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30/07/2024 | FRANCE | N°475739

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 30 juillet 2024, 475739


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juillet et 6 octobre 2023 et le 20 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2023-454 du 10 mai 2023, rectifiée le 17 mai 2023, par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir, d'une part, aux stip

ulations de l'article 2-3-7 de sa convention du 29 mai 2019 ainsi qu'aux dispositions du p...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juillet et 6 octobre 2023 et le 20 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2023-454 du 10 mai 2023, rectifiée le 17 mai 2023, par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir, d'une part, aux stipulations de l'article 2-3-7 de sa convention du 29 mai 2019 ainsi qu'aux dispositions du point 3 de la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 17 avril 2007 relative à l'intervention de mineurs dans le cadre d'émissions de télévision diffusées en métropole et dans les départements d'outre-mer, et d'autre part, aux stipulations de l'article 2-4 de la convention du 29 mai 2019 et aux dispositions de l'article 4 de la recommandation du CSA du 7 juin 2005 aux éditeurs de services de télévision concernant la signalétique jeunesse et la classification des programmes modifiée.

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- la recommandation du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2005-5 du 7 juin 2005 aux éditeurs de services de télévision concernant la signalétique jeunesse et la classification des programmes ;

- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2014-17 du 5 mars 2014 relative à l'intervention de mineurs dans le cadre d'émissions de télévision diffusées en métropole et dans les départements d'outre-mer ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Hortense Naudascher, auditrice,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ".

2. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 10 mai 2023, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a mis la société C8, qui édite le service de télévision du même nom, diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique, en demeure de se conformer à l'avenir aux dispositions de l'article 3 de la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 17 avril 2007 relative à l'intervention de mineurs dans le cadre d'émissions de télévision diffusées en métropole et dans les départements d'outre-mer, rendue applicable au service C8 par l'article 2-3-7 de sa convention du 29 mai 2019. Cette mise en demeure fait suite à la diffusion, lors de l'émission " Touche pas à mon poste " diffusée le 31 janvier 2023, d'une séquence au cours de laquelle les deux membres d'un couple, ayant acquis une certaine notoriété pour avoir figuré dans une émission de téléréalité mettant en scène des familles nombreuses, accompagnés de leur fils aîné, étaient invités à s'exprimer sur leur reconversion professionnelle dans la production de contenus pornographiques, pour répondre aux critiques qui avaient été émises la veille sur le plateau de l'émission à la suite de la publication sur internet d'une vidéo présentant cette activité.

Sur la légalité externe :

3. D'une part, le moyen tiré de ce que les membres du collège de l'Arcom auraient été irrégulièrement convoqués à la séance du 10 mai 2023 au cours de laquelle a été adoptée la mise en demeure attaquée est dépourvu des précisions permettant d'en apprécier le bienfondé. Il ne peut, par suite, qu'être écarté.

4. D'autre part, la mise en demeure attaquée mentionne les textes dont elle fait application et indique de façon suffisamment précise les faits relevés par l'Arcom et les obligations qui ont été méconnues. Cette délibération, qui n'avait pas à faire état des éléments présentés par la société C8 pour mettre en perspective le contexte de la séquence incriminée, est ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, suffisamment motivée.

Sur la légalité interne :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " La communication au public par voie électronique est libre. L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise (...) par la protection de l'enfance et de l'adolescence (...) ". Aux termes de l'article 15 de la même loi, l'Arcom " veille à la protection de l'enfance et de l'adolescence et au respect de la dignité de la personne dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ". Sur le fondement de ces dispositions, la délibération du 17 avril 2007 du CSA relative à l'intervention de mineurs dans le cadre d'émissions de télévision diffusées en métropole et dans les départements d'outre-mer prévoit que : " Afin de préserver l'épanouissement physique, mental, moral et affectif des enfants et des adolescents, les services de télévision, au-delà du respect de la dignité de la personne humaine doivent éviter la dramatisation ou la dérision dans le traitement des témoignages des mineurs. Les conditions de tournage et les questions posées doivent être adaptées à l'âge des enfants. / L'intervention d'un mineur dans le cadre d'une émission de télévision ne doit pas nuire à son avenir et doit notamment préserver ses perspectives d'épanouissement personnel ". Enfin, aux termes de l'article 2-3-7 de la convention conclue le 29 mai 2019 entre le CSA et la société C8 : " L'éditeur respecte les délibérations prises par le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour assurer la protection des mineurs contre les dangers que peut représenter leur participation à une émission de télévision, notamment la délibération relative à l'intervention de mineurs dans le cadre d'émissions de télévision diffusées en métropole et dans les départements d'outre-mer ".

6. Il ressort des pièces du dossier que lors de la séquence ayant donné lieu à la mise en demeure attaquée, un mineur âgé de 17 ans a été invité à s'exprimer sur le sujet de la reconversion professionnelle de ses parents dans la production de contenus pornographiques. Des échanges particulièrement vifs ont eu lieu sur le plateau entre ses parents et plusieurs chroniqueurs de l'émission, mettant en cause l'incidence négative que leur nouvelle activité était susceptible d'avoir sur la santé mentale de leurs enfants. Si l'animateur a pris soin de protéger le mineur de toute prise à partie directe et a sollicité son témoignage avec courtoisie, la décision de l'inviter sur le plateau de l'émission pour des échanges portant sur un sujet particulièrement sensible pour lui, qui s'annonçaient véhéments au vu de la virulence des critiques exprimées la veille à l'encontre de ses parents, et susceptibles de nuire à son épanouissement moral et affectif, caractérise un manquement de l'éditeur du service aux dispositions de l'article 3 de la délibération du CSA du 17 avril 2007 citées ci-dessus, qu'il s'est engagé à respecter par l'article 2-3-7 de sa convention. C'est, par suite, par une exacte application de ces dispositions que l'Arcom a adressé à la société C8 la mise en demeure contestée.

7. En deuxième lieu, en mettant en œuvre, par la décision attaquée, les pouvoirs que lui a confiés le législateur en application de la loi du 30 septembre 1986 aux fins d'assurer la protection des mineurs dans les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle, l'Arcom n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression du mineur mentionné au point 6, garantie tant par les stipulations de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que par celles de l'article 13 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 : " Lorsque des programmes susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs sont mis à disposition du public par des services de télévision, le conseil [supérieur de l'audiovisuel] veille à ce qu'ils soient précédés d'un avertissement au public et qu'ils soient identifiés par la présence d'un symbole visuel tout au long de leur durée. (...) " Aux termes de l'article 4 de la recommandation du 7 juin 2005 du CSA aux éditeurs de services de télévision concernant la signalétique jeunesse et la classification des programmes, dans sa version issue de la délibération du 5 mars 2014, applicable en l'espèce : " La signalétique mentionnée à l'article 2 devra être portée à la connaissance du public au moment de la diffusion de l'émission concernée, dans les bandes-annonces ainsi que dans les avant-programmes communiqués à la presse. / Lors de la diffusion des programmes, cette signalétique sera présentée à l'antenne selon les modalités suivantes : / Pour les programmes de catégorie II : / Le pictogramme sera présent à l'écran pendant toute la durée de la diffusion du programme. La mention ''déconseillé aux moins de dix ans'' devra apparaître à l'antenne soit en bas de l'écran, en blanc, au minimum pendant une minute au début du programme, soit en plein écran, avant la diffusion du programme, pendant au minimum douze secondes. " Enfin, aux termes de l'article 2-4 de la convention du service C8 : " L'éditeur respecte la recommandation du Conseil supérieur de l'audiovisuel aux éditeurs de services de télévision concernant la signalétique jeunesse et la classification des programmes ".

9. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que la séquence en litige relevait de la catégorie II, soit un programme comportant certaines scènes susceptibles de heurter les mineurs de moins de 10 ans. Par suite, en retenant que la chaîne C8 avait méconnu ses obligations, d'une part, en se contentant d'apposer à l'écran le pictogramme correspondant à la catégorie II durant cette seule séquence, de 20h50 à 21h14, et non tout au long du programme, et, d'autre part, en omettant de faire apparaitre la mention " déconseillé aux moins de dix ans " au début de celui-ci, et en lui adressant, pour ce motif, la mise en demeure contestée, l'Arcom n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 10 ci-dessus. Les arguments de la société requérante tirés, d'une part, du caractère selon elle minime des manquements retenus et, d'autre part, du caractère inadapté de l'article 4 de la recommandation du 7 juin 2005 s'agissant d'un programme diffusé en direct et interrompu par de nombreuses séquences publicitaires, sans qu'il soit au demeurant excipé de l'illégalité de ces dispositions, demeurent sans incidence à cet égard.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société C8 n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'elle attaque. Sa requête doit, dès lors, être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société C8 est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Copie en sera adressée à la ministre de la culture.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 juillet 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, conseillers d'Etat et Mme Hortense Naudascher, auditrice-rapporteure.

Rendu le 30 juillet 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Hortense Naudascher

La secrétaire :

Signé : Mme Anne-Lise Calvaire


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 475739
Date de la décision : 30/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 jui. 2024, n° 475739
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Hortense Naudascher
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:475739.20240730
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