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22/03/2024 | FRANCE | N°471339

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 22 mars 2024, 471339


Vu la procédure suivante :



L'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 mai 2022 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Forez, à Montbrison (Loire), a maintenu son refus de lui communiquer le registre de contention et d'isolement et le rapport relatif aux pratiques de contention et d'isolement établis pour l'année 2020 et de lui enjoindre de les lui communiquer, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par un jugemen

t n° 2204263 du 14 décembre 2022, le tribunal administratif a annu...

Vu la procédure suivante :

L'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 mai 2022 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Forez, à Montbrison (Loire), a maintenu son refus de lui communiquer le registre de contention et d'isolement et le rapport relatif aux pratiques de contention et d'isolement établis pour l'année 2020 et de lui enjoindre de les lui communiquer, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par un jugement n° 2204263 du 14 décembre 2022, le tribunal administratif a annulé cette décision et enjoint au centre hospitalier de communiquer à l'association le registre, avec occultation des éléments permettant d'identifier les patients et les soignants, mais sans occultation des identifiants " anonymisés " des patients, ainsi que le rapport, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 février et 11 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier du Forez demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'association CCDH la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat du centre hospitalier du Forez et au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de l'association Commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH) ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 février 2024, présentée par l'association CCDH ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le centre hospitalier du Forez, saisi d'une demande de l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " (CCDH) tendant à la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement pour l'année 2020 et du rapport annuel de la même année rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans cet établissement, lui a d'abord opposé une décision implicite de refus, puis, après un avis favorable à la communication, sous réserve de l'occultation des éléments permettant d'identifier les patients concernés et les professionnels de santé, rendu le 25 novembre 2021 par la Commission d'accès aux documents administratifs, a maintenu son refus par une décision du 23 mai 2022. Le centre hospitalier du Forez se pourvoit en cassation contre le jugement du 14 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon, faisant droit à la demande de l'association, a annulé la décision de son directeur général refusant de communiquer à l'association une copie du registre et du rapport et lui a enjoint de les lui communiquer, avec occultation des éléments du registre permettant d'identifier les patients et les soignants, mais sans occultation des identifiants " anonymisés " des patients.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (...) ; 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".

3. D'autre part, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable en 2020, dispose : " L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. / Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires (...) ". En outre, en application de l'instruction ministérielle du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d'isolement et de contention au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie et désignés par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement, ce registre mentionne également un identifiant du patient concerné.

4. En premier lieu, il ressort des pièces soumises au juge du fond que le centre hospitalier universitaire du Forez a soutenu, dans un mémoire en défense enregistré le 11 août 2022, en invoquant les dispositions du 3° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, que la communication des documents demandés était de nature à lui causer un préjudice important en terme d'image et de réputation, du fait des campagnes de dénigrement de la médecine psychiatrique menées par l'association requérante. En omettant de statuer sur ce moyen et en se bornant à écarter le moyen distinct soulevé par le centre hospitalier tiré du caractère abusif de la demande de l'association CCDH, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement.

5. En second lieu, en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration, les éléments du registre de contention et d'isolement permettant d'identifier les patients doivent être occultés préalablement à sa communication, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée.

6. Dans le cas où l'identité des patients a fait l'objet d'une pseudonymisation, laquelle ne permet l'identification des personnes en cause qu'après recoupement d'informations, il appartient au juge administratif d'apprécier si, eu égard à la sensibilité des informations en cause et aux efforts nécessaires pour identifier les personnes concernées, leur communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. En l'espèce, compte tenu de la nature des informations en cause, qui touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l'objet d'une mesure de contention et d'isolement, facilitant ainsi leur identification, alors au demeurant que les autorités énumérées à la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique peuvent accéder à l'ensemble des informations figurant sur les registres et contrôler l'activité des établissements concernés, l'identifiant dit " anonymisé " figurant dans ces registres, qu'il s'agisse, selon la pratique du centre hospitalier, de " l'identifiant permanent du patient " (IPP) ou d'un identifiant spécialement défini, doit être regardé comme une information dont la communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical. Cet identifiant n'est donc communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le centre hospitalier du Forez est fondé à soutenir que le tribunal administratif de Lyon a entaché sa décision d'erreur de qualification juridique des faits en lui enjoignant de communiquer à l'association requérante le registre demandé sans occultation préalable de l'identifiant " anonymisé " du patient.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que le centre hospitalier du Forez est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association CCDH la somme de 3 000 euros à verser au centre hospitalier du Forez au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 décembre 2022 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Lyon.

Article 3 : L'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme " versera au centre hospitalier du Forez la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier du Forez et à l'association " commission des citoyens pour les droits de l'homme ".

Délibéré à l'issue de la séance du 15 février 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Lisa Gamgani, conseillère d'Etat, et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 22 mars 2024.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 471339
Date de la décision : 22/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mar. 2024, n° 471339
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bruno Delsol
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:471339.20240322
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