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15/04/2024 | FRANCE | N°470475

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 15 avril 2024, 470475


Vu la procédure suivante :



La société anonyme (SA) SNCF Réseau a demandé au tribunal administratif de Melun d'enjoindre à M. B... A... et à tous occupants de son chef de quitter sans délai l'entrepôt et le terrain adjacent qu'il occupe sans droit ni titre sur la parcelle cadastrée AZ n° 107 située sur le Chemin du corps de garde à Chelles (Seine-et-Marne) et de restituer les clés de ce local après l'avoir remis en état, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de son jugement ou, à défaut, de l'autoriser à proc

éder à son expulsion à ses frais, risques et périls avec l'assistance d'un huis...

Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) SNCF Réseau a demandé au tribunal administratif de Melun d'enjoindre à M. B... A... et à tous occupants de son chef de quitter sans délai l'entrepôt et le terrain adjacent qu'il occupe sans droit ni titre sur la parcelle cadastrée AZ n° 107 située sur le Chemin du corps de garde à Chelles (Seine-et-Marne) et de restituer les clés de ce local après l'avoir remis en état, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de son jugement ou, à défaut, de l'autoriser à procéder à son expulsion à ses frais, risques et périls avec l'assistance d'un huissier et au besoin avec le concours de la force publique et de condamner M. A... à lui verser la somme de 380 800 euros en réparation du préjudice subi, augmentée des intérêts de droit.

Par un jugement n° 2000388 du 6 janvier 2022, ce tribunal a enjoint à M. A... et à tous occupants de son chef de libérer sans délai les lieux, de restituer sans délai les clés permettant d'accéder au local en cause et de procéder à leur remise en état, a prononcé à l'encontre de M. A... une astreinte de 50 euros par jour en l'absence de justification de l'exécution du jugement dans le délai d'un mois à compter de sa notification et a condamné M. A... à verser à la société SNCF Réseau, au titre des indemnités d'occupation sans droit ni titre dues pour la période du 1er janvier 2014 à la date du jugement, la somme de 173 275,97 euros avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2020.

Par un arrêt n° 22PA00940 du 15 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. A..., ramené l'indemnité mise à sa charge à 115 982,02 euros avec intérêt au taux légal à compter du 14 janvier 2020, l'a condamné à payer une somme de 350 euros au titre des frais d'huissier de justice exposés par la société SNCF Réseau, a réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 16 janvier, 24 février, 28 septembre, 5 octobre 2023 et 10 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il ne lui donne pas entièrement satisfaction ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de M. A... et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de SNCF Réseau ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société SNCF, devenue la société anonyme (SA) SNCF Réseau, avait conclu avec la société Dépollution Automobile Chelloise un contrat relatif à l'occupation et à la desserte d'un emplacement sur la parcelle cadastrée AZ n° 107 située dans l'emprise de la gare de triage Vaires-Torcy et équipée depuis 1974 d'un dépôt relié à un faisceau de voies ferrées. Cette société avait elle-même autorisé, en 2007, l'entreprise Auto Service Domicile (ASD), dont M. B... A... est l'exploitant, à occuper gratuitement un atelier situé sur ce terrain. Par un procès-verbal du 25 juillet 2019, la société SNCF Réseau a fait constater que M. A... occupait sans droit ni titre, sur cette parcelle, un entrepôt de 158 m2 ainsi qu'un terrain adjacent de 402 m2. Cette société a demandé au tribunal administratif de Melun d'enjoindre à M. A..., ainsi qu'à tous occupants de son chef de quitter les lieux sans délai sous astreinte de 200 euros par jour de retard et de le condamner à lui verser la somme de 380 800 euros en réparation du préjudice subi du fait de cette occupation irrégulière. Par un jugement du 6 janvier 2022, ce tribunal a enjoint à M. A... de libérer sans délai l'entrepôt et le terrain adjacent qu'il occupait et l'a condamné à verser à la société SNCF Réseau, au titre des indemnités d'occupation sans droit ni titre dues pour la période du 1er janvier 2014 à la date du jugement, la somme de 173 275 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 14 janvier 2020. M. A... se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, après avoir ramené l'indemnité mise à sa charge à 115 982,02 euros et réformé ce jugement en ce qu'il avait de contraire, a rejeté le surplus des conclusions de son appel.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la demande de réparation du préjudice résultant de l'occupation sans titre du domaine public durant l'année 2014 :

Sur le cadre juridique applicable :

En ce qui concerne les règles de prescription applicables aux redevances d'occupation du domaine public :

2. Aux termes de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les produits et redevances du domaine public ou privé d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 se prescrivent par cinq ans, quel que soit leur mode de fixation. / Cette prescription commence à courir à compter de la date à laquelle les produits et redevances sont devenus exigibles ". Aux termes de l'article L. 2125-4 du même code : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public par le bénéficiaire d'une autorisation est payable d'avance et annuellement ". Il résulte de ces dispositions que les redevances d'occupation du domaine public deviennent exigibles au début de chaque période annuelle et qu'elles se prescrivent par une durée de cinq ans à compter de cette date.

En ce qui concerne les règles de prescription applicables aux indemnités d'occupation sans titre du domaine public :

3. Aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous (...) ". L'occupation sans droit ni titre d'une dépendance du domaine public constitue une faute commise par l'occupant et qui l'oblige à réparer le dommage causé au gestionnaire de ce domaine par cette occupation irrégulière. L'autorité gestionnaire du domaine public est fondée à réclamer à l'occupant sans droit ni titre de ce domaine, au titre de la période d'occupation irrégulière, une indemnité compensant les revenus qu'elle aurait pu percevoir d'un occupant régulier pendant cette période. Cette indemnité devient exigible au terme de chaque journée d'occupation irrégulière.

4. Aux termes de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Il résulte de ces dispositions, applicables aux actions tendant à obtenir la réparation du préjudice subi à raison de l'occupation sans titre du domaine public, qui ne sont pas relatives à des produits ou redevances du domaine public au sens de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques, que celles-ci se prescrivent par cinq ans à compter de la date à laquelle le gestionnaire du domaine public a eu ou devait avoir connaissance de cette occupation irrégulière. Le délai de prescription est interrompu notamment dans les conditions prévues par les articles 2240, 2241 et 2244 du même code.

Sur le pourvoi :

5. Pour écarter l'argumentation de M. A... tirée de ce que l'indemnité d'occupation irrégulière due au titre l'année 2014 était atteinte par la prescription, la cour, après avoir jugé que de telles indemnités devenaient exigibles à l'issue de chaque période annuelle de sorte que celle relative à l'année 2014 était devenue exigible le 1er janvier 2015, s'est fondée sur ce que la prescription quinquennale prévue par l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques n'était pas acquise à la date à laquelle la société SNCF Réseau avait, le 25 juillet 2019, fait constater cette occupation sans titre par un huissier de justice.

6. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 4 qu'en statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques alors que celles de l'article 2224 du code civil étaient seules applicables à l'action introduite par la société SNCF Réseau, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il s'est prononcé sur la demande de réparation du préjudice résultant de l'occupation sans titre du domaine public durant l'année 2014, sans qu'il soit besoin, dans cette mesure, de se prononcer sur les moyens du pourvoi.

Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la demande de réparation du préjudice résultant de l'occupation sans titre du domaine public durant la période du 1er janvier 2015 au 16 janvier 2022 :

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... occupait sans droit ni titre la dépendance du domaine public en litige pour les besoins de l'exploitation de son entreprise individuelle. Il n'est par suite pas fondé à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en ne soulevant pas d'office le moyen tiré de ce que les conclusions indemnitaires présentées par la société SNCF Réseau à son encontre auraient été mal dirigées.

9. En deuxième lieu, la cour n'a, contrairement à ce qui est soutenu, ni entaché son arrêt d'erreur de droit ni méconnu son office en se fondant, pour déterminer le montant de l'indemnité due par M. A... à raison de l'occupation sans droit ni titre de la parcelle en cause, sur un tableau de valeurs unitaires des redevances d'occupation en Ile-de-France produit par la société SNCF Réseau dont la valeur probante n'était pas sérieusement discutée devant elle.

10. En troisième lieu, en évaluant, à partir de ce tableau, à 80,20 euros hors taxes par mètre carré le coût d'occupation de l'entrepôt édifié sur la parcelle en litige et à 15 euros hors taxes par mètre carré le coût d'occupation du terrain non bâti, la cour a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

11. En quatrième lieu, en déterminant le montant de l'indemnité litigieuse à partir de ce tarif, la cour, qui a porté sa propre appréciation en fonction de l'état des lieux occupés et ne s'est pas fondée, contrairement à ce qui est soutenu, sur des références relatives à des locaux à usage de bureau, n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit, ni d'insuffisance de motivation au regard de l'argumentation qui lui était soumise.

12. En dernier lieu, en estimant que la faute commise par la société SNCF Réseau en laissant perdurer, par son inertie, la situation d'occupation irrégulière était de nature à atténuer la responsabilité de M. A... à concurrence de la moitié du préjudice subi à raison de cette occupation, la cour administrative d'appel a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il s'est prononcé sur la demande de réparation du préjudice résultant de l'occupation sans titre du domaine public pour la période postérieure au 1er janvier 2015.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée au point 7.

15. Il résulte de l'instruction que c'est seulement par sa demande adressée au tribunal administratif de Melun le 14 janvier 2020 que la société SNCF Réseau a, pour la première fois, sollicité de M. A... qu'il l'indemnise du préjudice qu'elle estimait avoir subi à raison de l'occupation par celui-ci de la parcelle en litige au cours de l'année 2014. A cette date, son action était, pour ce qui concerne cette période, atteinte par la prescription en application des règles rappelées au point 4 ci-dessus, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que la société avait fait constater cette occupation par un huissier de justice le 25 juillet 2019.

16. M. A... est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a condamné à indemniser la société SNCF Réseau à raison de l'occupation sans titre de la dépendance domaniale en litige pendant l'année 2014.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SNCF Réseau qui n'est pas la partie perdante à titre principal dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. A... à ce même titre.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 15 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 6 janvier 2022 du tribunal administratif de Melun sont annulés en tant qu'ils ont statué sur la demande indemnitaire de la société SNCF Réseau en ce qu'elle portait sur l'année 2014.

Article 2 : La demande de la société SNCF Réseau tendant à l'indemnisation du préjudice subi au titre de l'année 2014 est rejetée.

Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à la société anonyme SNCF Réseau.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 mars 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Nathalie Escaut, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Sébastien Ferrari, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 15 avril 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Sébastien Ferrari

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 470475
Date de la décision : 15/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24-01-03-02 DOMAINE. - DOMAINE PUBLIC. - PROTECTION DU DOMAINE. - PROTECTION CONTRE LES OCCUPATIONS IRRÉGULIÈRES. - INDEMNISATION DUE PAR L’OCCUPANT IRRÉGULIER DU DOMAINE EN RAISON DE LA PERTE DE REVENUS DE L’AUTORITÉ GESTIONNAIRE DU DOMAINE [RJ1] – 1) EXIGIBILITÉ – PÉRIODE – JOUR – 2) PRESCRIPTION DE L’ACTION EN RÉPARATION – PRESCRIPTION QUINQUENNALE DE L’ARTICLE 2224 DU CODE CIVIL – INTERRUPTION.

24-01-03-02 1) L’indemnité due par l’occupant irrégulier du domaine public, compensant les revenus que l’autorité gestionnaire du domaine aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période, est exigible au terme de chaque journée d’occupation irrégulière....2) Il résulte de l’article 2224 du code civil, dont il y a lieu de faire application aux demandes d’indemnités au titre de l’occupation sans titre du domaine public, qui ne sont ni des produits, ni des redevances de ce domaine, que celles-ci se prescrivent par cinq ans à compter de la date à laquelle le gestionnaire du domaine public a connaissance ou devrait avoir connaissance de cette occupation. ...Le délai de prescription est interrompu notamment dans les conditions prévues par les articles 2240, 2241 et 2244 du même code.


Publications
Proposition de citation : CE, 15 avr. 2024, n° 470475
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Sébastien Ferrari
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:470475.20240415
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