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22/11/2024 | FRANCE | N°477316

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 22 novembre 2024, 477316


Vu la procédure suivante :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1903983 du 17 novembre 2020, ce tribunal a réduit la base de l'impôt sur le revenu assignée à M. B... dans la catégorie des revenus fonciers au titre de l'année 2011 à concurrence d'une somme de 130 000 euros, l'a déchargé des fra

ctions de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions ...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 à 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1903983 du 17 novembre 2020, ce tribunal a réduit la base de l'impôt sur le revenu assignée à M. B... dans la catégorie des revenus fonciers au titre de l'année 2011 à concurrence d'une somme de 130 000 euros, l'a déchargé des fractions de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales correspondantes et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt nos 21MA00309, 21MA00407 du 29 juin 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté les appels formés, d'une part, par M. B... et ses héritiers et, d'autre part, par le ministre de l'économie, des finances et de la relance contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 2 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté son appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Vié, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat des héritiers de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B... était associé majoritaire de plusieurs sociétés civiles immobilières (SCI) soumises au régime fiscal prévu à l'article 8 du code général des impôts. À l'issue d'un contrôle sur pièces de ses déclarations de revenus et d'un contrôle sur place des sociétés Souzanna, Karous, Braham et Etoile du Bardo, au titre de l'année 2010, ainsi que d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle et d'un contrôle sur place des sociétés Souzanna, Merou, Aladin, Nedjma, Liberty, Karous, Braham, Les 3 Bricoles, Etoile du Bardo et 33 Vacon, au titre des années 2011 et 2012, l'administration a, par deux propositions de rectification du 16 décembre 2013 et du 3 octobre 2014, rehaussé les revenus de M. B... soumis à l'impôt sur le revenu, à hauteur de ses droits dans ces sociétés. Elle l'a en conséquence assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2010 à 2012. Par un jugement du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a réduit la base de l'impôt sur le revenu assignée à M. B... dans la catégorie des revenus fonciers au titre de l'année 2011 à concurrence d'une somme de 130 000 euros, l'a déchargé des fractions de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales correspondantes et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles il a été assujetti au titre des années 2010 à 2012. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 juin 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant que celui-ci a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " Lorsque le désaccord persiste sur les rectifications notifiées, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis (...) de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires prévue à l'article 1651 du code général des impôts (...) ". Aux termes de l'article L. 59 A du même livre : " I. - La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition (...) ".

3. Si l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, une telle substitution de base légale ne saurait avoir pour effet de priver le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi compte tenu de la base légale substituée et notamment de la faculté, prévue par les articles L. 59 et L. 59 A du livre des procédures fiscales, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, lorsque celle-ci est compétente pour en connaître. Il appartient au juge de l'impôt de rechercher si, eu égard à la nature du différend qui persiste entre le contribuable et l'administration, l'application de règles différentes de détermination du bénéfice taxable soulève des questions nouvelles entrant dans le champ de compétence de la commission départementale des impôts.

4. En refusant de faire droit à la demande de substitution de base légale présentée par l'administration, visant à ce que les sommes en litige soient imposées en tant que bénéfices non commerciaux et non plus comme revenus fonciers, au motif que cette nouvelle base légale aurait nécessairement privé M. B... de la garantie tenant à la possibilité de demander que le différend l'opposant à l'administration fiscale soit soumis à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, celle-ci étant compétente en matière de bénéfices non commerciaux, et en écartant comme inopérante la circonstance, invoquée en appel par le ministre, selon laquelle M. B... s'était borné à contester le caractère imposable des sommes en litige et non leur montant, la cour administrative d'appel, qui s'est ainsi abstenue de rechercher si la nature du différend en cause entrait dans le champ de compétence de la commission, a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il n'a pas fait droit à son appel.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de l'instruction que, par un protocole transactionnel conclu le 27 juillet 2011, la société Aladin a obtenu de la compagnie immobilière et foncière de Provence le versement, en 2011, d'une somme de 30 000 euros destinée à réparer les préjudices qu'elle estimait résulter de l'édification, dans le neuvième arrondissement de Marseille, d'un projet immobilier à proximité d'un immeuble situé au 90 boulevard de Sainte-Marguerite dont elle est propriétaire. Par ailleurs, par un protocole transactionnel, la société Aladin a obtenu de la société civile de construction vente Parc du Château le versement, en 2011, d'une somme de 100 000 euros destinée à réparer les préjudices qu'elle estimait résulter de l'édification, dans le onzième arrondissement de Marseille, d'un projet immobilier à proximité d'un immeuble situé au 102 boulevard de la Milière dont elle est propriétaire. L'administration, considérant qu'aucun élément ne permettait de caractériser les préjudices allégués par M. B..., a rehaussé les bénéfices de la société Aladin à hauteur de ces sommes. Elle a ensuite réintégré dans les revenus imposables de M. B..., dans la catégorie des revenus fonciers, la fraction de ces revenus correspondant à sa quote-part des résultats de la société et l'a assujetti en conséquence à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 2011.

8. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la société Aladin n'aurait pas été destinataire d'une proposition de rectification manque en fait, la société ayant au demeurant formulé des observations en réponse à la réception de la proposition du 26 août 2014.

9. En second lieu, l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, sous réserve que cette substitution n'ait pas pour effet de priver le contribuable des garanties de procédures attachées à la nouvelle base légale.

10. En l'espèce, et alors que les indemnités en cause ne sauraient en tout état de cause être regardées comme imposables en tant que revenus fonciers, le ministre demande que soit substituée à la base légale initiale de l'article 14 du code général des impôts les dispositions du 1 de l'article 92 du même code permettant de maintenir l'assujettissement des sommes en litige à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Or, il résulte de l'instruction que le versement des sommes en cause n'avait pas pour objet d'indemniser un préjudice mais uniquement d'obtenir de la part de la société la renonciation à tout recours présent ou à venir contre les permis de construire en cause. Ces sommes présentent donc un caractère imposable sur le fondement de l'article 92 du code général des impôts. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que, dès lors que le désaccord porte sur le principe même de l'imposition de ces sommes, qui constitue une question de pur droit, et non sur leur montant, la substitution de base légale demandée ne prive le requérant d'aucune garantie et qu'il y a lieu en conséquence d'y faire droit.

11. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Marseille et à ce que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. B... a été assujetti au titre de l'année 2011 dont le tribunal administratif de Marseille a prononcé la décharge soient remises à sa charge, ainsi que les pénalités correspondantes.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 29 juin 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il a rejeté l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Article 2 : Les articles 1er et 2 du jugement du 17 novembre 2020 du tribunal administratif de Marseille sont annulés.

Article 3 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. B... a été assujetti au titre de l'année 2011 dont le tribunal administratif de Marseille a prononcé la décharge sont remises à sa charge, ainsi que les pénalités correspondantes.

Article 4 : Les conclusions des héritiers de M. B... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, et aux héritiers de M. A... B....

Délibéré à l'issue de la séance du 10 octobre 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et M. Jean-Marc Vié, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 22 novembre 2024.

Le président :

Signé : M. Thomas Andrieu

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Marc Vié

Le secrétaire :

Signé : M. Aurélien Engasser


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 477316
Date de la décision : 22/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2024, n° 477316
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Vié
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:477316.20241122
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