La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/11/2024 | FRANCE | N°495042

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 29 novembre 2024, 495042


Vu la procédure suivante :



M. B... A... a saisi le tribunal du travail de Papeete afin de voir condamner la société anonyme (SA) Air France à lui verser la somme de 488 013 F CFP au titre du repos compensateur qu'il estime lui être dû pour les vols qu'il a effectués en sous-effectif entre le 1er janvier 2021 et le 12 mai 2022.



Par une ordonnance n°RG 24/00003 du 23 mai 2024, le président de la chambre sociale de la cour d'appel de Papeete a transmis au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 179 de la loi organique n°2004-192 du 27 fé

vrier 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la question préju...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a saisi le tribunal du travail de Papeete afin de voir condamner la société anonyme (SA) Air France à lui verser la somme de 488 013 F CFP au titre du repos compensateur qu'il estime lui être dû pour les vols qu'il a effectués en sous-effectif entre le 1er janvier 2021 et le 12 mai 2022.

Par une ordonnance n°RG 24/00003 du 23 mai 2024, le président de la chambre sociale de la cour d'appel de Papeete a transmis au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 179 de la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la question préjudicielle tirée de la contrariété des dispositions de l'article Lp. 2342-1 du code du travail de Polynésie française, dans leur rédaction issue de la " loi du pays " n°2011-15 du 4 mai 2011 relative à la codification du droit du travail, avec le principe d'égalité entre salariés, lesquelles, selon les juridictions sociales polynésiennes, prévoiraient qu'un accord d'entreprise n'est opposable qu'aux salariés adhérents des syndicats qui en sont les signataires.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code du travail de Polynésie française ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que : " Lorsque, à l'occasion d'un litige devant une juridiction, une partie invoque par un moyen sérieux la contrariété d'un acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux, ou les principes généraux du droit, et que cette question commande l'issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le fondement des poursuites, la juridiction transmet sans délai la question au Conseil d'Etat, par une décision qui n'est pas susceptible de recours. Le Conseil d'Etat statue dans les trois mois. Lorsqu'elle transmet la question au Conseil d'Etat, la juridiction sursoit à statuer (...) ".

2. En application des articles 13 et 14 de la même loi organique, la Polynésie française est compétente en matière de droit du travail. La " loi du pays " n°2011-15 du 4 mai 2011, qui est un acte administratif relevant du domaine de la loi, a codifié les dispositions applicables en la matière.

3. Aux termes des dispositions de l'article Lp. 2342-1 du code du travail de Polynésie française, dans leur rédaction issue de la " loi du pays " n°2011-15 du 4 mai 2011 relative à la codification du droit du travail : " Sans préjudice des effets attachés à l'extension, l'application des conventions et accords collectifs de travail est obligatoire pour toutes les organisations ou groupements professionnels signataires et adhérents, ainsi que pour les personnes qui sont membres de ces organisations ou groupements professionnels./ L'adhésion à une organisation ou à un groupement professionnel signataire emporte les conséquences de l'adhésion à la convention ou à l'accord collectif de travail lui-même ". Selon l'article Lp. 2333-1 du même code : " Lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail qu'il conclut avec ses salariés, sauf si les dispositions contractuelles leur sont plus favorables ".

4. Sur le fondement de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004 cité au point 1, le président de la chambre sociale de la cour d'appel de Papeete, saisi d'un litige relatif au refus de la société anonyme Air France de verser à l'un de ses salariés une somme correspondant au repos compensateur qu'il estime lui être dû du fait de vols effectués en sous-effectif, celui-ci arguant de ce que son employeur ne pouvait se prévaloir d'un accord collectif signé par des syndicats minoritaires dont il n'est pas adhérent, a transmis au Conseil d'Etat la question de savoir si les dispositions de l'article Lp. 2342-1 du code du travail de Polynésie française sont conformes au principe d'égalité entre les salariés.

5. Le principe d'égalité, dont le principe d'égalité entre les salariés est une déclinaison, ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

6. Il résulte des dispositions de l'article Lp. 2342-1 du code du travail de Polynésie française, citées au point 3, qui rendent obligatoire l'application des conventions et accords collectifs de travail pour toutes les organisations ou groupements professionnels signataires et adhérents, qu'elles n'introduisent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les salariés, qu'ils soient ou non adhérents des syndicats de salariés représentatifs signataires d'un accord collectif, y compris lorsque cet accord n'est signé que par des syndicats de salariés représentatifs minoritaires, dès lors qu'en vertu des dispositions de l'article Lp. 2333-1 du même code, citées au point 3, l'opposabilité de l'accord résulte de ce que c'est l'employeur qui, lié par les clauses de ce dernier, doit l'appliquer à tous les contrats de travail qu'il conclut avec ses salariés, sauf si les dispositions contractuelles leur sont plus favorables. Il s'ensuit que les dispositions de l'article Lp. 2342-1 du code du travail de Polynésie française ne méconnaissent pas le principe d'égalité entre les salariés.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est déclaré que les dispositions de l'article Lp. 2342-1 du code du travail de Polynésie française, telles qu'interprétées au point 6 de la présente décision, ne méconnait pas le principe d'égalité entre les salariés.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Air France, à la Polynésie française et au président de la chambre sociale de la cour d'appel de Papeete.

Copie en sera adressée à M. B... A... et à l'assemblée de la Polynésie française.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 novembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Roze Noguelou, M. Bruno Delsol, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 29 novembre 2024

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 495042
Date de la décision : 29/11/2024
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 29 nov. 2024, n° 495042
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:495042.20241129
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award