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20/12/2024 | FRANCE | N°499477

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 20 décembre 2024, 499477


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Dijon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 13 novembre 2024 par lequel le préfet de la Côte d'Or l'a expulsé du territoire français et de l'arrêté du 2 décembre 2024 par lequel il l'a placé en rétention administrative et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Côte d'Or de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler jusqu'à ce qu'il soit statu

é sur la légalité de la procédure d'expulsion. Par une ordonnance n° 2404066 d...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Dijon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 13 novembre 2024 par lequel le préfet de la Côte d'Or l'a expulsé du territoire français et de l'arrêté du 2 décembre 2024 par lequel il l'a placé en rétention administrative et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Côte d'Or de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler jusqu'à ce qu'il soit statué sur la légalité de la procédure d'expulsion. Par une ordonnance n° 2404066 du 5 décembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté prononçant son expulsion ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Côte d'Or de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler jusqu'à ce qu'il soit statué sur la légalité de son expulsion ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la juge des référés du tribunal administratif a entaché son ordonnance d'une erreur de fait ayant conduit à une erreur de droit en ce qu'elle relève qu'il a été condamné pour des faits de violence conjugale à une peine de quatre ans d'emprisonnement avec sursis probatoire de deux ans alors qu'il a été condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis lui interdisant d'entrer en contact avec son épouse pendant deux ans ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'il peut être expulsé à tout moment ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir et à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;

- ainsi que l'a relevé la commission d'expulsion dans son avis défavorable du 14 octobre 2024, l'administration n'établit pas qu'il représente une menace grave et actuelle à l'ordre public pour l'application de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la mesure d'expulsion est manifestement disproportionnée au regard du caractère isolé des faits pour lesquels il a été condamné, du travail thérapeutique qu'il a entrepris, de la reprise, en septembre 2024, de sa vie familiale avec son épouse et ses deux enfants mineurs, qui sont tous trois de nationalité française, enfin de son excellente insertion en France, où il vit depuis plus de quinze ans et jouit d'une situation professionnelle stable.

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 18 et 20 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B... et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 20 décembre 2024, à 11 heures :

- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. M. B... ;

- la représentante du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle la juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 20 décembre 2024 à 15 heures, puis à 16 heures 30 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. En vertu de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " l'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public ". Par un arrêté du 13 novembre 2024 pris sur le fondement de ces dispositions, le préfet de la Côte d'Or a prononcé l'expulsion du territoire français de M. B..., né en 1983 et de nationalité marocaine. Cette décision a été notifiée le 2 décembre 2024, avec l'arrêté ordonnant son placement en rétention administrative, à l'intéressé qui en a demandé l'annulation pour excès de pouvoir au tribunal administratif de Dijon. Par ailleurs saisie, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de ces arrêtés, la juge des référés du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande par une ordonnance du 5 décembre 2024, dont M. B... relève appel, en tant qu'elle statue sur l'exécution de son expulsion et ses conclusions à fin d'injonction, devant le juge des référés du Conseil d'Etat.

3. Il résulte de l'instruction menée en appel que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Metz a ordonné la remise en liberté de M. B..., par une ordonnance du 6 décembre 2024 confirmée par la cour d'appel de Metz le 8 décembre 2024. Par un arrêté du 8 décembre 2024, le préfet de la Côte d'Or a assigné M. B... à résidence pour une durée de six mois, en vue de l'exécution de son expulsion.

4. Eu égard à son objet et à ses effets, une décision prononçant l'expulsion d'un étranger du territoire français porte, en principe, et sauf à ce que l'administration fasse valoir des circonstances particulières, par elle-même atteinte de manière grave et immédiate à la situation de la personne qu'elle vise et crée, dès lors, une situation d'urgence justifiant que soit, le cas échéant, prononcée la suspension de l'exécution de cette décision. Il appartient au juge des référés, saisi d'une telle décision sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'apprécier si la mesure d'expulsion porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, en conciliant les exigences de la protection de la sûreté de l'Etat et de la sécurité publique avec la liberté fondamentale que constitue, en particulier, le droit de mener une vie familiale normale. La condition d'illégalité manifeste de la décision contestée, au regard de ce droit, ne peut être regardée comme remplie que dans le cas où il est justifié d'une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise.

5. Pour prendre, en application des dispositions de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 2, l'arrêté contesté prononçant l'expulsion de M. B..., lequel réside régulièrement en France depuis 2009 avec son épouse française et leurs deux enfants français, nés en 2013, et " est parfaitement inséré professionnellement et socialement, le couple étant au demeurant propriétaire de sa maison " ainsi que le relevait la commission d'expulsion dans son avis défavorable émis le 14 octobre 2024, le préfet de la Côte d'Or s'est fondé sur la condamnation de M. B..., en septembre 2022, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violence commis sur son épouse et sur son fils le 14 juillet 2022, lors d'une dispute conjugale. Cette condamnation était assortie d'une interdiction d'entrer en contact avec son épouse pendant deux ans. Or, à l'expiration d'un délai d'un an, M. B... a obtenu la mainlevée partielle de cette interdiction dans l'intérêt de ses enfants et au vu, selon les termes de la décision rendue le 19 octobre 2023, de ce " que M. B... a fourni les efforts attendus de lui pour satisfaire aux obligations de la mesure probatoire mais aussi donner du sens à sa condamnation en élaborant une réflexion sur son passage à l'acte, qu'il est capable de critiquer ". Il résulte en outre de l'instruction que le couple a repris la vie commune au domicile familial en septembre 2024 et a entrepris une thérapie de couple, en sus de l'obligation de soins à laquelle M. B... s'est pleinement conformé, " prenant une part active dans cette démarche " selon l'attestation de l'association d'accompagnement des auteurs de violences conjugales et familiales versée au dossier. Dans ces conditions, rien ne permet d'étayer le risque de récidive, seul invoqué par le ministre de l'intérieur pour caractériser l'actualité d'une menace grave pour l'ordre public fondant l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. B....

6. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction menée en première instance ni de celle qui s'est poursuivie devant le Conseil d'Etat que le préfet de la Côte d'Or se serait fondé sur d'autres éléments pour caractériser l'existence d'une menace grave pour l'ordre public justifiant l'expulsion de M. B... du territoire français. Par suite, en l'état des éléments versés à l'instruction, cette mesure d'expulsion apparaît manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'état de l'instruction, M. B... est fondé à soutenir que la mesure d'expulsion décidée à son encontre porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il est par suite fondé à demander, outre l'annulation de l'ordonnance du 5 décembre 2024 en tant qu'elle concerne cette mesure, la suspension de l'exécution de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 13 novembre 2024, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la légalité de cet arrêté.

8. Si M. B... demande en outre qu'il soit enjoint au préfet de la Côte d'Or de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler jusqu'à ce qu'il soit statué sur son recours contre l'arrêté du 13 novembre 2024, il résulte de l'instruction qu'un tel récépissé, valable jusqu'au 20 février 2025, lui a été délivré le 21 novembre 2024. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à ces conclusions. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 5 décembre 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Dijon est annulée en tant qu'elle rejette les conclusions relatives à l'exécution de l'arrêté d'expulsion de M. B....

Article 2 : L'exécution de l'arrêté du 13 novembre 2024 par lequel le préfet de la Côte d'Or a prononcé l'expulsion de M. B... du territoire français est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur la légalité de cet arrêté.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Fait à Paris, le 20 décembre 2024

Signé : Suzanne von Coester


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 499477
Date de la décision : 20/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 déc. 2024, n° 499477
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:499477.20241220
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