Vu la procédure suivante :
L'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autre ont demandé à la cour administrative d'appel de Lyon, d'une part, d'annuler la décision du 7 décembre 2020 par laquelle le préfet de la Côte-d'Or a implicitement refusé d'enjoindre à la société Parc éolien des Sources du Mistral de déposer une demande de dérogation à la protection des espèces protégées au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, ainsi que l'arrêté du 6 septembre 2021 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a fixé des prescriptions complémentaires pour l'exploitation du parc éolien exploité par cette société, d'autre part, d'enjoindre à cette société de déposer une demande de dérogation, enfin, de prescrire à titre conservatoire, dans l'attente de la délivrance de la dérogation, des mesures pour assurer la préservation du milan royal et d'autres espèces d'oiseaux protégées. Par un arrêt n°s 21LY00407, 22LY00073 du 15 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leur requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 15 février, 12 mai et 13 décembre 2023 et 26 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et l'association Fédération Environnement Durable demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur requête ;
3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société Parc éolien des Sources du Mistral la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autre et à Me Guermonprez-Tanner, avocat de la société Parc éolien des Sources du Mistral ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par plusieurs arrêtés du 7 juin 2013, le préfet de la Côte-d'Or a délivré à la société Parc éolien des Sources du Mistral les permis de construire et l'autorisation d'exploiter un parc de neuf éoliennes sur le territoire des communes de Sacquenay et Chazeuil, qui a été mis en service en juin 2019. A la suite d'un rapport de suivi environnemental transmis en mai 2020 à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) Bourgogne, faisant état de cas de mortalité de chiroptères et d'oiseaux protégés, notamment de trois milans royaux au pied des éoliennes E2, E7 et E9, le préfet de la Côte-d'Or a, par un arrêté du 18 août 2020, fixé des prescriptions complémentaires destinées à prévenir les collisions mortelles entre les milans royaux et ce parc éolien. Le 7 décembre 2020, le préfet de la Côte-d'Or a implicitement rejeté la demande que lui avaient adressée l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autre, tendant à ce qu'il mette la société Parc éolien des Sources du Mistral en demeure de présenter une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, notamment en ce qui concerne les milans royaux. Par un arrêté du 6 septembre 2021, le préfet de la Côte-d'Or a imposé à cette société des prescriptions complémentaires destinées à prévenir les collisions mortelles entre les chiroptères protégés et ce parc éolien. Par un arrêt du 15 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté les requêtes de l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autres tendant à l'annulation de la décision implicite du 7 décembre 2020 et de l'arrêté du 6 septembre 2021. L'association se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens (...) ". Aux termes de l'article R. 411-6 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / Le silence gardé pendant plus de quatre mois par l'autorité administrative sur une demande de dérogation vaut décision de rejet. / Toutefois, lorsque la dérogation est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d'application de l'article L. 181-1, l'autorisation environnementale prévue par cet article tient lieu de la dérogation définie par le 4° de l'article L. 411-2. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour l'autorisation environnementale et les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables ". Aux termes de l'article R. 411-11 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 précisent les conditions d'exécution de l'opération concernée. Elles peuvent être subordonnées à la tenue d'un registre (...) ". Aux termes de l'article R. 411-12 du même code : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 peuvent être suspendues ou révoquées, le bénéficiaire entendu, si les conditions fixées ne sont pas respectées ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées : " La demande de dérogation (...) comprend : (...) La description, en fonction de la nature de l'opération projetée : (...) s'il y a lieu, des mesures d'atténuation ou de compensation mises en œuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées (...) ". Aux termes de l'article 4 de cet arrêté, la décision précise, en cas d'octroi d'une dérogation, " la motivation de celle-ci et, en tant que de besoin, en fonction de la nature de l'opération projetée, les conditions de celles-ci, notamment : (...) nombre et sexe des spécimens sur lesquels porte la dérogation " et " s'il y a lieu, mesures de réduction ou de compensation mises en œuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées ainsi qu'un délai pour la transmission à l'autorité décisionnaire du bilan de leur mise en œuvre ". Les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixent, respectivement, la liste des mammifères terrestres et des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.
3. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
4. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.
5. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'exploitation du parc éolien en cause ne présentait pas un risque suffisamment caractérisé d'atteinte à des espèces protégées, la cour s'est fondée sur les mesures de réduction édictées par l'administration au titre des prescriptions complémentaires, dont elle a estimé qu'elles devaient permettre de réduire significativement le danger de collision et de destruction des espèces protégées concernées. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le risque d'atteinte aux espèces protégées que présente ce parc éolien est avéré, plusieurs spécimens décédés de milans royaux, de pipistrelles communes et de pipistrelles de Kuhl ayant été retrouvés à proximité immédiate du parc après sa mise en service en juin 2019. D'autre part, si, pour estimer que le risque d'atteinte aux milans royaux pouvait être notablement réduit par l'application des prescriptions complémentaires prévues par l'arrêté préfectoral du 18 août 2020, la cour s'est principalement fondée sur la mise en œuvre du dispositif de bridage dynamique " ProBird ", destiné à assurer l'effarouchement sonore des oiseaux et à dévier leur trajectoire de vol en dehors de la zone de survol des pales, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que cette mesure de réduction ne présente pas de garanties d'effectivité telles qu'elle puisse être regardée comme permettant de diminuer de manière suffisante le risque de destruction de milans royaux. En outre, il ressort des motifs même de l'arrêt attaqué qu'une part significative des chiroptères présents dans la zone d'implantation du parc ne sera pas protégée, la cour ayant relevé que les mesures de bridage prévues par l'arrêté préfectoral du 6 septembre 2021 ne seraient susceptibles de couvrir qu'environ 80 % des spécimens concernés. Dès lors, en jugeant que le projet litigieux ne présentait pas de risque suffisamment caractérisé d'atteinte à des espèces protégées et que les requérantes n'étaient par suite pas fondées à soutenir que l'arrêté en litige méconnaissait les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, faute d'être accompagné de la dérogation prévue au 4° de l'article L. 411-2, alors que, d'une part, le risque de mortalité pour plusieurs espèces protégées était avéré et que, d'autre part, l'efficacité des mesures de réduction envisagées n'était pas établie, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que les requérantes sont fondées à demander l'annulation de l'arrêt qu'elles attaquent.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autre qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Parc éolien des Sources du Mistral le versement d'une somme globale de 3 000 euros à l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autre, au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 15 décembre 2022 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : La société Parc éolien des Sources du Mistral versera à l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et à l'association Fédération Environnement Durable la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Parc éolien des Sources du Mistral au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne, représentante unique des requérantes, à la société Parc éolien des Sources du Mistral et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 septembre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; Mme Pauline Hot, maîtresse des requêtes et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 6 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain