Vu la procédure suivante :
Mme E... A... D..., M. B... C... et la Confédération des syndicats des travailleurs Polynésie Force-Ouvrière (CSTP-FO) ont demandé au tribunal administratif de la Polynésie française, d'une part, d'annuler l'arrêté n° 7299 MAE de la ministre de la modernisation de l'administration de la Polynésie française du 7 août 2020 portant établissement du tableau d'avancement pour l'accès au grade d'attaché principal au titre de l'année 2018, d'autre part, d'enjoindre à la Polynésie française de prendre un nouvel arrêté dans un délai d'un mois, nommant notamment Mme A... D... et M. C... dans ce grade. Par un jugement n° 2000566 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 21PA05009 du 23 mai 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête d'appel.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juillet et 24 octobre 2023 et le 12 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A... D... et autres demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de renvoyer l'affaire à la cour administrative d'appel de Paris ;
3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;
- la délibération n° 95-221 AT du 14 décembre 1995 relative aux conditions générales de notation et d'avancement des fonctionnaires de la Polynésie française ;
- la délibération n° 95-223 AT du 14 décembre 1995 relative à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique du territoire de la Polynésie française ;
- la délibération n° 95-226 AT du 14 décembre 1995 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés d'administration de la fonction publique du territoire de la Polynésie française ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de Mme A... D... et autres et à la SCP Doumic-Seiller, avocat de la Polynésie française ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 novembre 2024, présentée par la Polynésie française ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A... D... et M. C... sont attachés du cadre d'emploi de la fonction publique de la Polynésie française, grade dans lequel ils ont atteint le 7ème échelon, respectivement en 2015 et 2014. Ils bénéficient d'une décharge totale d'activité de service pour l'exercice d'un mandat syndical pour la Confédération des syndicats des travailleurs Polynésie Force-Ouvrière (CSTP-FO) depuis 2008. Ensemble avec la CSTP-FO, ils demandent l'annulation de l'arrêt du 23 mai 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur appel formé contre le jugement du 8 juin 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française ayant rejeté leur demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 7 août 2020 de la ministre de la modernisation de l'administration de la Polynésie française portant établissement du tableau d'avancement pour l'accès au grade d'attaché principal au titre de l'année 2018, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à la Polynésie française de prendre un nouvel arrêté portant établissement de ce tableau d'avancement et comprenant leurs noms.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article 2 de la délibération n° 95-221 AT : " Il est attribué chaque année à tout fonctionnaire en activité ou en service détaché, une note chiffrée suivie d'une appréciation générale exprimant sa valeur professionnelle. / Le pouvoir de notation appartient au chef de service, au président de l'autorité administrative indépendante, au tavana hau ou au directeur d'établissement public dont relève le fonctionnaire. / (...) ". L'article 14 de la même délibération dispose que : " Pour l'établissement du tableau d'avancement, il doit être procédé à un examen approfondi de la valeur professionnelle de l'agent, compte tenu principalement des notes obtenues par l'intéressé et des propositions motivées formulées par l'autorité d'emploi. (...) ".
3. Aux termes de l'article 16 de la délibération n° 95-226 AT : " Peuvent être nommés au grade d'attaché principal, après inscription sur un tableau d'avancement, les attachés ayant atteint le 7e échelon de leur grade. / Le nombre des attachés principaux ne peut être supérieur à 30% du nombre des attachés et attachés principaux ". L'article 21 de la même délibération dispose que : " Les fonctionnaires appartenant au cadre d'emplois des attachés d'administration font l'objet d'une notation, chaque année, de la part de l'autorité territoriale compétente. / Leur valeur professionnelle est appréciée notamment en fonction de leurs aptitudes générales, de leur efficacité, de leur qualité d'encadrement et de leur sens des relations humaines ".
4. Aux termes de l'article 17 de la délibération n° 95-223 : " Les décharges d'activité de service ne modifient pas la situation statutaire des fonctionnaires concernés. Ceux-ci demeurent en position d'activité dans leur emploi ou cadre d'emplois, et continuent à bénéficier de toutes les dispositions concernant cette position. / (...) / L'avancement des fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux a lieu sur la base de l'avancement moyen des fonctionnaires du cadre d'emplois auquel les intéressés appartiennent. / Par ailleurs, l'agent déchargé totalement de service peut être promu au grade supérieur lorsqu'il est titulaire du grade inférieur depuis un temps égal à celui qui a été, en moyenne, nécessaire aux agents de ce grade demeurés au service pour être promus. / (...) ".
5. Les dispositions citées au point 4 ont pour objet de garantir aux fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale d'activité de service pour l'exercice de mandats syndicaux un déroulement de carrière équivalent à celui des autres fonctionnaires du cadre d'emplois auquel ils appartiennent et visent à les prémunir contre des appréciations défavorables qui pourraient être liées à l'exercice de leur mandat syndical. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces fonctionnaires aux procédures d'avancement qui s'appliquent à tous les fonctionnaires, et de reconnaître à ceux d'entre eux dont l'ancienneté de grade excède l'ancienneté moyenne des agents titulaires du même grade, un droit automatique à l'avancement au grade supérieur, qu'aucun principe ni aucune disposition ne garantit aux fonctionnaires de la Polynésie française, quelles que soient leur situation et leur manière de servir.
6. Par ailleurs, aux termes de l'article 64 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : " Le président de la Polynésie française (...) / (...) est chargé de l'exécution des actes prévus à l'article 140 dénommés " lois du pays " et des délibérations de l'assemblée de la Polynésie française et de sa commission permanente. Il exerce le pouvoir réglementaire pour l'application des actes du conseil des ministres. / Il dirige l'administration de la Polynésie française (...) ".
Sur le pourvoi :
7. Il résulte des dispositions énoncées aux points 2 à 4 que les fonctionnaires en situation de décharge totale d'activité de service pour l'exercice d'un mandat syndical demeurent en position d'activité dans leur cadre d'emploi et continuent à bénéficier de toutes les dispositions concernant cette position, qu'à ce titre, ils doivent faire l'objet d'une notation annuelle et que, lorsqu'ils sont promouvables au grade supérieur, cette notation doit être prise en compte pour l'établissement du tableau d'avancement.
8. Dès lors, pour assurer la mise en œuvre de ces règles résultant de la lecture combinée des délibérations n° 95-221 AT, 95-223 AT et 95-226 AT citées aux points 2 à 4, le président de la Polynésie française pouvait compétemment, dans le cadre de ses compétences définies par l'article 64 de la loi organique cité au point 6, préciser les modalités de la notation des fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale d'activité de service pour l'exercice d'un mandat syndical.
9. Il ressort des pièces du dossier que la circulaire n° 1431/PR du 8 mars 2004 du président de la Polynésie française, applicable pour la notation des fonctionnaires de la Polynésie française et prise, ainsi qu'il a été dit au point 8, compétemment en application de la délibération n° 95-221 AT, prévoit à cet effet, dans son article 2.II.A, que les fonctionnaires en situation de décharge totale d'activité de service pour l'exercice d'un mandat syndical se voient attribuer, chaque année, par le service en charge de la fonction publique, la note moyenne des fonctionnaires appartenant au même grade et détenant le même échelon.
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 9 qu'en jugeant que l'inscription au tableau d'avancement au grade d'attaché principal d'un fonctionnaire bénéficiant d'une décharge totale d'activité de service pour l'exercice d'un mandat syndical devait être fondée sur un examen approfondi de sa valeur professionnelle compte tenu de ses notes pendant la seule partie de la période couverte par son ancienneté dans son grade au cours de laquelle il n'a pas bénéficié d'une telle décharge, et en jugeant que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir des dispositions de la circulaire n° 1431/PR du 8 mars 2004 du président de la Polynésie française précitée, alors que cette circulaire leur est opposable et qu'elle prévoit que les agents en situation de décharge totale d'activité de service pour l'exercice d'un mandat syndical doivent continuer à bénéficier d'une note chaque année, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'erreur de droit.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 23 mai 2023 de la cour administrative d'appel de Paris.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1, à verser conjointement aux trois requérants. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme A... D... et autres, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 23 mai 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : La Polynésie française versera à Mme A... D... et autres une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme E... A... D..., représentante unique désignée pour l'ensemble des requérants et à la Polynésie française.
Copie en sera adressée au ministre auprès du Premier ministre, chargé des Outre-mer.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 novembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguelou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes conseillers d'Etat ; Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 29 novembre 2024
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana