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18/11/2024 | FRANCE | N°487701

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 18 novembre 2024, 487701


Vu la procédure suivante :



La société Eole-Res a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions du 9 mars 2015 et du 22 janvier 2016 par lesquelles le préfet de la Dordogne lui a refusé le permis de construire et l'autorisation d'exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Champagne-et-Fontaine et de La Rochebeaucourt-et-Argentine (Dordogne).



Par deux jugements n° 1504103 et n° 1601464 du 6 juin 2017, le tribunal administratif

de Bordeaux a rejeté ses demandes.



Par un arrêt nos 17BX02675, 17B...

Vu la procédure suivante :

La société Eole-Res a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions du 9 mars 2015 et du 22 janvier 2016 par lesquelles le préfet de la Dordogne lui a refusé le permis de construire et l'autorisation d'exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Champagne-et-Fontaine et de La Rochebeaucourt-et-Argentine (Dordogne).

Par deux jugements n° 1504103 et n° 1601464 du 6 juin 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Par un arrêt nos 17BX02675, 17BX02681 du 9 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, sur appel de la société Eole-Res, d'une part, annulé ces jugements ainsi que les refus de permis de construire et d'autorisation d'exploiter des 9 mars 2015 et 22 janvier 2016, d'autre part, faisant usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, délivré à la société Eole-Res, devenue société Res, l'autorisation environnementale relative à son projet éolien, en la renvoyant devant le préfet de la Dordogne pour la fixation des conditions dont cette autorisation devait être éventuellement assortie, enfin prescrit les mesures de publicité prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement s'agissant de cette autorisation.

L'association Citoyenneté et Environnement en Périgord, les communes de Champagne-et-Fontaine, Verteillac et Villebois-Lavalette, M. et Mme A... et C... Lagarde, la SCI Socivil, MM. F... et G... H... ont demandé à la cour, par la voie de la tierce opposition, d'annuler l'autorisation environnementale délivrée le 9 juillet 2019 ainsi que l'arrêté du préfet de la Dordogne du 25 octobre 2019 fixant les prescriptions techniques pour l'exploitation de l'installation ainsi autorisée.

Par un arrêt n° 20BX00657 du 27 juin 2023, la cour a, d'une part, déclaré non avenu son précédent arrêt en tant qu'il avait délivré une autorisation ne comportant pas la dérogation " espèces protégées " prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, d'autre part, modifié l'arrêté préfectoral du 25 octobre 2019 portant prescriptions techniques afin de renforcer la mesure prévue de bridage des éoliennes, enfin, suspendu l'exécution de l'arrêté préfectoral du 25 octobre 2019 modifié et des parties non viciées de l'autorisation environnementale du 9 juillet 2019 jusqu'à la délivrance éventuelle de la dérogation précitée.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 28 août et 28 novembre 2023 et le 9 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Q Energy, venant aux droits de la société Res, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui fait grief ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de l'association Citoyenneté et Environnement en Périgord et autres ;

3°) de mettre à la charge de l'association Citoyenneté et Environnement en Périgord et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable, fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,

- les observations de la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Q Energy et de la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Citoyenneté et Environnement en Périgord et autres ;

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de la Dordogne, par des arrêtés des 9 mars 2015 et 22 janvier 2016, a refusé de délivrer à la société Eole-Res le permis de construire et l'autorisation d'exploiter qu'elle sollicitait pour un parc composé de cinq éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire des communes de Champagne-et-Fontaine et La Rochebeaucourt-et-Argentine. Par deux jugements du 6 juin 2017, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les demandes de la société Eole-Res, devenue société Res, tendant à l'annulation de ces arrêtés. Par un arrêt du 9 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a, d'une part, annulé ces deux jugements ainsi que les refus de permis de construire et d'autorisation d'exploiter opposés par le préfet, d'autre part, délivré à la société Res l'autorisation environnementale relative à son projet, en la renvoyant devant le préfet pour la fixation des prescriptions techniques, enfin, prescrit la mise en œuvre des mesures de publicité prévues pour cette autorisation. Par un arrêt du 27 juin 2023, la cour, faisant droit à la requête formée par la voie de la tierce opposition par l'association Citoyenneté et environnement en Périgord (CEP), les consorts Lagarde et autres requérants, a déclaré non avenu son précédent arrêt en tant qu'il avait délivré une autorisation ne comportant pas la dérogation " espèces protégées " prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, modifié l'arrêté préfectoral du 25 octobre 2019 portant prescriptions techniques afin de renforcer la mesure de bridage prévue, eu égard aux enjeux de protection des espèces de chiroptères présentes sur le site, et suspendu, sur le fondement de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, l'exécution des parties non viciées de l'autorisation environnementale et de l'arrêté préfectoral modifié portant prescriptions techniques, jusqu'à la délivrance éventuelle de la dérogation précitée. La société Res, devenue Q Energy, se pourvoit en cassation contre ce dernier arrêt.

Sur la recevabilité de la tierce opposition :

2. Aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : " Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision ". Il résulte de ces dispositions que, pour former tierce opposition, une personne qui n'a été ni présente ni représentée à l'instance doit en principe justifier d'un droit lésé. Toutefois, afin de garantir le caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d'environnement et eu égard aux effets sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement de la décision juridictionnelle délivrant une autorisation d'exploiter, cette voie est, dans la configuration particulière où le juge administratif des installations classées, après avoir annulé la décision préfectorale de refus, fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour délivrer lui-même l'autorisation, ouverte aux tiers qui justifieraient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation, dès lors qu'ils n'ont pas été présents ou régulièrement appelés dans l'instance. Il résulte également des dispositions de l'article R. 832-1 du code de justice administrative que, lorsqu'une personne a été représentée à l'instance par une personne ayant des intérêts concordants avec les siens, elle n'est pas recevable à former tierce opposition contre la décision juridictionnelle rendue à l'issue de cette instance.

3. D'une part, en retenant que les consorts Lagarde, compte tenu des nuisances visuelles et sonores auxquelles ils seraient directement exposés en raison de l'installation litigieuse, située à proximité immédiate de leur lieu de résidence, justifiaient d'un intérêt suffisant leur donnant qualité pour agir contre l'autorisation qu'elle avait délivrée le 9 juillet 2019, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce, ni dénaturé ceux-ci.

4. D'autre part, s'il ressort des pièces de la procédure devant la cour administrative d'appel que l'association Citoyenneté et environnement en Périgord, dont l'objet statutaire inclut la défense des conditions de vie des habitants du Périgord, est intervenue, en soutien de la défense, dans l'instance ayant conduit à l'annulation des décisions préfectorales de refus des 9 mars 2015 et 22 janvier 2016 et à la délivrance par la cour, au titre de ses pouvoirs de pleine juridiction, de l'autorisation environnementale relative au projet éolien litigieux, les époux Lagarde, en leur qualité d'habitants situés à proximité immédiate du projet, directement exposés aux nuisances visuelles et sonores qu'il était susceptible d'occasionner, ne pouvaient être regardés comme ayant été valablement représentés par cette association dans l'instance ayant conduit à l'arrêt du 9 juillet 2019 par lequel a été délivrée l'autorisation contestée. Par suite, c'est sans erreur de droit et sans erreur de qualification juridique des faits que la cour a admis la tierce opposition formée par M. et Mme Lagarde contre son arrêt du 9 juillet 2019.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

5. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages (...) ". Aux termes de l'article L. 411-1 de ce code : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I.- Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

7. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ". Pour apprécier si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé pour justifier la nécessité d'une telle dérogation, le juge administratif tient compte des mesures complémentaires d'évitement et de réduction des atteintes portées à ces espèces, prescrites, le cas échéant, par l'administration ou par le juge lui-même dans l'exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction.

8. Pour apprécier, en premier lieu, la nécessité d'une dérogation " espèces protégées " en application des règles et principes rappelés aux points 5 à 7, la cour a examiné les enjeux et les risques que le projet comportait pour douze espèces protégées de chiroptères présentes sur le site d'implantation du projet, figurant sur la liste des mammifères terrestres protégés par l'arrêté du 23 avril 2007, et pour six espèces d'oiseaux, dont l'œdicnème criard, l'outarde canepetière, le busard Saint-Martin et la grue cendrée, qui figurent sur la liste des oiseaux protégés fixée par l'arrêté du 29 octobre 2009. En se fondant également sur le risque que le projet comportait pour le vanneau huppé et le pluvier doré, lesquels ne figurent pas sur la liste précitée, la cour a commis une erreur de droit.

9. En deuxième lieu, pour établir, en application des principes rappelés au point 7, l'existence d'un risque suffisamment caractérisé pour l'avifaune, la cour a pris en compte la forte sensibilité de l'œdicnème criard, dont le territoire vital pour les couples nicheurs constitutifs de l'un des deux bastions régionaux de l'espèce doit accueillir le parc éolien projeté, de l'outarde canepetière qui, bien que non observée dans l'étude avifaunistique, est historiquement présente dans l'aire d'étude rapprochée et en cours d'extinction dans la région, avec un habitat de reproduction commun à celui de l'œdicnème criard, ainsi que la sensibilité du busard Saint Martin au regard des risques de destruction d'habitats favorables à sa reproduction, et de la grue cendrée au regard de l'implantation des éoliennes projetées dans des zones habituellement utilisées comme haltes migratoires. Alors qu'il ressortait de l'étude d'impact qui lui était soumise que le risque résiduel était estimé " fort " pour l'œdicnème criard, " modéré " pour le busard Saint-Martin et " modéré à fort " pour la grue cendrée en phase de migration, la cour a examiné, pour chacune des espèces concernées, la nature des risques engendrés sur leur territoire vital, sur leur habitat de reproduction, et sur leurs espaces de migration et de stationnement, en relevant qu'aucun élément de l'instruction ne permettait de retenir que les mesures d'évitement et de réduction prévues par le pétitionnaire, qu'elle avait précédemment énumérées, seraient de nature à réduire significativement le risque de destruction d'habitats de ces espèces au point qu'il pourrait être regardé comme n'étant pas suffisamment caractérisé. En jugeant, au terme de cet examen, suffisamment caractérisé le risque que le projet comportait pour ces quatre espèces d'oiseaux, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique des faits, ni dénaturé les pièces du dossier.

10. S'agissant, en troisième lieu, des chiroptères, la cour a, sans dénaturer les pièces du dossier ni les faits de l'espèce, relevé les enjeux importants de la zone d'implantation du projet et la vulnérabilité particulière de douze des espèces protégées recensées, dont la Grande Noctule, la Pipistrelle Pygmée, la Pipistrelle de Nathusius, avec des impacts bruts qui s'échelonnent d'" assez fort " à " très fort " pour plusieurs d'entre elles. Alors que l'étude d'impact soumise aux juges du fond évalue les impacts résiduels, après mise en œuvre des mesures d'évitement et de réduction proposées, au niveau " moyen " pour cinq espèces, au niveau " moyen à assez fort " pour la Pipistrelle de Nathusius et au niveau " assez fort " pour la Noctule commune, la cour a jugé que la mesure de bridage proposée par le pétitionnaire, limitée aux quatre premières heures de la nuit, ne permettait pas de considérer le risque de collision comme insuffisamment caractérisé, ce dont elle a déduit que la dérogation " espèces protégées " était nécessaire pour ce qui concerne les chiroptères. En statuant ainsi, sans prendre en compte le renforcement de la mesure de bridage qu'elle avait elle-même prescrite au titre de la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, consistant à étendre la période d'arrêt des machines d'une heure avant le coucher du soleil jusqu'à une heure après, de mars à octobre, la cour a commis une erreur de droit.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Q Energy est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 27 juin 2023 en tant, d'une part, qu'il a annulé l'autorisation environnementale délivrée par son arrêt du 9 juillet 2019 au motif qu'elle ne comportait pas de dérogation " espèces protégées " et en tant, d'autre part, qu'il a suspendu, jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation, l'exécution des parties non viciées de l'autorisation et de l'arrêté préfectoral du 25 octobre 2019 portant prescriptions techniques.

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Citoyenneté et Environnement en Périgord et autres la somme demandée par la société Q Energy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Q Energy qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 2 et 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 27 juin 2023 sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'association Citoyenneté et Environnement en Périgord et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Q Energy, à l'association Citoyenneté et Environnement en Périgord, première dénommée pour l'ensemble des défendeurs, et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 18 novembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Destais

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 487701
Date de la décision : 18/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

NATURE ET ENVIRONNEMENT - INSTALLATIONS CLASSÉES POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - POUVOIRS DU JUGE - EXERCICE DE LA TIERCE OPPOSITION CONTRE UNE DÉCISION DU JUGE DES ICPE DÉLIVRANT LUI-MÊME UNE AUTORISATION [RJ1] – RECEVABILITÉ – 1) CONDITION TENANT À L’ABSENCE DE REPRÉSENTATION À L’INSTANCE – APPLICABILITÉ – EXISTENCE – 2) ILLUSTRATION.

44-02-04-01 Afin de garantir le caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d’environnement et eu égard aux effets sur les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement de la décision juridictionnelle délivrant une autorisation d’exploiter, la voie de la tierce opposition est, dans la configuration particulière où le juge administratif des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), après avoir annulé la décision préfectorale de refus, fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour délivrer lui-même l’autorisation, ouverte aux tiers qui justifieraient d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision administrative d’autorisation, dès lors qu’ils n’ont pas été présents ou régulièrement appelés dans l’instance. ...1) Il résulte de l’article R. 832-1 du code de justice administrative (CJA) que, lorsqu’une personne a été représentée à l’instance par une personne ayant des intérêts concordants avec les siens, elle n’est pas recevable à former tierce opposition contre la décision juridictionnelle rendue à l’issue de cette instance....2) Des habitants situés à proximité immédiate d’un projet, directement exposés aux nuisances visuelles et sonores qu’il est susceptible d’occasionner, ne peuvent être regardés comme ayant été valablement représentés par une association dont l’objet statutaire inclut la défense des conditions de vie des habitants d’une zone géographique particulière.

NATURE ET ENVIRONNEMENT - PROTECTION DES ESPÈCES ANIMALES ET VÉGÉTALES – DÉROGATION À L'INTERDICTION DE DESTRUCTION D'ESPÈCES PROTÉGÉES (ART - L - 411-2 DU CODE DE L’ENVIRONNEMENT) [RJ2] – 1) PRISE EN COMPTE DES MESURES D’ÉVITEMENT ET DE RÉDUCTION PRESCRITES PAR LE JUGE DU PLEIN CONTENTIEUX – EXISTENCE – 2) ARRÊT SE PRONONÇANT SUR LES RISQUES POUR PLUSIEURS ESPÈCES PROTÉGÉES – MOTIFS ERRONÉS EN CE QUI CONCERNE SEULEMENT CERTAINES ESPÈCES – PORTÉE DE LA CASSATION – ANNULATION DE L’ARRÊT EN TANT QU’IL S’EST PRONONCÉ SUR LA DÉROGATION « ESPÈCES PROTÉGÉES » DANS SON ENSEMBLE.

44-045-01 1) Pour apprécier si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé pour justifier la nécessité d’une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées (dérogation « espèces protégées »), le juge administratif tient compte des mesures complémentaires d’évitement et de réduction des atteintes portées à ces espèces, prescrites, le cas échéant, par l’administration ou par le juge lui-même dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction. ...2) Cour ayant apprécié la nécessité d’une dérogation « espèces protégées » au regard des enjeux et risques d’un projet pour plusieurs espèces protégées de chiroptères présentes sur le site d’implantation du projet, figurant sur la liste des mammifères terrestres protégés, et pour plusieurs espèces d’oiseaux, figurant sur la liste des oiseaux protégés....Cour ayant regardé le risque comme suffisamment caractérisé pour certaines espèces d’oiseaux et pour les chiroptères et ayant par suite annulé une autorisation environnementale en tant qu’elle ne comportait pas la dérogation « espèces protégées »....Saisi d’un pourvoi contre l’arrêt rendu par cette cour, dont les motifs sont erronés en ce qui concerne les espèces d’oiseaux mais non en ce qui concerne les chiroptères, le Conseil d’Etat annule cet arrêt en tant qu’il a annulé l’autorisation environnementale au motif qu’elle ne comportait pas de dérogation « espèces protégées », et non en tant seulement qu’il s’est prononcé sur les risques pour les oiseaux.

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - POUVOIRS DU JUGE DE CASSATION - PORTÉE DE L’ANNULATION – ARRÊT SE PRONONÇANT SUR LA NÉCESSITÉ D’OBTENIR UNE DÉROGATION À L'INTERDICTION DE DESTRUCTION D'ESPÈCES PROTÉGÉES (ART - L - 411-2 DU CODE DE L’ENVIRONNEMENT) [RJ2] – MOTIFS ERRONÉS EN CE QUI CONCERNE SEULEMENT CERTAINES ESPÈCES – ANNULATION DE L’ARRÊT EN TANT QU’IL S’EST PRONONCÉ SUR LA DÉROGATION « ESPÈCES PROTÉGÉES » DANS SON ENSEMBLE.

54-08-02-03 1) Pour apprécier si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé pour justifier la nécessité d’une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées (dérogation « espèces protégées »), le juge administratif tient compte des mesures complémentaires d’évitement et de réduction des atteintes portées à ces espèces, prescrites, le cas échéant, par l’administration ou par le juge lui-même dans l’exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction. ...2) Cour ayant apprécié la nécessité d’une dérogation « espèces protégées » au regard des enjeux et risques d’un projet pour plusieurs espèces protégées de chiroptères présentes sur le site d’implantation du projet, figurant sur la liste des mammifères terrestres protégés, et pour plusieurs espèces d’oiseaux, figurant sur la liste des oiseaux protégés....Cour ayant regardé le risque comme suffisamment caractérisé pour certaines espèces d’oiseaux et pour les chiroptères et ayant par suite annulé une autorisation environnementale en tant qu’elle ne comportait pas la dérogation « espèces protégées »....Saisi d’un pourvoi contre l’arrêt rendu par cette cour, dont les motifs sont erronés en ce qui concerne les espèces d’oiseaux mais non en ce qui concerne les chiroptères, le Conseil d’Etat annule cet arrêt en tant qu’il a annulé l’autorisation environnementale au motif qu’elle ne comportait pas de dérogation « espèces protégées », et non en tant seulement qu’il s’est prononcé sur les risques pour les oiseaux.

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - TIERCE-OPPOSITION - RECEVABILITÉ - REPRÉSENTATION DANS L’INSTANCE – TIERCE OPPOSITION CONTRE UNE DÉCISION DU JUGE DES ICPE DÉLIVRANT LUI-MÊME L’AUTORISATION [RJ1] – 1) CONDITION APPLICABLE – EXISTENCE – 2) ILLUSTRATION.

54-08-04-01 Afin de garantir le caractère effectif du droit au recours des tiers en matière d’environnement et eu égard aux effets sur les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement de la décision juridictionnelle délivrant une autorisation d’exploiter, la voie de la tierce opposition est, dans la configuration particulière où le juge administratif des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), après avoir annulé la décision préfectorale de refus, fait usage de ses pouvoirs de pleine juridiction pour délivrer lui-même l’autorisation, ouverte aux tiers qui justifieraient d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation de la décision administrative d’autorisation, dès lors qu’ils n’ont pas été présents ou régulièrement appelés dans l’instance. ...1) Il résulte de l’article R. 832-1 du code de justice administrative (CJA) que, lorsqu’une personne a été représentée à l’instance par une personne ayant des intérêts concordants avec les siens, elle n’est pas recevable à former tierce opposition contre la décision juridictionnelle rendue à l’issue de cette instance....2) Des habitants situés à proximité immédiate d’un projet, directement exposés aux nuisances visuelles et sonores qu’il est susceptible d’occasionner, ne peuvent être regardés comme ayant été valablement représentés par une association dont l’objet statutaire inclut la défense des conditions de vie des habitants d’une zone géographique particulière.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 nov. 2024, n° 487701
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nathalie Destais
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:487701.20241118
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