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01/10/2024 | FRANCE | N°466006

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 01 octobre 2024, 466006


Vu la procédure suivante :



La fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 juin 2017 de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine portant autorisation d'importation de cellules embryonnaires à des fins de recherche en application des dispositions de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique. Par un jugement n° 1709453 du 29 mai 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.



Par un arrêt n° 18VE02152 du 17

juin 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la...

Vu la procédure suivante :

La fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 23 juin 2017 de la directrice générale de l'Agence de la biomédecine portant autorisation d'importation de cellules embryonnaires à des fins de recherche en application des dispositions de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique. Par un jugement n° 1709453 du 29 mai 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18VE02152 du 17 juin 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la fondation Jérôme Lejeune contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 juillet et 21 octobre 2022 et le 30 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fondation Jérôme Lejeune demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la fondation Jérôme Lejeune et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Agence de la biomédecine ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 23 juin 2017, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (UMR 861) à importer, en provenance de l'Institute of Regenerative Medecine à San Francisco, une lignée de cellules souches embryonnaires humaines à des fins de recherche dénommée " WA-09-YAP-/- " destinée à des recherches ayant pour finalité l'étude des rôles physiopathologiques de la protéine Adenomatous polyposis coli (APC). Par un jugement du 29 mai 2018, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la fondation Jérôme Lejeune tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette autorisation. La fondation Jérôme Lejeune se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 17 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " L'importation de cellules souches embryonnaires aux fins de recherche est soumise à l'autorisation préalable de l'Agence de la biomédecine. Cette autorisation ne peut être accordée que si ces cellules souches ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil ". Aux termes de l'article R. 2151-13 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Tout organisme qui importe ou exporte des cellules souches embryonnaires doit être en mesure de justifier qu'elles ont été obtenues dans le respect des principes mentionnés aux articles 16 à 16-8 du code civil, avec le consentement préalable du couple géniteur de l'embryon qui a été conçu dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et ne fait plus l'objet d'un projet parental, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, n'ait été alloué au couple ".

3. Le principe, dont le contenu est précisé au II de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige, et qui résulte également des principes fondamentaux énoncés par les articles 16 à 16-8 du code civil, selon lequel aucune recherche sur l'embryon humain ou sur les cellules souches embryonnaires humaines ne peut être menée sans le consentement écrit préalable des membres du couple dont l'embryon est issu, ou du membre survivant de ce couple, est au nombre des conditions légales auxquelles une telle recherche est subordonnée et dont la méconnaissance est pénalement sanctionnée. Il fait partie des principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires auxquels fait référence le 4° du I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique. Dans le cas où des recherches sont envisagées sur des cellules souches embryonnaires humaines ayant fait l'objet d'une autorisation d'importation, il est exigé que le couple donneur de l'embryon dont sont issues ces cellules souches embryonnaires humaines ait consenti au don de cet embryon, dans le pays où le don a eu lieu, dans les conditions définies à l'article R. 2151-13. L'existence du consentement préalable du couple donneur est vérifiée dans le cadre de l'autorisation d'importation et non dans le cadre de l'autorisation de recherche portant sur ces cellules.

4. Les dispositions de l'article R. 2151-5 du même code prévoient la remise, au responsable d'une recherche portant sur des embryons ou des cellules souches embryonnaires développées en France, afin qu'il puisse justifier du recueil de ces consentements, comme il doit pouvoir le faire à tout moment au cours de la recherche, du document attestant du recueil des consentements, mentionné à l'article R. 2151-4 du même code, de chacun des membres du couple ou du membre survivant du couple à l'origine du don. Les mêmes dispositions prévoient, en cas de recherche portant sur des cellules souches embryonnaires importées, la remise à ce responsable des documents attestant de l'obtention de ces cellules souches embryonnaires humaines dans le respect des principes mentionnés aux articles 16 à 16-8 du code civil et du recueil des consentements mentionnés à l'article R. 2151-13.

5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'Agence de la biomédecine ne peut délivrer l'autorisation d'importation de cellules souches embryonnaires humaines prévue par les dispositions de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique que si l'organisme qui la sollicite justifie que ces cellules ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil, dont en particulier le consentement préalable du couple géniteur de l'embryon qui a été conçu dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et ne fait plus l'objet d'un projet parental, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, n'ait été alloué au couple dont il est issu. Si ces dispositions n'imposent pas à l'organisme qui sollicite l'autorisation d'importation d'apporter cette justification en produisant le formulaire de consentement rempli et signé par le couple géniteur de l'embryon dont est dérivée la lignée de cellules souches embryonnaires humaines objet de la demande d'autorisation d'importation, il incombe dans chaque cas à l'Agence de la biomédecine de s'assurer, sous le contrôle du juge, du caractère probant des documents qui lui sont présentés à l'appui de la demande.

6. En l'espèce, la cour administrative d'appel a relevé que la lignée de cellules souches embryonnaires humaines WA-09-YAP, dont l'importation a été autorisée par la décision en litige, provenait d'une précédente lignée de cellules souches embryonnaires humaines WA-09, dérivée à partir d'un embryon donné à la recherche à l'université du Wisconsin (WiCell Research Institute de Madison). Pour juger que l'organisme sollicitant l'autorisation d'importation avait justifié du recueil effectif du consentement préalable du couple donneur et de ce que la lignée de cellules souches embryonnaires humaines avait été obtenue dans le respect des principes mentionnés aux articles 16 à 16-8 du code civil, la cour s'est fondée sur les formulaires vierges d'information et de recueil de consentement destinés aux couples géniteurs de l'embryon faisant l'objet du don, répondant aux exigences posées par les dispositions précitées des articles L. 2151-6 et R. 2151-13 du code de la santé publique, fournis à l'appui de la demande, et sur l'inscription de la lignée importée au registre du National Institute of Health (NIH), dont les lignes directrices subordonnent une telle inscription au fait que lesdites cellules soient dérivées d'embryons humains créés par fécondation in vitro à des fins de reproduction et qui n'étaient plus nécessaires à cette fin, qui ont été donnés par des personnes à la recherche d'un traitement de reproduction et qui ont donné leur consentement écrit volontaire quant à l'utilisation des embryons humains à des fins de recherche, qu'aucun paiement, en espèces ou en nature, n'a été proposé pour le don d'embryons et enfin que le formulaire de consentement signé par les donneurs précise si leur anonymat sera garanti.

7. En se fondant sur ces éléments, dont elle s'est, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, livrée à une vérification concrète de la valeur probante, pour en déduire que les cellules souches embryonnaires humaines dont l'Institut national de la santé et de la recherche médicale sollicitait l'importation avaient été obtenues dans le respect des principes mentionnés aux articles 16 à 16-8 du code civil, en particulier avec le consentement préalable du couple géniteur de l'embryon, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. En application de l'article L. 1418-3 du code de la santé publique, les décisions prises par le directeur général de l'Agence de la biomédecine mentionnées au 10° de l'article L. 1418-1 du même code, qui incluent, dans sa rédaction en vigueur, les décisions d'autorisation d'importation de cellules souches embryonnaires humaines, le sont au nom de l'Etat. Par suite, les conclusions de la fondation Jérôme Lejeune tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de cette agence au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont mal dirigées et ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées. Ces dispositions font également obstacle à ce que la somme demandée au même titre par l'Agence de la biomédecine lui soit versée.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la fondation Jérôme Lejeune est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Agence de la biomédecine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la fondation Jérôme Lejeune et à l'Agence de la biomédecine.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Vincent Mazauric, M. Edouard Geffray et Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 1er octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Anne Redondo

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 466006
Date de la décision : 01/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-05-03 SANTÉ PUBLIQUE. - BIOÉTHIQUE. - TISSUS, CELLULES ET PRODUITS. - AUTORISATION D’IMPORTATION DE CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES HUMAINES PAR L’AGENCE DE LA BIOMÉDECINE (ART. L. 2151-6 DU CSP) – CONDITION TENANT AU CONSENTEMENT PRÉALABLE DU COUPLE GÉNITEUR DE L’EMBRYON – ADMINISTRATION DE LA PREUVE PAR LE DEMANDEUR – MÉTHODE.

61-05-03 L’Agence de la biomédecine ne peut délivrer l’autorisation d’importation de cellules souches embryonnaires humaines prévue par article L. 2151-6 du code de la santé publique (CSP) que si l’organisme qui la sollicite justifie que ces cellules ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil, dont en particulier le consentement préalable du couple géniteur de l’embryon qui a été conçu dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et ne fait plus l’objet d’un projet parental, et sans qu’aucun paiement, quelle qu’en soit la forme, n’ait été alloué au couple dont il est issu. Si ces dispositions n’imposent pas à l’organisme qui sollicite l’autorisation d’importation d’apporter cette justification en produisant le formulaire de consentement rempli et signé par le couple géniteur de l’embryon dont est dérivée la lignée de cellules souches embryonnaires humaines objet de la demande d’autorisation d’importation, il incombe dans chaque cas à l’Agence de la biomédecine de s’assurer, sous le contrôle du juge, du caractère probant des documents qui lui sont présentés à l’appui de la demande.


Publications
Proposition de citation : CE, 01 oct. 2024, n° 466006
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Redondo
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:466006.20241001
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