Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 21 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la commune de Cambrai demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du fascicule n° 1 " Définir et observer la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers, et l'artificialisation des sols " de mise en œuvre de la réforme " zéro artificialisation nette " (ZAN), publié le 21 décembre 2023 par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de la première phrase du 5° du III de l'article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dans sa version résultant de la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;
- la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Leduc, Vigand, avocat de la commune de Cambrai ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. La communauté d'agglomération de Cambrai doit être regardée, en l'état du dossier, comme justifiant d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête de la commune de Cambrai. Dès lors, son intervention au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Cambrai à l'appui de cette requête, présentée par un mémoire distinct, doit être admise pour l'examen de cette question.
3. Aux termes de la première phrase du 5° du III de l'article 194 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dans sa version résultant de la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux : " Au sens du présent article, la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers est entendue comme la création ou l'extension effective d'espaces urbanisés sur le territoire concerné ".
4. En premier lieu, la commune requérante soutient que la première phrase du 5° du III de l'article 194 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets méconnaîtrait le principe de libre administration des collectivités territoriales, en ce qu'elle aurait pour effet de porter atteinte au zonage défini dans les documents d'urbanisme locaux, en tant notamment qu'elle conduirait à inclure dans le périmètre des espaces naturels, agricoles et forestiers certaines parcelles aujourd'hui situées en zones urbaines. Toutefois, d'une part, ces dispositions, qui se bornent à donner une définition de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers au sens et pour l'application de cet article 194, n'emportent pas, par elles-mêmes, d'incidences directes sur les choix qu'opèrent les collectivités territoriales compétentes dans le zonage réglementaire figurant dans leurs documents d'urbanisme. D'autre part, et en tout état de cause, si, en vertu de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales " s'administrent librement par des conseils élus ", le même article précise qu'elles le font " dans les conditions prévues par la loi ". Les dispositions litigieuses, qui ont été prises en vue de l'intégration dans les documents d'urbanisme locaux de la trajectoire, fixée à ce même article 194, par des dispositions aujourd'hui codifiées au code général des collectivités territoriales et au code de l'urbanisme, de réduction de moitié de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix années qui suivent la promulgation de la loi du 22 août 2021 par comparaison avec la décennie précédente, ne portent pas à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte qui excéderait la réalisation de l'objectif d'intérêt général de lutte contre le changement climatique ainsi que de conservation et de protection de la biodiversité poursuivi par le législateur. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe de libre administration des collectivités territoriales ne présente pas un caractère sérieux.
5. En deuxième lieu, la commune requérante soutient que les dispositions législatives contestées porteraient atteinte au droit de propriété en ce qu'elles auraient pour effet de rendre inconstructibles certaines parcelles situées en zones urbaines. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ces dispositions, qui se bornent à donner une définition de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers, n'emportent pas, par elles-mêmes, d'incidences directes sur le zonage réglementaire figurant dans les documents d'urbanisme locaux. Elles n'ont ainsi, en tout état de cause, ni pour objet ni pour effet d'affecter le droit de propriété. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions législatives contestées porteraient atteinte au droit de propriété ne présente pas un caractère sérieux.
6. En troisième et dernier lieu, en se bornant à donner une définition de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers, le législateur n'a pu, en tout état de cause, eu égard à l'objet et à la portée de ces dispositions, affecter la liberté d'entreprendre. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions législatives contestées porteraient atteinte à la liberté d'entreprendre ne présente pas un caractère sérieux.
7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle et ne présente pas de caractère sérieux.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Cambrai.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Cambrai, au Premier ministre, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la communauté d'agglomération de Cambrai.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 juillet 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 24 juillet 2024.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Juliette Mongin
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo