Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 janvier et 9 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée - Soins médicaux de réadaptation (FHP - SMR) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le 1° de l'article 1er et le 2° de l'article 2 du décret n° 2023-696 du 29 juillet 2023 relatif à la réforme du financement des activités de soins médicaux et de réadaptation, ainsi que la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté le recours gracieux formé contre ce décret ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 ;
- la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 ;
- la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 ;
- le décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique du litige :
1. En vertu du I de l'article L. 162-23 du code de la sécurité sociale, chaque année, est défini un objectif de dépenses d'assurance maladie afférents aux activités de soins de suite et de réadaptation, devenus soins médicaux et de réadaptation, qui sont exercées par les différents établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 de ce code. Cet objectif est constitué du montant annuel de charges supportées par les régimes obligatoires d'assurance maladie afférentes aux frais d'hospitalisation au titre des soins dispensés au cours de l'année dans le cadre de ces activités. L'article L. 162-23-1 du code de la sécurité sociale prévoit que, pour ces activités, " un décret en Conseil d'Etat, pris après avis des organisations les plus représentatives des établissements de santé, détermine : / 1° Les catégories de prestations d'hospitalisation sur la base desquelles les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent la classification des prestations donnant lieu à une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale ; / 2° Les catégories de prestations pour exigence particulière des patients, sans fondement médical, qui donnent lieu à une facturation sans prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale ; / 3° Les modalités de facturation des prestations d'hospitalisation faisant l'objet d'une prise en charge par l'assurance maladie ". L'article L. 162-23-3 du même code précise que, pour ces activités de soins, les différents établissements de santé mentionnés à l'article L. 162-22-6 de ce code " bénéficient d'un financement mixte sous la forme de recettes issues directement de l'activité, dans les conditions prévues au I de l'article L. 162-23-4, et d'une dotation forfaitaire visant à sécuriser de manière pluriannuelle le financement de leurs activités, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat ". Le I de l'article L. 162-23-4 de ce code dispose que : " Chaque année, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent, selon les modalités prévues au II de l'article L. 162-23 : / 1° Les tarifs nationaux des prestations mentionnées au 1° de l'article L. 162-23-1, qui peuvent être différenciés par catégories d'établissements, notamment en fonction des conditions d'emploi du personnel médical. Ces tarifs sont calculés en fonction de l'objectif défini à l'article L. 162-23 ; / 2° Le cas échéant, les coefficients géographiques s'appliquant aux tarifs nationaux mentionnés au 1° du présent article et au forfait prévu à l'article L. 162-23-7 des établissements implantés dans certaines zones, afin de tenir compte d'éventuels facteurs spécifiques qui modifient de manière manifeste, permanente et substantielle le prix de revient de certaines prestations dans la zone considérée ; / 3° Le coefficient mentionné au I de l'article L. 162-23-5 ; / 4° Les modalités de calcul de la dotation forfaitaire mentionnée à l'article L. 162-23-3 ; / 6° Le montant des forfaits annuels mentionnés à l'article L. 162-23-7. / Sont applicables au 1er mars de l'année en cours les éléments mentionnés aux 1° à 3°. / Sont applicables au 1er janvier de l'année en cours les éléments mentionnés aux 4° à 6° ".
2. Sur le fondement de ces dispositions, afin de prolonger jusqu'au 30 juin 2023 les dispositions transitoires d'entrée en vigueur de la réforme du financement des activités de soins médicaux et de réadaptation comme le prévoit le III de l'article 107 de la loi du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023, le décret du 29 juillet 2023 relatif à la réforme du financement des activités de soins médicaux et de réadaptation modifie le décret du 21 avril 2022 visé ci-dessus, lequel détermine les modalités de calcul des recettes issues de l'activité et de la dotation qui composent le financement mixte des établissements exerçant des activités de soins médicaux et de réadaptation, fixe les conditions du versement à ces établissements des dotations et des forfaits composant ce financement et organise l'entrée en vigueur de ces nouvelles modalités de financement. Le décret du 29 juillet 2023 prévoit en outre, pour le calcul des recettes issues de l'activité de ces établissements, l'application d'un coefficient aux tarifs nationaux des prestations mentionnées au 1° de l'article L. 162-23-1 au titre des dispositifs de revalorisations salariales issus du " Ségur de la santé ". La Fédération de l'hospitalisation privée - Soins médicaux de réadaptation (FHP - SMR) demande l'annulation pour excès de pouvoir du 1° de l'article 1er et du 2° de l'article 2 de ce décret.
Sur la légalité du 1° de l'article 1er du décret attaqué :
3. Le 1° de l'article 1er du décret attaqué ajoute au II de l'article R. 162-34-5 du code de la sécurité sociale un alinéa disposant que : " Les tarifs nationaux des prestations mentionnés au 1° du I de l'article L. 162-23-4 sont modulés par l'application d'un coefficient tenant compte, pour les établissements de santé bénéficiaires, des effets induits par les dispositifs de revalorisation salariale des personnels médicaux et non médicaux. La liste de ces dispositifs est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. La valeur de ce coefficient, différenciée par catégorie de bénéficiaires, est définie chaque année par arrêté des mêmes ministres, dans les conditions prévues au I du même article ".
4. Il résulte par ailleurs de l'article 3 du décret attaqué que ces dispositions entrent en vigueur au 1er juillet 2023 et de l'article 4 du décret du 21 avril 2022, dans sa rédaction issue du 3° de l'article 2 du décret attaqué, que, pour les prestations de soins réalisées entre le 1er juillet 2023 et le 31 décembre 2023, les établissements perçoivent un montant de recettes déterminé selon les modalités prévues par le 2° du E du III de l'article 78 de la loi du 21 décembre 2015 et l'article 2 du décret du 21 avril 2022 pour la période du 1er mars 2017 au 30 juin 2023 au plus tard. Il leur est ensuite versé le différentiel, s'il est positif, entre, d'une part, le montant, arrêté au plus tard le 30 mars 2024, du financement mixte mentionné à l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale au titre de la même période du 1er juillet 2023 au 31 décembre 2023 et, d'autre part, le montant de recettes déterminé selon les modalités prévues par le 2° du E du III de l'article 78 de la loi du 21 décembre 2015 et l'article 2 du décret du 21 avril 2022 qui leur a été versé.
5. En premier lieu, il résulte des termes mêmes du II de l'article R. 162-34-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du 1° de l'article 1er du décret attaqué, que les " établissements de santé bénéficiaires " s'entendent nécessairement des établissements bénéficiaires des dispositifs de revalorisation salariale issus du " Ségur de la santé ". Ces dispositions, qui prévoient le principe d'une modulation des tarifs nationaux des prestations mentionnées au 1° du I de l'article L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale par application d'un coefficient tenant compte des effets induits par ces dispositifs de revalorisation salariale, ne sont entachées d'aucune subdélégation illégale en ce qu'elles renvoient à un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale la définition chaque année de la valeur de ce coefficient, après avoir précisé qu'elle devrait l'être dans les conditions prévues au I du même article et être différenciée par catégorie de bénéficiaires, sans déterminer elles-mêmes ces différentes catégories de bénéficiaires ni les modalités de calcul de la valeur de ce nouveau coefficient.
6. En second lieu, la circonstance que les revalorisations salariales issues du " Ségur de la santé " aient jusqu'alors donné lieu à des dotations d'aide à la contractualisation ne faisait pas obstacle à ce qu'elles fussent, à compter du 1er juillet 2023, intégrées aux tarifs nationaux par l'application à ceux-ci du coefficient mentionné au point 5. Il résulte des dispositions citées au point 4 que, contrairement à ce qui est soutenu, un régime transitoire de financement est institué, qui reprend le mode de calcul de recettes retenu pour les périodes antérieures au 1er juillet 2023 et ne conduit à l'application des nouvelles modalités de calcul des recettes, incluant notamment le coefficient tenant compte des dispositifs de revalorisations salariales issus du " Ségur de la santé ", que si elles conduisent à un montant supérieur à celui résultant de l'ancien mode de calcul. Les dispositions contestées ne sont donc en tout état de cause pas de nature à remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire des dispositions auxquelles elles se sont substituées. En outre, il ressort des pièces du dossier que la fédération requérante, de même que les autres organisations concernées, s'est vu communiquer par l'administration le projet de décret contesté le 2 mai 2023.
7. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions nouvelles qui sont, par ailleurs, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, suffisamment précises, seraient entrées en vigueur dans des conditions méconnaissant le principe de sécurité juridique, alors en tout état de cause que ces conditions résultent des dispositions du décret rappelées au point 4 dont elle ne demande pas l'annulation.
En ce qui concerne le 2° de l'article 2 du décret attaqué :
8. Le 2° de l'article 2 du décret attaqué modifie l'article 3 du décret du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation pour prévoir que : " A compter du 1er janvier 2024 et jusqu'au mois suivant les notifications des montants mentionnés à l'article R. 162-34-9 du code de la sécurité sociale au titre de l'année 2024, les établissements de santé et le service de santé des armées perçoivent un acompte mensuel au titre de leurs activités de soins médicaux et de réadaptation. / Pour les établissements mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du même code, par exception à la première phrase du dernier alinéa de l'article R. 174-22-1 de ce code, le montant de cet acompte est établi à partir des recettes perçues au titre des activités de soins médicaux et de réadaptation entre le 1er janvier et le 30 juin 2023, dans des conditions définies par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ".
9. En premier lieu, les dispositions renvoyant à un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale le soin de définir les conditions permettant d'établir le montant de l'acompte mensuel versé au titre des activités de soins médicaux et de réadaptation aux établissements mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale précisent la période pour laquelle cet acompte est perçu et la base sur laquelle son montant doit être établi. Par suite, alors même qu'elles ne fixent pas d'échéance pour la publication de cet arrêté ni ne détaillent davantage la base de calcul à retenir, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elles auraient procédé à une subdélégation illégale.
10. En second lieu, en ce qu'elles retiennent comme base de calcul de l'acompte le montant des recettes réalisées du 1er janvier au 30 juin 2023, et alors même que ce montant pourrait ne refléter que de façon imparfaite l'activité de certains établissements du fait des particularités de leur situation au cours de cette période, ces dispositions, qui n'affectent qu'une partie du financement mixte prévu par l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, donnant lieu ensuite à une régularisation lors de la notification des dotations et du forfait arrêtés par le directeur général de l'agence régionale de santé pour chaque établissement en application de l'article R. 162-34-9 de ce code, ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par la Fédération de l'hospitalisation privée - Soins médicaux de réadaptation doivent être rejetées. Il en va de même, par suite, de ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Fédération de l'hospitalisation privée - Soins médicaux de réadaptation (FHP - SMR) est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de l'hospitalisation privée - Soins médicaux de réadaptation (FHP - SMR) et à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.