Vu la procédure suivante :
La société Média Bonheur a demandé à la cour administrative d'appel de Paris de condamner l'Etat ou à défaut l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à lui verser la somme de 1 632 867 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2013 et de la capitalisation des intérêts.
Par un arrêt n° 21PA03461 du 6 décembre 2022, la cour administrative d'appel a condamné l'Arcom à lui verser la somme de 30 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2013 et de la capitalisation des intérêts à compter du 4 novembre 2014 et à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette dernière date, et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 7 février 2023, 3 mai 2023 et 17 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Média Bonheur demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il ne lui a pas donné plus ample satisfaction ;
2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pascal Trouilly, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet François Pinet, avocat de la société Média Bonheur et à la SCP Gury et Maître, avocat de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 23 septembre 2013, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé la décision du 5 avril 2011 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) avait rejeté la candidature de la société Media Bonheur en vue de l'exploitation du service de radiodiffusion sonore diffusé par voie hertzienne en mode analogique " Radio Bonheur " dans la zone de Laval, et a enjoint au CSA de réexaminer cette candidature. Par une décision du 16 octobre 2013, le CSA a procédé à ce réexamen, a rejeté la candidature de la société Média Bonheur au motif qu'il n'y avait pas de fréquence disponible dans la zone de Laval et a estimé qu'il n'y avait pas lieu de lancer un nouvel appel à candidatures pour un service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne dans cette zone. Par une décision du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cette décision en tant qu'elle refusait de lancer un appel à candidatures. Dès le 15 octobre 2014, le CSA avait toutefois lancé un appel à candidatures auquel la société Média Bonheur a été admise comme candidate de plein droit sans être sélectionnée en définitive. Par un arrêt du 24 mai 2018, la cour administrative d'appel de Paris, saisie par la société Média Bonheur, a jugé que la société avait été privée d'une chance sérieuse d'obtenir une autorisation d'émettre dans la zone de Laval et a condamné le CSA à lui verser, pour la période du 10 juillet 2011 au 10 juillet 2016, une indemnité de 25 000 euros en réparation du préjudice causé par ses décisions du 5 avril 2011 et du 16 octobre 2013. Par une décision du 16 juin 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur le montant du préjudice. Statuant sur renvoi, la cour administrative d'appel de Paris, par un arrêt du 6 décembre 2022, a porté à 30 000 euros l'indemnité allouée à la société Média Bonheur. Cette société se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il ne lui a pas donné plus ample satisfaction. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), venue aux droits du CSA, présente un pourvoi incident tendant à l'annulation du même arrêt.
Sur le pourvoi incident :
2. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour déterminer le préjudice subi par la société Média Bonheur, la cour administrative d'appel s'est référée aux résultats d'exploitation des années 2011, 2012 et 2013 dans trois zones dans lesquelles cette société émettait depuis plusieurs années et a évalué le bénéfice procuré par l'exploitation d'une fréquence, en relevant l'existence de " gains d'échelle sur la programmation, qui est identique dans toutes les zones ". En retenant une telle méthode d'évaluation par extrapolation, qui n'impliquait pas que les caractéristiques des zones d'émission soient rigoureusement identiques, et alors même qu'il est constant qu'une station de radio nouvellement autorisée connaît une phase de montée en charge de ses recettes sur une durée de deux à trois ans, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. Par ailleurs, en estimant que la société Média Bonheur envisageait de diffuser dans la zone de Laval une programmation identique à celle diffusée dans les trois zones mentionnées ci-dessus, la cour a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation.
Sur le pourvoi principal :
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a refusé d'inclure dans le manque à gagner de la société Média Bonheur le montant des rémunérations de M. A..., son dirigeant, au motif que les sommes en cause avaient été comptabilisées parmi les charges. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits et pièces du dossier en estimant que, compte tenu de la nature des sommes en cause et de leur mode de comptabilisation, le manque à gagner subi par la société Média Bonheur, distinct du préjudice propre subi le cas échéant par M. A..., n'avait pas à comprendre ces sommes.
4. Pour évaluer, selon la méthode exposée au point 2 ci-dessus, le bénéfice procuré par l'exploitation d'une fréquence, la cour a estimé que le " résultat d'exploitation annuel moyen " enregistré par la société avant déduction de l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos 2011, 2012 et 2013 s'élevait à 50 233,56 euros. Ce faisant, la cour, qui a entendu en réalité, en dépit de la terminologie inexacte qu'elle a employée, prendre pour référence les résultats courants avant impôts dégagés pendant ces trois exercices, et procéder non à une reconstitution exacte des recettes et des dépenses mais à une juste appréciation du préjudice subi, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits et pièces du dossier, l'écart avec le montant avancé par la société Média Bonheur, qui soutient que le chiffre retenu est erroné, étant d'ailleurs minime.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la société Média Bonheur et l'Arcom ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Arcom, tandis qu'il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Média Bonheur la somme que l'Arcom demande à ce titre.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société Média Bonheur et le pourvoi incident de l'Arcom sont rejetés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Média Bonheur et à l'Arcom.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 octobre 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et M. Pascal Trouilly, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 20 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
Le rapporteur :
Signé : M. Pascal Trouilly
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras