Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 septembre et 29 décembre 2023 et 9 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association professionnelle nationale des militaires de la gendarmerie du XXIème siècle (APNM GEND XXI) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-675 du 28 juillet 2023 modifiant le statut particulier du corps des sous-officiers de gendarmerie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le décret n° 2008-952 du 12 septembre 2008 ;
- l'arrêté du 3 octobre 2016 portant règlement intérieur du Conseil supérieur de la fonction militaire et des conseils de la fonction militaire ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Goyet, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de l'Association Professionnelle Nationale des Militaires de la Gendarmerie du XXIème siècle ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 octobre 2024, présentée par l'Association professionnelle nationale des militaires de la gendarmerie du XXIème siècle ;
Considérant ce qui suit :
1. L'Association professionnelle nationale des militaires de la gendarmerie du XXIème siècle (APNM GEND XXI) demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 28 juillet 2023 modifiant le statut particulier du corps des sous-officiers de gendarmerie.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du Gouvernement, que, contrairement à ce qui est soutenu, le décret a été signé par la Première ministre et contresigné par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, le ministre des armées, le ministre de la transformation et de la fonction publique et le ministre délégué chargé des comptes publics. La circonstance que le texte publié au Journal officiel ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la légalité du décret attaqué, de même que la circonstance qu'il n'est pas justifié, par les pièces versées au dossier, que l'agent ayant délivré l'ampliation disposait d'une délégation de signature à cette fin.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 4124-1 du code la défense, le Conseil supérieur de la fonction militaire " exprime son avis : / (...) 3° Sur les projets de décret portant statut particulier des militaires mentionnés à l'article L. 4111-2 ainsi que les projets de décret comportant des dispositions statutaires communes à plusieurs corps ou catégories de militaires (...) ". Aux termes de l'article R. 4124-9 du même code : " Le Conseil supérieur de la fonction militaire et les conseils de la fonction militaire ne peuvent délibérer que si soixante pour cent de leurs membres sont présents à l'ouverture de la session. Leurs avis sont recueillis à la majorité des membres présents ". Aux termes de l'article 9 de l'arrêté du 3 octobre 2016 portant règlement intérieur du Conseil supérieur de la fonction militaire et des conseils de la fonction militaire : " Les convocations pour les travaux du Conseil supérieur de la fonction militaire sont adressées directement et personnellement aux membres par le secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire (...) ". Aux termes de l'article 16 de cet arrêté : " (...) Les membres titulaires des conseils de la fonction militaire disposent de tous moyens nécessaires à l'accomplissement de leur mission notamment de la communication de tous documents utiles à leurs travaux et d'un accès aux réseaux informatiques (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que les membres du Conseil supérieur de la fonction militaire ont été régulièrement convoqués le 14 mars 2023 à la séance du 27 mars au 31 mars 2023 au cours de laquelle l'avis du Conseil sur le projet de décret a été adopté et qu'ils étaient informés du projet de décret et de l'avis du conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale. Si l'association requérante soutient que le quorum n'était pas atteint lors de cette réunion et que l'avis du Conseil sur le projet de décret n'a pas été émis à la majorité des membres présents, elle n'apporte aucun élément au soutien de ces allégations. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le Conseil supérieur de la fonction militaire aurait été irrégulièrement consulté.
5. En troisième lieu, lorsqu'un décret doit être pris en Conseil d'Etat, le texte retenu par le Gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu'il avait soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, en particulier de la copie de la minute de la section de l'administration du Conseil d'Etat, telle qu'elle a été versée au dossier par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, que le décret attaqué ne contient pas de dispositions qui diffèreraient du texte adopté par la section de l'administration. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret doit être écarté.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
6. Aux termes de l'article 9 du décret du 12 septembre 2008 portant statut particulier du corps des sous-officiers de gendarmerie, dans sa rédaction résultant du décret attaqué : " Lors de l'avancement de grade, les sous-officiers de gendarmerie sont classés dans les échelons de leur nouveau grade mentionnés dans le tableau figurant à l'article 8 comportant un indice égal ou, à défaut, immédiatement supérieur à celui qu'ils détenaient dans leur précédent grade. / Ils conservent, le cas échéant, l'ancienneté d'échelon qu'ils avaient acquise dans leur précédent grade lorsque le gain indiciaire consécutif à leur avancement est inférieur à celui que leur aurait procuré un avancement d'échelon dans leur précédent grade. (...) ". L'article 18 du décret du 28 juillet 2023 attaqué prévoit que, jusqu'au 31 décembre 2028, les sous-officiers qui ont accédé à leur grade avant le 1er janvier 2024 sont, lors de leur prochain avancement de grade, s'ils y ont intérêt, reclassés dans un échelon de leur nouveau grade déterminé en fonction de leur ancienneté de service.
7. La requérante soutient que le décret attaqué méconnaît le principe d'égalité et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il aurait notamment pour effet de reclasser un gendarme bénéficiant d'une promotion dans le grade de maréchal des logis-chef, juste avant le terme des 10 ans d'ancienneté, et avant l'entrée en vigueur de de décret, à un échelon inférieur, à celui auquel serait reclassé, après l'entrée en vigueur du décret, un gendarme qui serait promu plus tardivement après avoir atteint ce seuil d'ancienneté. Par les moyens qu'elle invoque, l'association requérante doit ainsi être regardée comme demandant l'annulation de l'article 18 du décret du 28 juillet 2023 en tant qu'il prévoit, à titre transitoire, que, s'ils y ont intérêt, les sous-officiers promus au grade supérieur sont reclassés au deuxième échelon de ce grade si leur ancienneté de service, à la date de cette promotion, est supérieure à une durée déterminée et sont reclassés au 1er échelon si leur ancienneté de service est inférieure à cette durée.
8. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les dispositions contestées du décret du 28 juillet 2023 se bornent à prévoir le maintien des modalités de reclassement existant antérieurement, à titre transitoire et s'ils y ont intérêt, pour les seuls sous-officiers ayant accédé à leur grade avant le 1er janvier 2024 et promus au grade supérieur avant le 31 décembre 2028. D'autre part, il ressort de ces mêmes pièces que les promotions de grade des sous-officiers de la gendarmerie sont soumises à des conditions d'ancienneté dans le grade et non d'ancienneté dans l'échelon pouvant ainsi justifier, dans l'intérêt du sous-officier concerné, le bénéfice d'une promotion plus précoce au grade supérieur lui permettant un accès plus rapide au grade ultérieur. Contrairement à ce que soutient la requérante, la situation invoquée ne résulte ainsi pas des modalités de reclassement prévues, par ailleurs, par ce décret mais de la décision individuelle de promotion de grade prononcée par l'administration et du choix de la date à laquelle celle-ci est prononcée. Les agents promus à des dates et à des anciennetés différentes n'étant pas dans la même situation et l'application des dispositions contestées n'ayant pas pour effet une inversion de l'ordre d'ancienneté, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité ni qu'elles seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'Association professionnelle nationale des militaires de la gendarmerie du XXIème siècle n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elle attaque. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Association professionnelle nationale des militaires de la gendarmerie du XXIème siècle est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association professionnelle nationale des militaires de la gendarmerie du XXIème siècle et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre des armées et des anciens combattants, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique l'industrie, au ministre des armées, au ministre de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l'action publique et au ministre auprès du Premier ministre, délégué chargé du budget et des comptes publics.