Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de sa vaccination contre l'hépatite B. Par un jugement n° 1605422 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'ONIAM à lui verser la somme de 392 273,79 euros en réparation de ses préjudices.
Par un arrêt n° 21NT00333 du 3 juin 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel de l'ONIAM, annulé ce jugement et rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A....
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er août et 17 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de l'ONIAM ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de Mme A... et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Vu la note en délibérée, enregistrée le 10 octobre 2024, présentée par l'office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... a été vaccinée à plusieurs reprises contre l'hépatite B en 2006, à titre obligatoire afin de devenir agent des services hospitaliers. En août 2007, elle a été diagnostiquée comme atteinte d'une sclérose en plaques, pathologie qu'elle impute à ces vaccinations. Elle a formé une demande préalable d'indemnisation auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), qui l'a rejetée le 2 novembre 2016. Par un jugement du 2 décembre 2020, le tribunal administratif de Rennes a mis à la charge de l'ONIAM le versement à Mme A... d'une indemnité de 392 273,79 euros en réparation de ses préjudices sur le fondement de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique. L'intéressée se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 juin 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur appel de l'ONIAM, après avoir, en application de l'article R. 625-3, devenu l'article R. 626-3, du code de justice administrative, invité l'Académie nationale de médecine à produire des observations d'ordre général destinées à l'éclairer sur la solution à donner au litige, a annulé ce jugement et rejeté sa demande d'indemnisation.
2. Saisis d'un litige individuel portant sur la réparation des conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, il appartient aux juges du fond, dans un premier temps, non pas de rechercher si le lien de causalité entre la vaccination et l'affection présentée est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant eux, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il leur appartient ensuite, soit, s'il ressort de cet examen qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination obligatoire subie par la victime et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressort pas du dossier qu'ils peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que la vaccination.
3. Pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme A..., la cour administrative d'appel a, aux points 5 à 7 de son arrêt, analysé les observations d'ordre général de l'Académie nationale de médecine qu'elle avait sollicitées et en a déduit qu'" en l'état des connaissances scientifiques (...), aucune probabilité d'un lien de causalité entre l'injection du vaccin contre le virus de l'hépatite B et la survenue d'une sclérose en plaques ne peut être retenue ".
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'hypothèse d'un lien entre vaccination contre l'hépatite B et sclérose en plaques a été avancée, notamment en France, sur la base de séries d'associations temporelles et d'observations à partir du système de pharmacovigilance à la suite de la campagne de vaccination du nourrisson et de l'adolescent engagée en 1995. Dans ses observations d'ordre général mentionnées plus haut, l'Académie nationale de médecine a rappelé ces éléments et a indiqué que les études épidémiologiques ultérieures, réalisées notamment à la demande des autorités de santé, en France et à l'étranger, n'ont jamais validé l'hypothèse d'un risque accru de développer cette pathologie chez les patients vaccinés contre l'hépatite B. Ces observations s'appuient notamment sur les conclusions des conférences de consensus nationales tenues en 2003 et 2004 et de la commission nationale de pharmacovigilance en 2011 et sur des synthèses plus récentes, notamment une revue systématique des études existantes publiée en 2018, portant sur treize études. Au terme de cet examen, l'Académie nationale de médecine conclut qu'" il n'y a donc pas, à ce jour, d'évidence démontrée d'association causale entre la vaccination contre l'hépatite B et la [sclérose en plaques], quel que soit le vaccin (...). Seule une relation de temporalité (coïncidentale) peut être retenue pour expliquer la survenue des cas de [sclérose en plaques] chez les sujets vaccinés ".
5. Il résulte de l'ensemble des éléments relevés par l'arrêt attaqué et des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si aucun lien de causalité n'a pu être établi à ce jour entre l'administration du vaccin contre l'hépatite B et la sclérose en plaques, l'hypothèse qu'un tel lien existe a été envisagée par des travaux de recherche scientifiques ayant donné lieu à des publications dans des revues reconnues, du fait des séries d'associations temporelles mentionnées, qui ont justifié une vigilance particulière des autorités sanitaires, et n'a pas été formellement démentie par les nombreuses études portant sur ce sujet, notamment pas les observations d'ordre général de l'Académie nationale de médecine, qui se bornent à faire la synthèse de publications déjà connues, sans s'appuyer sur des travaux de recherche ou une méthodologie d'analyse nouveaux et qui ne concluent, au demeurant, qu'à l'absence de démonstration de l'existence d'un lien entre vaccin contre l'hépatite B et sclérose en plaques. Dès lors, en jugeant qu'au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, il n'y avait aucune probabilité qu'existe un lien entre l'administration du vaccin contre l'hépatite B et la sclérose en plaques, la cour administrative d'appel de Nantes a inexactement qualifié les faits de la cause.
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, Mme A... est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 000 euros à verser à Mme A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 3 juin 2022 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'ONIAM versera à Mme A... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance-maladie du Finistère Morbihan et à la ministre de la santé et de l'accès aux soins.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, conseillers d'Etat et Mme Amel Hafid, maîtresse des requêtes en service extraordinaire, rapporteure.
Rendu le 7 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Amel Hafid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras