Vu la procédure suivante :
Mme C... D... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 22 septembre 2022 rejetant la demande présentée au nom de son enfant mineur tendant à ce que lui soit reconnu la qualité de réfugié ou, à défaut, que lui soit accordé le bénéfice de la protection subsidiaire. Par une décision n° 23000677 du 11 mai 2023, la Cour nationale du droit d'asile a annulé cette décision et renvoyé l'examen de la demande à l'OFPRA.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 juillet et 12 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OFPRA demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alexandra Bratos, auditrice,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'OFPRA ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour nationale du droit d'asile que Mme D..., de nationalité guinéenne, a présenté une demande d'asile en son nom et au nom de son fils mineur A... D..., né le 19 mai 2019. Sa demande a été définitivement rejetée le 30 octobre 2020, au motif que les craintes de persécution pour elle et son enfant n'étaient pas établies. Le 16 août 2022, elle a présenté une nouvelle demande d'asile au nom de son fils mineur E..., né le 8 février 2022. Par une décision du 11 mai 2023, la Cour nationale du droit d'asile a annulé la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ayant rejeté cette demande et renvoyé l'examen de l'affaire devant l'Office.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la demande d'asile est présentée par un étranger qui se trouve en France accompagné de ses enfants mineurs, la demande est regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants ". Aux termes de l'article L. 531-23 du même code : " Lorsqu'il est statué sur la demande de chacun des parents présentée dans les conditions prévues à l'article L. 521-3, la décision accordant la protection la plus étendue est réputée prise également au bénéfice des enfants. Cette décision n'est pas opposable aux enfants qui établissent que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire ".
3. D'autre part, l'article L. 521-13 de ce code fait obligation au demandeur d'asile de " coopérer avec l'autorité administrative compétente en vue d'établir son identité, sa nationalité ou ses nationalités, sa situation familiale, son parcours depuis son pays d'origine ainsi que, le cas échéant, ses demandes d'asile antérieures ". Aux termes de l'article L. 531-5 du même code : " Il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande d'asile. Ces éléments sont constitués par ses déclarations et par tous les documents dont il dispose concernant son âge, son histoire personnelle, y compris celle de sa famille, son identité, sa ou ses nationalités, ses titres de voyage, les pays ainsi que les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d'asile antérieures, son itinéraire ainsi que les raisons justifiant sa demande. / Il appartient à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides d'évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande ". Et aux termes de l'article L. 531-12 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides convoque le demandeur d'asile à un entretien personnel (...). Il peut s'en dispenser dans les situations suivantes : / 1° Il s'apprête à prendre une décision reconnaissant au demandeur la qualité de réfugié à partir des éléments en sa possession ; / 2° Des raisons médicales, durables et indépendantes de la volonté de l'intéressé interdisent de procéder à l'entretien ".
4. Enfin, aux termes de son article L. 531-41 : " Constitue une demande de réexamen une demande d'asile présentée après qu'une décision définitive a été prise sur une demande antérieure ". Aux termes de l'article L. 531-42 : " A l'appui de sa demande de réexamen, le demandeur indique par écrit les faits et produit tout élément susceptible de justifier un nouvel examen de sa demande d'asile. / L'Office français de protection des réfugiés et apatrides procède à un examen préliminaire des faits ou des éléments nouveaux présentés par le demandeur intervenus après la décision définitive prise sur une demande antérieure ou dont il est avéré qu'il n'a pu en avoir connaissance qu'après cette décision. / Lors de l'examen préliminaire, l'office peut ne pas procéder à un entretien. / Lorsque, à la suite de cet examen préliminaire, l'office conclut que ces faits ou éléments nouveaux n'augmentent pas de manière significative la probabilité que le demandeur justifie des conditions requises pour prétendre à une protection, il peut prendre une décision d'irrecevabilité ".
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'il appartient à l'étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile de présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent et de faire valoir, s'il y a lieu, les craintes propres de persécution de ses enfants lors de l'entretien prévu à l'article L. 531-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en va également ainsi en cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger étant tenu d'informer dans les meilleurs délais l'Office de cette naissance ou entrée, y compris lorsque l'Office a déjà statué sur sa demande.
6. En cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement au rejet définitif de la demande d'asile présentée par ses parents en leur nom propre, et, le cas échéant, au nom de leurs autres enfants mineurs nés ou entrés en France avant qu'il ne soit statué de manière définitive sur leur demande, la demande d'asile présentée au nom de cet enfant constitue, au vu de cet élément nouveau, une demande de réexamen, sauf lorsque l'enfant établit que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire.
7. Il s'ensuit qu'en retenant que la demande d'asile présentée par Mme D... au nom de son deuxième enfant mineur E... né le 8 février 2022, postérieurement au rejet définitif de la demande formée par Mme D... en son nom propre et au nom de son premier enfant mineur A... le 30 octobre 2020, constituait une première demande d'asile impliquant nécessairement de procéder à un entretien personnel de l'enfant, la Cour nationale du droit d'asile a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, que l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision du 11 mai 2023 de la Cour nationale du droit d'asile est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à Mme C... D....
Délibéré à l'issue de la séance du 19 juin 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Alexandra Bratos, auditrice-rapporteure.
Rendu le 8 juillet 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Alexandra Bratos
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber