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31/07/2024 | FRANCE | N°495652

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 31 juillet 2024, 495652


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 16 juin 2024 par lequel le préfet de Mayotte l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, en tant qu'il porte interdiction et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de Mayotte d'organiser so

n retour aux frais de l'Etat, dans un délai de cinq jours, sous astreint...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 16 juin 2024 par lequel le préfet de Mayotte l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, en tant qu'il porte interdiction et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de Mayotte d'organiser son retour aux frais de l'Etat, dans un délai de cinq jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. Par une ordonnance n° 2401097 du 19 juin 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a, en premier lieu, dit qu'il n'y a pas lieu à statuer sur les conclusions à fin de suspension de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai, en deuxième lieu, suspendu l'exécution de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcé à l'encontre de M. B... et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 16 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 19 juin 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte en tant qu'il rejette ses conclusions aux fins d'injonction de retour sur le territoire français ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer avec le concours des autorités consulaires françaises aux Comores, d'organiser son retour le territoire français dans un délai de cinq jours, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans un délai de 48 heures à compter de son retour dans le département de Mayotte un titre de séjour, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, il est empêché de solliciter la délivrance d'un titre de séjour afin de rejoindre son épouse et ses enfants sur le territoire français et, d'autre part, il ne peut plus subvenir aux besoins de son épouse, qui est sans emploi, et des sept enfants de celle-ci ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée et familiale, à l'intérêt supérieur de l'enfant et à son droit à un recours effectif ;

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a, d'une part, partiellement accueilli ses demandes sans faire cesser les atteintes à ses libertés fondamentales et, d'autre part, dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à la suspension de l'obligation de quitter le territoire français en ce qu'elle avait été exécutée avant que son recours n'ait été formé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La Défenseure des droits a présenté des observations, en application de l'article 33 de la loi n° 2011-333 du 29 mars 2011, enregistrées le 15 juillet 2024.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 15 juillet 2024, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), l'association La Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), et le Syndicat des avocats de France (SAF) concluent, d'une part, à ce que soit déclarée recevable leur intervention et, d'autre part, à ce qu'il soit fait droit aux conclusions des requérants.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., l'Association des avocats pour la défense des droits des étrangers, l'association La Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s, le Syndicat des avocats de France, ainsi que la Défenseure des droits et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 juillet 2024, à 11 heures :

- Me Meier-Bourdeau, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. B... ;

- les représentantes de l'Association des avocats pour la défense des droits des étrangers, de l'association La Cimade, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s et du Syndicat des avocats de France ;

- les représentants de la Défenseure des droits ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 18 juillet 2024 à 17 heures.

Vu le mémoire, enregistré le 17 juillet 2024, présenté par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui persiste dans ses précédentes conclusions ;

Vu le mémoire, enregistré le 18 juillet 2024, présenté par M. B... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention internationales relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 juillet 2024, présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. M. B..., né en 1974, de nationalité comorienne, a fait l'objet de plusieurs refus de titres de séjour et de deux obligations de quitter le territoire français, en 2018 et 2022. De son union en 2017 avec Mme C... sont nés deux enfants, en 2020 et 2023. Le 16 juin 2024, il a été appréhendé au cours d'un contrôle d'identité et conduit au centre de rétention administrative de Pamandzi à 17h30. Il a quitté ce centre le lendemain à 8h40, pour être reconduit aux Comores à bord d'un navire qui a quitté Mayotte à 10h30, par application d'une décision préfectorale lui ordonnant de quitter le territoire français et lui faisant interdiction d'y retourner pour une durée d'un an. Saisi par M. B..., sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande de suspension de cette décision, le juge des référés du tribunal administratif de Mamoudzou a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la mesure d'éloignement de M. B..., suspendu l'interdiction le retour sur le territoire français pendant un an dont il faisait l'objet, et rejeté le surplus de ses conclusions.

Sur la recevabilité de l'intervention :

3. L'Association des avocats pour la défense des droits des étrangers, l'association La Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s et le Syndicat des avocats de France justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour intervenir au soutien de la requête. Par suite, leur intervention est recevable.

Sur le non-lieu prononcé par le premier juge sur les conclusions tendant à la suspension de la mesure d'éloignement :

4. L'exécution d'un arrêté obligeant un ressortissant étranger de quitter le territoire français et lui interdisant de retourner sur le territoire français pendant une certaine durée ne rend pas sans objet la demande faite au juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 d'en prononcer la suspension. Par suite, il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée en tant qu'elle prononce un non-lieu sur la demande de M. B... en raison de l'exécution de la mesure litigieuse.

Sur l'atteinte portée au droit au recours de M. B... :

5. Il résulte de l'instruction que la mesure d'éloignement litigieuse a été exécutée immédiatement avant l'introduction par M. B... de sa requête à fin de suspension de cette mesure. Dans ces circonstances, en l'absence de disposition faisant obstacle, à la date à laquelle elle a eu lieu, à la reconduite du requérant aux Comores, le préfet de Mayotte n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale en procédant à cette reconduite. En particulier, le requérant ayant été en mesure d'introduire son recours qui, ainsi qu'il a été dit, n'a pas perdu son objet du fait de l'exécution de la mesure, il n'a pas été porté d'atteinte grave et manifestement illégale à son droit au recours.

Sur l'atteinte à la vie privée et familiale de M. B... :

6. Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français prise à l'encontre de M. B..., en raison de l'atteinte grave et manifestement illégale portée à son droit à une vie familiale normale et à l'intérêt supérieur de ses enfants. Cette partie de sa décision n'est pas attaquée par la voie du recours incident, et les motifs qui en sont le soutien ne sont pas contestés par le ministre. Ces mêmes motifs justifient de prononcer également la suspension de la mesure d'éloignement litigieuse. En revanche, si cette suspension et celle de l'interdiction de retour lui permettent de solliciter la délivrance d'un document l'autorisant à retourner à Mayotte, elles n'impliquent pas qu'il soit enjoint au préfet de Mayotte d'assurer aux frais de l'Etat le retour du requérant sur le territoire français.

7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, d'une part, qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée en tant qu'elle constate le non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à la suspension de la mesure d'éloignement de M. B... et d'accueillir ces conclusions, et d'autre part, de rejeter le surplus des conclusions d'appel de M. B....

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de l'Association des avocats pour la défense des droits des étrangers, de l'association La Cimade, du Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s et du Syndicat des avocats de France est admise.

Article 2 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte est annulée en tant qu'elle juge qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à la suspension de la mesure lui ordonnant de quitter le territoire français.

Article 3 : L'arrêté du 16 juin 2024 par lequel le préfet de Mayotte a obligé M. B... à quitter le territoire français est suspendu.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de M. B... est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), première dénommée parmi les intervenantes, et à la Défenseure des droits.

Fait à Paris, le 31 juillet 2024

Signé : Cyril Roger-Lacan


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 495652
Date de la décision : 31/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 31 jui. 2024, n° 495652
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495652.20240731
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