu'elle avait déjà versées, ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice subi du fait de cette procédure de recouvrement. Par un jugement du 26 juillet 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de Mme A... comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
4. Mme A..., qui, eu égard aux conclusions de sa requête, ne saurait utilement présenter un moyen tiré de l'irrégularité de la décision rejetant sa demande préalable, demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison de la durée excessive de jugement de ses deux demandes par le tribunal administratif de Toulon. A cet égard, il résulte de l'instruction que les deux instances introduites par Mme A..., dont il y a lieu d'apprécier la durée distinctement, ont respectivement duré deux ans et un peu plus de trois mois, et deux ans et un peu plus de neuf mois. Si la première instance n'a ainsi pas excédé la durée raisonnable de jugement, tel n'est pas le cas de la seconde, alors même qu'elle ne présentait pas de caractère de complexité particulière. Mme A... ayant subi, du fait du délai excessif de jugement de sa seconde demande, des désagréments allant au-delà de ceux provoqués habituellement par un procès, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral en condamnant l'Etat à lui verser une somme de de 1 000 euros. Les conclusions indemnitaires présentées par Mme A... s'agissant de la première demande qu'elle a formée devant le tribunal administratif de Toulon doivent, en revanche, être rejetées.
5. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Ghestin, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à cette société.
D E C I D E :
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Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme A... la somme de 1 000 euros.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros à la SCP Ghestin, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée pour information à la présidente de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives.