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23/10/2024 | FRANCE | N°456108

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 23 octobre 2024, 456108


Vu la procédure suivante :



L'association Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision 6 mars 2017 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 par la société Monsanto et de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur la val

idité de règlements d'exécution. Par un jugement n° 1704067 du 15 janvier 2019...

Vu la procédure suivante :

L'association Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision 6 mars 2017 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 par la société Monsanto et de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur la validité de règlements d'exécution. Par un jugement n° 1704067 du 15 janvier 2019, le tribunal administratif de Lyon a, sur renvoi du tribunal administratif de Melun, annulé cette décision.

Par un arrêt nos 19LY01017, 19LY01031 du 29 juin 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté les appels formés par la société par actions simplifiée (SAS) Bayer Seeds, venue aux droits de la société Monsanto, et par l'ANSES contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux autres mémoires, enregistrés les 30 août et 30 novembre 2021 et les 18 avril et 11 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Bayer Seeds demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du CRIIGEN la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Bayer Seeds et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail ;

Considérant ce qui suit :

1. Le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN) a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 6 mars 2017 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la société Monsanto à mettre sur le marché le produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 comprenant du glyphosate comme substance active. Par un jugement du 15 janvier 2019, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision. Par un arrêt du 29 juin 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté les appels formés par la société Bayer Seeds, venant aux droits de la société Monsanto, et par l'ANSES contre ce jugement. La société Bayer Seeds se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Il résulte des dispositions du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil que la commercialisation et l'utilisation de tels produits, sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne, n'est possible qu'après approbation des substances actives, phytoprotecteurs et synergistes qu'ils contiennent par la Commission européenne, au regard du projet de rapport d'évaluation établi par l'Etat membre rapporteur et des conclusions adoptées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaire, et après autorisation de mise sur le marché et utilisation par l'autorité compétente de l'Etat membre concerné. Aux termes de l'article 1er, paragraphe 4, de ce règlement : " 4. Les dispositions du présent règlement se fondent sur le principe de précaution afin d'éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine et animale ou à l'environnement. En particulier, les États membres ne sont pas empêchés d'appliquer le principe de précaution lorsqu'il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l'environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire ".

3. En premier lieu, la cour administrative d'appel de Lyon a estimé que l'autorisation de mise sur le marché en litige méconnaissait le principe de précaution tel que garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement et, en conséquence, confirmé le jugement du tribunal administratif annulant cette autorisation. D'une part, le principe de précaution tel que garanti par le droit de l'Union européenne et rappelé au paragraphe 4 de l'article 1er du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, assure une protection au moins équivalente à celle découlant du principe de précaution tel que garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement. D'autre part, il n'est ni soutenu, ni établi, ni ne l'était devant les juges du fond, que l'application de ce principe communautaire de précaution conduirait à méconnaître une autre disposition ou un autre principe de l'ordre constitutionnel. Dans ces conditions et dès lors que l'article 29 du règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 opère une complète harmonisation des conditions d'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que la cour a apprécié la légalité de la décision contestée au regard du principe de précaution tel que garanti par la Charte de l'environnement alors que le CRIIGEN invoquait également, devant la cour, la méconnaissance du principe de précaution garanti par le droit de l'Union européenne. Cependant, d'une part, la société requérante ne conteste pas l'appréciation de fait à laquelle la cour s'est livrée pour juger qu'était méconnu le principe constitutionnel de précaution. D'autre part, cette appréciation conduit à regarder comme étant méconnu le principe de précaution garanti par le droit de l'Union européenne de portée au moins équivalente. Ce motif, qui dans ces conditions n'appelle pas d'appréciation de fait autre que celle à laquelle la cour s'est livrée et qui n'est pas contestée par la société requérante, peut être substitué à celui, erroné, mentionné par la cour.

4. En deuxième lieu, pour apprécier une éventuelle méconnaissance du principe de précaution par l'acte administratif dont la légalité est soumise à son examen, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de se déterminer au regard de l'ensemble des données scientifiques disponibles à la date à laquelle celui-ci a été pris, sans tenir compte d'études scientifiques postérieures, lesquelles sont sans incidence sur la légalité de l'acte contesté et seulement susceptibles, si elles remettent en cause l'appréciation initialement portée, d'imposer aux autorités compétentes d'en tirer les conséquences. C'est, dès lors, sans erreur de droit que la cour, pour se prononcer sur la méconnaissance du principe de précaution par l'autorisation de mise sur le marché contestée, a estimé que les parties ne pouvaient utilement se prévaloir des différents avis et études relatifs au glyphosate intervenus postérieurement à celle-ci.

5. En troisième lieu, c'est sans erreur de droit que la cour a exercé un contrôle entier, et non un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation, pour statuer, au vu des éléments portés à sa connaissance, sur l'existence de risques pour l'environnement et pour la santé liés à l'utilisation du Roundup Pro 360 susceptibles de justifier l'application du principe de précaution et prononcer, en application de ce principe, l'annulation de l'autorisation de mise sur le marché de ce produit phytopharmaceutique.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société Bayer Seeds ne peut qu'être rejeté. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font dès lors obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN), qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Bayer Seeds est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée (SAS) Bayer Seeds.

Copie en sera adressée à l'association Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail.

Délibéré à l'issue de la séance du 4 octobre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, M. Géraud Sajust de Bergues, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 23 octobre 2024.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 456108
Date de la décision : 23/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

NATURE ET ENVIRONNEMENT - EXAMEN PAR LE JUGE DE L’EXCÈS DE POUVOIR D’UN MOYEN TIRÉ DE SA MÉCONNAISSANCE – PRISE EN COMPTE D’ÉTUDES SCIENTIFIQUES POSTÉRIEURES À L’ACTE ATTAQUÉ – ABSENCE.

44-005-05 Pour apprécier une éventuelle méconnaissance du principe de précaution par l’acte administratif dont la légalité est soumise à son examen, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de se déterminer au regard de l’ensemble des données scientifiques disponibles à la date à laquelle celui-ci a été pris, sans tenir compte d’études scientifiques postérieures, lesquelles sont sans incidence sur la légalité de l’acte contesté et seulement susceptibles, si elles remettent en cause l’appréciation initialement portée, d’imposer aux autorités compétentes d’en tirer les conséquences.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - MOYENS - MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION – EXAMEN PAR LE JUGE DE L’EXCÈS DE POUVOIR – PRISE EN COMPTE D’ÉTUDES SCIENTIFIQUES POSTÉRIEURES À L’ACTE ATTAQUÉ – ABSENCE.

54-07-01-04 Pour apprécier une éventuelle méconnaissance du principe de précaution par l’acte administratif dont la légalité est soumise à son examen, il appartient au juge de l’excès de pouvoir de se déterminer au regard de l’ensemble des données scientifiques disponibles à la date à laquelle celui-ci a été pris, sans tenir compte d’études scientifiques postérieures, lesquelles sont sans incidence sur la légalité de l’acte contesté et seulement susceptibles, si elles remettent en cause l’appréciation initialement portée, d’imposer aux autorités compétentes d’en tirer les conséquences.


Publications
Proposition de citation : CE, 23 oct. 2024, n° 456108
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Muriel Deroc
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 07/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:456108.20241023
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