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25/07/2024 | FRANCE | N°464315

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 25 juillet 2024, 464315


Vu la procédure suivante :



Le groupement foncier agricole (GFA)D... B... ainsi que M. C... B... et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 avril 2018 par laquelle le maire de Sauvian a décidé de préempter les parcelles cadastrées section AO nos 2, 3, 4 et section AP nos 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 35, au titre des espaces naturels sensibles. Par un jugement n° 1802832 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 18 avril 2018 et a enjoint à l

a commune de Sauvian de proposer à l'ancien propriétaire, puis, le cas ...

Vu la procédure suivante :

Le groupement foncier agricole (GFA)D... B... ainsi que M. C... B... et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 avril 2018 par laquelle le maire de Sauvian a décidé de préempter les parcelles cadastrées section AO nos 2, 3, 4 et section AP nos 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 35, au titre des espaces naturels sensibles. Par un jugement n° 1802832 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 18 avril 2018 et a enjoint à la commune de Sauvian de proposer à l'ancien propriétaire, puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.

Par un arrêt nos 21MA00218, 21MA04410 du 21 mars 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur l'appel de la commune de Sauvian, annulé ce jugement et rejeté la demande du GFAD... B... et autres.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 mai et 16 août 2022 et le 28 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le GFAD... B... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la commune de Sauvian ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Sauvian la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 ;

- la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 ;

- la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 ;

- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;

- l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 ;

- la décision du 25 septembre 2023 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le GFAD... B... et autres ;

- la décision n° 2023-1071 QPC du 24 novembre 2023 du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le GFAD... B... et autres ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de la société GFAD... B... et autres et à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la commune de Sauvian ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 18 avril 2018, le maire de Sauvian a préempté les parcelles cadastrées section AO nos 2, 3, 4 et section AP nos 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 35, au prix proposé par le propriétaire, soit 1 372 394,51 euros, au titre des espaces naturels sensibles. Par un jugement du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier, saisi par le groupement foncier agricole (GFA)D... B... et M. et Mme B..., a annulé cette décision et enjoint au maire de Sauvian de proposer à l'ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption avait fait obstacle. Le GFAD... B... et M. et Mme B... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 21 mars 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur l'appel de la commune de Sauvian, annulé ce jugement et rejeté leurs conclusions.

2. Saisi par le Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le GFAD... B... et autres et portant sur la constitutionnalité des dispositions du II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, lesquelles disposent que : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les décisions de préemption prises entre le 1er janvier 2016 et l'entrée en vigueur du présent article, en tant que leur légalité est ou serait contestée par un moyen tiré de l'abrogation de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme par l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme ", le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2023-1071 QPC du 24 novembre 2023, déclaré ces dispositions contraires à la Constitution et précisé que sa décision, prenant effet à la date de sa publication, était applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

3. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, le GFAD... B... et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent, lequel est fondé les dispositions du II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

5. En application des articles L. 142-1 et L. 142-4 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction antérieure à la loi du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d'aménagement, des périmètres sensibles pouvaient, après avis du conseil général et des communes concernées, être délimités par le préfet dans les départements inscrits sur une liste établie par décret en Conseil d'Etat. Il appartenait au préfet d'arrêter les mesures nécessaires à la protection des sites et des paysages compris dans ces périmètres sensibles et d'y créer des zones de préemption au profit du département et, si celui-ci ne l'exerçait pas, au profit des communes.

6. La loi du 18 juillet 1985 a modifié les articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme organisant le régime de protection des périmètres sensibles en confiant au département la compétence pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles. L'article L. 142-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de cette loi, prévoyait que, pour la mise en œuvre de cette politique, le conseil général pouvait créer des zones de préemption à compter du 1er juin 1987. Le huitième alinéa de l'article L. 142-12 du même code relatif à l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions disposait que : " (...) Le droit de préemption prévu à l'article L. 142-3 dans sa rédaction issue de la loi (...) s'applique dès l'entrée en vigueur du présent chapitre à l'intérieur des zones de préemption délimitées en application de l'article L. 142-1 dans sa rédaction antérieure (...) ".

7. Sur le fondement de l'article 171 de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové qui a autorisé le Gouvernement à procéder, par voie d'ordonnance, à une nouvelle rédaction du livre Ier du code de l'urbanisme, l'ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme, ratifiée par l'article 156 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, a recodifié les dispositions relatives aux espaces naturels sensibles, d'une part, aux articles L. 113-8 et suivants pour les dispositions relatives à la politique départementale de protection des espaces naturels sensibles, et, d'autre part, aux articles L. 215-1 et suivants pour celles relatives au droit de préemption dans ces espaces. Cette ordonnance a abrogé, à compter du 1er janvier 2016, la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure, sans reprendre les dispositions de l'ancien article L. 142-12.

8. Ainsi que le Conseil d'Etat l'a relevé, par un avis rendu le 29 juillet 2020 sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, il résulte des dispositions de l'ordonnance du 23 septembre 2015 que, depuis le 1er janvier 2016, le droit de préemption prévu aux articles L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme n'est plus applicable dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985, sauf à ce que le département les ait incluses dans les zones de préemption qu'il a lui-même créées au titre des espaces naturels sensibles.

9. Il ressort des pièces du dossier que, par la décision contestée du 18 avril 2018, la commune de Sauvian a exercé le droit de préemption sur des parcelles situées dans le périmètre sensible des quatre cantons de Béziers défini par un arrêté du 16 juin 1983 du préfet de l'Hérault. Dès lors que ce périmètre n'était plus susceptible, depuis le 1er janvier 2016, de fonder l'exercice du droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles défini par les articles L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme et qu'à la date de la décision contestée, le département de l'Hérault n'avait pas inclus ce périmètre dans une zone de préemption créée par lui au titre des espaces naturels sensibles, cette décision est dépourvue de base légale, sans que la commune de Sauvian puisse utilement se prévaloir des dispositions du II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021, déclarées contraires à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1071 QPC du 24 novembre 2023, applicable au présent litige.

10. Il résulte de ce qui précède que la commune de Sauvian n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision de préemption du 18 avril 2018 et enjoint au maire de Sauvian, sans qu'y fasse obstacle une atteinte excessive à l'intérêt général, qui résulterait de la colonisation récente du site par des espèces protégées ou de la possibilité que l'acquisition de ce domaine par la commune permette de compenser la création ou l'extension de trois zones d'activité concertée faisant l'objet de demandes de dérogations au titre des espèces protégées, de proposer à l'ancien propriétaire puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.

11. La présente décision rejetant la requête de la commune de Sauvian tendant à l'annulation du jugement du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier, la requête de cette commune tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du GFAD... B... et autres qui, dans la présente affaire, ne sont pas la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Sauvian une somme globale de 3 000 euros à verser au GFAD... B... et autres au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 21 mars 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.

Article 2 : La requête de la commune de Sauvian tendant à l'annulation du jugement du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier est rejetée.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la commune de Sauvian tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier.

Article 4 : La commune de Sauvian versera au GFAD... B... et autres une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Sauvian présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée au groupement foncier agricoleD... B..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Sauvian.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 25 juillet 2024.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Pierre Boussaroque

La secrétaire :

Signé : Mme Paule Troly


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 464315
Date de la décision : 25/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2024, n° 464315
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Boussaroque
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SCP OHL, VEXLIARD ; SCP GASCHIGNARD, LOISEAU, MASSIGNON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:464315.20240725
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