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08/11/2024 | FRANCE | N°492062

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 08 novembre 2024, 492062


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 22 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La Citadelle demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 7 février 2024 portant dissolution de l'association La Citadelle ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièces du dossier ;

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Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fond...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 22 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La Citadelle demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 7 février 2024 portant dissolution de l'association La Citadelle ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Lisa Gamgani, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : /(...) 6° Ou qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ". Aux termes de l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".

3. Eu égard à la gravité de l'atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d'interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l'ordre public.

4. La décision de dissolution d'une association ou d'un groupement de fait prise sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article.

5. Le décret prononçant la dissolution d'une organisation sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure présentant le caractère d'une mesure de police administrative, l'association requérante ne saurait utilement soutenir que ces dispositions seraient incompatibles avec les stipulations des articles 6 et 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle ne saurait davantage utilement se prévaloir des stipulations du seul article 14 de cette convention, qui ne peuvent être invoquées isolément, ni de celles du protocole additionnel n° 12, qui n'a pas été ratifié par la France. Eu égard, par ailleurs, à ce qui est dit aux points 3 et 4, le moyen tiré de ce que ces dispositions seraient, par elles-mêmes, incompatibles avec les stipulations des articles 10 et 11 de la même convention doit être écarté.

Sur la légalité du décret attaqué :

6. Il ressort du décret attaqué que la dissolution qu'il prononce de l'association La Citadelle, qui avait pour objet, en vertu de ses statuts, de " gérer et animer un local associatif dans un objectif de promotion des identités locales, régionales, française et européenne (...) " est fondée sur quatre motifs tirés de ce que, par ses publications, les propos de ses membres et ses slogans, cette association met en œuvre une idéologie xénophobe et provoquant à la haine et à la discrimination, de ce qu'elle propage, en particulier au travers des propos de son président, un discours et des idées assimilant de manière systématique les personnes d'origine extra-européenne à des délinquants et à une menace à combattre, de ce que ses publications et celles de son président sur les réseaux sociaux provoquent des commentaires incitant à la haine et à la violence qu'ils s'abstiennent de modérer afin d'attiser les antagonismes au sein de la communauté nationale et, enfin, de ce qu'elle entretient des liens étroits avec de nombreux groupuscules ou individus qui défendent une idéologie appelant à la discrimination, à la violence ou à la haine, confirmant de la sorte que cette association promeut une idéologie xénophobe.

7. Il ressort des pièces du dossier que l'association La Citadelle et son président ont, de manière répétée et pendant plusieurs années, publié des messages appelant à la haine et à la discrimination, singularisant les personnes d'origine extra-européenne, notamment en raison de leur race supposée. Ils ont, à plusieurs reprises, notamment lors de manifestations organisées dans les locaux de la Maison de l'identité, bar associatif géré par l'association La Citadelle à Lille, appelé au retour des personnes visées dans leurs supposés pays d'origine. L'association La Citadelle et son président ont propagé un discours assimilant de manière systématique les personnes d'origine extra-européenne à des délinquants, les associant à une menace qu'il convient de combattre. Ils ont notamment instrumentalisé plusieurs faits divers impliquant des personnes d'origine étrangère pour désigner les étrangers et les personnes musulmanes à la vindicte, à travers des messages diffusés par Internet ou par les réseaux sociaux. La publication des nombreux messages de l'association La Citadelle et de son président mettant en exergue des personnes susceptibles d'être d'origine extra-européenne ont suscité des commentaires haineux et injurieux qui n'ont pas été modérés alors que l'association et son président n'étaient pas dépourvus de moyens pour y procéder. Enfin, l'association entretient des liens avec des groupements appelant à la discrimination, à la violence ou à la haine contre les étrangers ou contre des personnes en raison de leur prétendue race ou de leur religion. L'ensemble de ces agissements tendent à justifier ou à encourager la discrimination, la haine ou la violence envers les personnes d'origine non-européenne ou envers des personnes en raison de leur religion et sont de nature à justifier la dissolution de l'association La Citadelle sur le fondement du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

8. Eu égard à la teneur, à la gravité et à la récurrence, pendant plusieurs années, des agissements mentionnés au point précédent, la mesure de dissolution contestée ne peut être regardée, en l'espèce, comme dépourvue de caractère nécessaire, ni comme présentant un caractère disproportionné au regard des risques de troubles à l'ordre public résultant de ces agissements.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de l'association La Citadelle doivent être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'association La Citadelle est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association La Citadelle, au ministre de l'intérieur et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, président de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire ; Mme Alexandra Bratos, maître des requêtes et Mme Lisa Gamgani, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 8 novembre 2024.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Lisa Gamgani

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 492062
Date de la décision : 08/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 nov. 2024, n° 492062
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Lisa Gamgani
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo

Origine de la décision
Date de l'import : 10/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:492062.20241108
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