Vu la procédure suivante :
Par une décision du 23 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. A... B... dirigées contre l'arrêt n° 21NT03204 du 25 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes en tant seulement que cet arrêt a écarté la demande de réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi du fait de fautes commises dans la gestion de sa carrière entre le 14 septembre 2014 et le 13 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Jau, auditeur,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, par une ordonnance du 9 septembre 2014 de la vice-présidente du tribunal de grande instance de Brest, M. B..., professeur agrégé d'histoire et de géographie au collège de l'Harteloire dans cette même ville, a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction, notamment, de se livrer à toute activité d'enseignement à l'égard de mineurs ou le mettant en relation avec des mineurs. M. B..., qui était en congé de maladie du 2 au 15 septembre 2014, a été informé par l'administration que sa rémunération serait suspendue à compter de cette dernière date. Par un jugement du tribunal correctionnel de Brest du 15 février 2018, il a été condamné à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, pour une durée de trois ans. Par un arrêté du 13 juillet 2018, non contesté, le ministre de l'éducation nationale a prononcé sa révocation. Par un jugement du 15 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. B... tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant total de 220 000 euros en réparation des préjudices qu'il soutenait avoir subis du fait de fautes commises par l'administration entre le 15 septembre 2014 et la date de sa révocation. Par l'arrêt litigieux du 25 octobre 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement, condamné l'Etat à verser à M. B... une indemnité de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par une décision du 23 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a admis les conclusions du pourvoi en cassation de M. B... contre cet arrêt en tant seulement qu'il rejette la demande de réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi. Par la voie d'un pourvoi incident formé le 24 octobre 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande l'annulation de cet arrêt en tant qu'il condamne l'Etat à verser à M. B... une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais codifié aux articles L. 531-1 et suivants du code général de la fonction publique, dans sa version applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ". A compter de l'entrée en vigueur, le 22 avril 2016, de la loi du 20 avril 2016, la deuxième phrase du deuxième alinéa de cet article a été supprimée et le troisième alinéa remplacé par les dispositions suivantes : " Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. / (...) Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi peut subir une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée au deuxième alinéa. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut suspendre un fonctionnaire ayant commis une faute grave mais doit, à l'expiration d'un délai de quatre mois, le rétablir dans ses fonctions si aucune décision n'a été prise par elle à son encontre, sauf s'il fait l'objet de poursuites pénales. Lorsque tel est le cas, l'autorité administrative peut le rétablir dans ses fonctions si les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, ou, depuis la modification issue de la loi du 20 avril 2016, lui attribuer provisoirement une autre affectation ou procéder à son détachement, ou encore prolonger la mesure de suspension en l'assortissant, le cas échéant, d'une retenue sur traitement. Ces mêmes dispositions ne font cependant pas obligation à l'administration de prononcer la suspension qu'elles prévoient à l'encontre d'un agent empêché de poursuivre ses fonctions du fait de mesures prises dans le cadre d'une enquête ou procédure pénales, ni de lui attribuer provisoirement une autre affectation ou de le détacher dans un autre corps ou cadre d'emploi, et ne l'empêchent pas d'interrompre, indépendamment de toute action disciplinaire, le versement de son traitement pour absence de service fait, notamment dans le cas où il fait l'objet d'une incarcération ou d'une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d'exercer ses fonctions.
Sur le pourvoi formé par M. B... :
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour, après avoir jugé que l'administration avait commis des fautes en s'abstenant de rechercher pour M. B... une affectation compatible avec son contrôle judiciaire et en ne prenant aucune mesure statutaire, notamment de suspension, avant l'ouverture, postérieurement au jugement du tribunal correctionnel, d'une procédure disciplinaire, et que ces fautes, de nature à engager la responsabilité de l'Etat, étaient à l'origine de la privation de toute rémunération subie par M. B... pendant près de quatre ans, s'est bornée, pour rejeter la demande de réparation du préjudice financier qu'il soutenait avoir subi, à juger que ce préjudice demeurait incertain, dès lors que l'administration pouvait mettre en œuvre diverses voies d'action pour régler sa situation, avec des conséquences pécuniaires différentes. En rejetant ainsi l'intégralité des conclusions indemnitaires dont elle était saisie, en raison de ce qu'elle n'était pas en mesure d'établir l'importance du préjudice indemnisable dont elle constatait la réalité, alors qu'il lui revenait, le cas échéant, de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour que soit précisée l'étendue de ce préjudice, la cour administrative d'appel n'a pas complètement rempli la mission juridictionnelle qui était la sienne et commis une erreur de droit.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 170 000 euros en réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi.
Sur le pourvoi incident formé par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :
6. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande, par la voie du pourvoi incident, l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi à raison des fautes commises dans la gestion de sa situation administrative. Alors même qu'il porte sur un chef de préjudice distinct de celui auquel a été limitée l'admission du pourvoi de M. B... par la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux du 23 juin 2023, le pourvoi incident du ministre se rattache au même litige que celui que soulève le pourvoi principal. Il est par suite recevable.
7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, après avoir relevé que M. B... avait fait l'objet, pendant trois ans et demi, d'une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant notamment de se livrer à toute activité d'enseignement à l'égard de mineurs, et donc d'accomplir le service de professeur en lycée auquel il était régulièrement affecté et de recevoir la rémunération correspondante, la cour a jugé que l'absence de service fait était imputable à l'administration, dès lors que celle-ci n'avait pas recherché puis proposé à ce fonctionnaire une autre affectation, compatible avec les prescriptions de son contrôle judiciaire, ni pris une mesure de suspension, ainsi qu'elle pouvait choisir de le faire. Il résulte cependant de ce qui a été dit au point 3 que l'administration n'était tenue, ni de lui confier d'autres fonctions ou missions compatibles avec le contrôle judiciaire auquel il était soumis, ni de prendre à son égard une mesure de suspension. Dès lors, en jugeant que l'Etat avait, par son abstention, commis une illégalité fautive, la cour a commis une erreur de droit. Le ministre est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne l'Etat à verser à M. B... une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral.
8. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement au fond :
9. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que l'État a pu, sans commettre de faute, constater l'absence de service fait par M. B... en s'abstenant de lui proposer une autre affectation compatible avec son contrôle judiciaire et en ne prononçant pas sa suspension. Dès lors, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 15 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices financier et moral qu'il estime avoir subis en conséquence.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est, ni dans l'instance de cassation ni dans l'instance d'appel, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 25 octobre 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de M. B... tendant à la réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi et en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à celui-ci une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : L'appel de M. B... est rejeté, ainsi que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en cassation.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la ministre de l'éducation nationale.
Délibéré à l'issue de la séance du 16 septembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.
Rendu le 18 octobre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Jau
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin