La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/11/2024 | FRANCE | N°490395

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 04 novembre 2024, 490395


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 22 décembre 2023 et le 22 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 4 août 2023 refusant de proposer au Conseil supérieur de la magistrature sa candidature à la nomination aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire, ainsi que la décision du 23 octobre 2023 rejeta

nt son recours gracieux et refusant de transmettre sa candidature au Conseil supérieur ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 22 décembre 2023 et le 22 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 4 août 2023 refusant de proposer au Conseil supérieur de la magistrature sa candidature à la nomination aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire, ainsi que la décision du 23 octobre 2023 rejetant son recours gracieux et refusant de transmettre sa candidature au Conseil supérieur de la magistrature ;

2°) d'enjoindre à l'administration de produire tout élément permettant d'établir l'état de disponibilité des postes de magistrat exerçant à titre temporaire au sein du tribunal judiciaire de Sarreguemines.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- l'arrêté du 30 décembre 2019 relatif à l'organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la justice ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, saisi par M. B... de sa candidature aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire, le garde des sceaux, ministre de la justice, a, par une décision du 4 août 2023, refusé de proposer celle-ci au Conseil supérieur de la magistrature. Par une décision du 23 octobre 2023, il a rejeté le recours gracieux dont il était saisi et refusé de transmettre la candidature de M. B... au Conseil supérieur de la magistrature. Par la présente requête, M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces décisions.

Sur la légalité externe

2. En premier lieu, il résulte, d'une part, de la décision du directeur des services judiciaires du 30 mars 2023, publiée au Journal officiel de la République française le 2 avril 2023, que Mme D... C..., cheffe du bureau des magistrats exerçant à titre temporaire et des juges élus ou désignés, avait reçu délégation pour signer, au nom du garde des sceaux, la décision de refus de proposition au conseil supérieur de la magistrature du 4 août 2023. Il résulte, d'autre part, des dispositions de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, et de l'article 13 de l'arrêté du 30 décembre 2019 relatif à l'organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la justice, que la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires du ministère de la justice, dont l'arrêté de nomination pour une durée de trois ans à compter du 1er février 2021 a été publié au Journal officiel de la République française le 27 janvier 2021, avait, du fait de cette nomination, compétence pour signer la décision de rejet du recours gracieux du 23 octobre 2023 au nom du ministre. Le moyen tiré de l'incompétence des autorités signataires des décisions attaquées doit, par suite, être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 35-1 du décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Tout candidat aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire (...) doit transmettre sa demande, adressée au garde des sceaux, aux chefs de la cour d'appel dans le ressort de laquelle il réside, qui procèdent à l'instruction de sa candidature ". Aux termes du premier alinéa de l'article 35-2 de ce même décret : " Le dossier de candidature, assorti de l'avis motivé des chefs de cour, est transmis au garde des sceaux, ministre de la justice, qui procède, le cas échéant, à une instruction complémentaire ".

4. Si le requérant soutient que les décisions attaquées seraient entachées d'irrégularité au motif que l'entretien d'examen de sa candidature a été mené par des représentants de la première présidente de la cour d'appel de Colmar et du procureur général près cette cour, alors que la fiche d'entretien comporte la signature de la première présidente, il ne résulte ni des dispositions des articles 35-1 et 35-2 du décret du 7 janvier 1993 citées au point précédent ni d'aucun autre texte ou principe général, que les chefs de cour ne pourraient donner délégation à leurs secrétaires généraux pour conduire ces entretiens en leur nom. Ainsi, quelles que soient les signatures qui figurent sur la fiche établie à l'issue de l'entretien, le moyen ne peut qu'être écarté.

5. Enfin, la seule circonstance que la durée de l'entretien de M. B... ait été de vingt minutes ne permet pas d'établir que sa candidature n'ait pas fait l'objet d'un examen sérieux et suffisamment approfondi. Le moyen tiré de ce que les décisions attaquées auraient, pour ce motif, été prises au terme d'une procédure irrégulière doit, par suite, être écarté.

Sur la légalité interne

6. L'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit, à son chapitre V bis, des possibilités d'intégration provisoire et à temps partiel dans le corps judiciaire, parmi lesquelles figure le recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire. Aux termes de l'article 41-10 de cette ordonnance, dans la version applicable au litige : " Peuvent être nommées magistrats exerçant à titre temporaire, pour exercer des fonctions de juge des contentieux de la protection, d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux judiciaires, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, les personnes âgées d'au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions./ (...) / Elles doivent soit remplir les conditions prévues au 1°, 2° ou 3° de l'article 22, soit être membre ou ancien membre des professions libérales juridiques et judiciaires soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et justifier de cinq années au moins d'exercice professionnel (...) ". Aux termes de l'article 22 de l'ordonnance, dans la version applicable au litige : " Peuvent être nommés directement aux fonctions du second grade de la hiérarchie judiciaire, à condition d'être âgés de trente-cinq ans au moins : / 1° Les personnes remplissant les conditions prévues à l'article 16 et justifiant de sept années au moins d'exercice professionnel les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ; (...) ". Aux termes de l'article 41-12 de cette même ordonnance, dans la version applicable au litige : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, dans les formes prévues pour les magistrats du siège. / (...) / Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions de dépôt et d'instruction des dossiers de candidature, les modalités d'organisation et la durée de la formation ". Aux termes de l'article 28 de l'ordonnance : " Les décrets de nomination aux fonctions de président d'un tribunal judiciaire ou d'un tribunal de première instance ou de conseiller référendaire à la Cour de cassation sont pris par le Président de la République sur proposition de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. / Les décrets portant promotion de grade ou nomination aux fonctions de magistrat autres que celles mentionnées à l'alinéa précédent sont pris par le Président de la République sur proposition du garde des sceaux, ministre de la justice, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature pour ce qui concerne les magistrats du siège (...) ". Enfin, aux termes de l'article 35-1 du décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application de cette ordonnance : " Tout candidat aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire (...) doit transmettre sa demande, adressée au garde des sceaux, aux chefs de la cour d'appel dans le ressort de laquelle il réside, qui procèdent à l'instruction de sa candidature. Le dossier de candidature doit comporter l'indication du ou des tribunaux judiciaires dans lesquels l'intéressé aspire à être nommé ainsi que des fonctions qu'il souhaite exercer ". Aux termes de l'article 35-2 du même décret : " (...) Le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège des projets de nomination aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire. / Il lui transmet, avec chaque projet de première nomination, la liste de tous les candidats aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire dans la même juridiction. / Les dossiers de l'ensemble des candidats aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire sont tenus à la disposition de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ".

7. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au garde des sceaux, qui dispose, en vertu de l'article 35-2 du décret du 7 janvier 1993, d'un pouvoir d'instruction propre, de s'assurer, avant de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, de la recevabilité des dossiers de candidature aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire qui lui sont transmis par les chefs de cour d'appel. Il lui revient à ce titre, dans un premier temps, d'écarter les candidatures qui ne répondent pas aux conditions d'âge, de diplôme et d'exercice professionnel découlant de l'article 41-10 de l'ordonnance, avant, dans un second temps, de transmettre l'ensemble des candidatures recevables au Conseil supérieur de la magistrature et de proposer à la nomination, parmi les candidats qui satisfont à ces conditions, ceux dont il estime qu'ils remplissent également l'exigence selon laquelle les intéressés doivent détenir une compétence et une expérience les qualifiant particulièrement pour l'exercice de ces fonctions judiciaires.

8. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier ni des énonciations des décisions attaquées, contrairement à ce que soutient le requérant, que le garde des sceaux, en se référant à l'avis défavorable émis par les chefs de cour, aurait méconnu l'étendue de sa compétence.

9. En deuxième lieu, si M. B... conteste le courrier du 23 octobre 2023 de la direction des services judiciaires en tant qu'il lui aurait opposé un refus de transmission de sa candidature au Conseil supérieur de la magistrature, il ressort des pièces du dossier que ce courrier se bornait à informer M. B... que, conformément à la procédure prévue à l'article 35-2 du décret du 7 janvier 1993, sa candidature serait transmise au Conseil supérieur de la magistrature lorsque serait ouvert un poste de magistrat à titre temporaire au tribunal judiciaire de Sarreguemines. La circonstance que sa candidature n'ait pas encore été transmise au Conseil supérieur de la magistrature à la date de la décision litigieuse, portant refus de proposition, est par ailleurs sans incidence sur la légalité de cette dernière.

10. Enfin, si M. B... fait valoir qu'il justifie d'une longue expérience professionnelle en qualité d'huissier de justice et qu'il est notamment titulaire d'une maîtrise de droit ainsi que d'un diplôme universitaire de droit local alsacien, il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas sérieusement contesté qu'il a montré, lors de son entretien, d'importantes lacunes dans ses connaissances juridiques, notamment en droit pénal. Il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le garde des sceaux aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de proposer sa candidature au Conseil supérieur de la magistrature.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque. Ses conclusions à fin d'injonction doivent, en conséquence, être également rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 26 septembre 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 4 novembre 2024.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Destais

La secrétaire :

Signé : Mme Magalie Café


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 490395
Date de la décision : 04/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 nov. 2024, n° 490395
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nathalie Destais
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP L. POULET-ODENT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490395.20241104
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award