Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 2 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 18 octobre 2023 l'ayant déchu de sa nationalité française ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution,
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 25 du code civil : " L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride : / 1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme (...) ". L'article 25-1 de ce code ne permet la déchéance de la nationalité dans ce cas qu'à la condition que les faits aient été commis moins de quinze ans auparavant et qu'ils aient été commis soit avant l'acquisition de la nationalité française, soit dans un délai de quinze ans à compter de cette acquisition.
2. L'article 421-2-1 du code pénal qualifie d'acte de terrorisme " le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme " mentionnés aux articles 421-1 et 421-2 du code pénal.
3. Il ressort des pièces du dossier que par un décret du 18 octobre 2023 pris sur le fondement des articles 25 et 25-1 du code civil, M. C... B... a été déchu de la nationalité française au motif qu'il a été condamné pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits prévus par l'article 421-2-1 du code pénal, d'une part, à trois ans d'emprisonnement par un jugement du tribunal pour enfants de Paris du 28 mars 2019, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 janvier 2020, pour les faits commis pendant sa minorité et, d'autre part, pour ces mêmes faits commis après sa majorité, à une peine de neuf ans d'emprisonnement, assortie d'une période de sûreté des deux tiers, par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 17 janvier 2020 rendu sur appel d'un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 15 mars 2019. Par un arrêt du 17 juin 2021, la cour d'appel de Paris a ordonné la confusion des peines prononcées par ces deux arrêts.
4. En premier lieu, si le requérant soutient que le décret attaqué a été pris sans tenir compte de l'évolution positive de son comportement depuis les condamnations dont il a fait l'objet, il ressort des termes mêmes du décret attaqué qu'il a été pris en tenant compte de son comportement ultérieur, notamment tel que décrit par le jugement du 3 juin 2022 du tribunal de l'application des peines compétent en matière de terrorisme.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été condamné à la peine mentionnée ci-dessus pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal que M. B..., qui a manifesté dès son plus jeune âge un intérêt soutenu et persistant pour le jihad armé prôné par l'organisation terroriste de l'Etat islamique concrétisé par une fréquentation assidue de sites de propagande de cette organisation, la réalisation et la diffusion de photos et vidéos le mettant en scène en tant que djihadiste, une tentative de rejoindre dès 2012 un groupe armé islamiste en Tchétchénie et une tentative ultérieure de se rendre en Syrie afin d'y intégrer cette organisation, ainsi que des contacts suivis avec des individus se trouvant dans la zone irako-syrienne œuvrant pour l'organisation de l'Etat islamique et appelant pour certains à commettre des attentats en France, a rédigé des notes et tutoriels sur la fabrication d'explosifs qu'il a fournis en toute connaissance de cause à des mineurs qui envisageaient de commettre un attentat sur le territoire national et auxquels il a offert un support technique.
6. Eu égard à la nature et à la gravité des faits commis par le requérant qui ont conduit à sa condamnation pénale, la sanction de déchéance de la nationalité française, qui a notamment pour effet de priver l'intéressé de ses droits civils et politiques en France, est légalement justifiée sans que ni la circonstance que certains faits ont été commis lorsqu'il était mineur, ni le comportement de l'intéressé postérieur à ces faits permette de remettre en cause cette appréciation.
7. Un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. Au cas présent, eu égard à la gravité des faits commis par le requérant et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le décret attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En dernier lieu, ainsi qu'indiqué au point précédent, un décret portant déchéance de la nationalité française est par lui-même dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise. Par suite, si M. B... soutient que ce décret sera nécessairement suivi d'une mesure d'expulsion, il ne peut utilement invoquer à son encontre les risques de traitements inhumains ou dégradants qui pourraient résulter d'une telle mesure.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque. Ses conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 octobre 2024 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 18 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
La rapporteure :
Signé : Mme Amélie Fort-Besnard
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge