Vu la procédure suivante :
L'association Greenpeace France a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle la ministre de la transition écologique a refusé de lui communiquer des informations et documents concernant les exportations d'uranium issu du retraitement du combustible usé (URT) vers la Russie en 2021 et d'enjoindre à la ministre de lui communiquer ces éléments. Par un jugement n° 2209308 du 17 mai 2023, le tribunal administratif a annulé la décision attaquée, enjoint au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la ministre de la transition énergétique de réexaminer la demande de l'association Greenpeace France dans le délai d'un mois et rejeté le surplus de la demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 26 juillet et 20 octobre 2023 et les 31 juillet et 7 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Greenpeace France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint aux ministres de communiquer les éléments sollicités ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, d'enjoindre aux ministres compétents de communiquer les éléments demandés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;
- la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 décembre 2024, présentée par l'association Greenpeace France ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de l'association Greenpeace France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'association Greenpeace France a demandé à la ministre de la transition écologique de lui communiquer des informations et documents concernant les exportations d'uranium issu du retraitement du combustible usé vers la Russie en 2021. Par un jugement du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite rejetant la demande de l'association et a enjoint au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la ministre de la transition énergétique de réexaminer cette demande. L'association requérante doit être regardée comme demandant, par son pourvoi en cassation, l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas enjoint aux ministres de lui communiquer les éléments demandés.
Sur le cadre juridique :
En ce qui concerne la communication des informations relatives à l'environnement :
2. Aux termes de l'article L. 124-4 du code de l'environnement, lequel a pour objet de transposer les objectifs poursuivis par le paragraphe 2 de l'article 4 de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement : " I. - Après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, l'autorité publique peut rejeter la demande d'une information relative à l'environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : / 1° Aux intérêts mentionnés aux articles L. 311-5 à L. 311-8 du code des relations entre le public et l'administration, à l'exception de ceux visés au e et au h du 2° de l'article L. 311-5 ; (...) ". L'article L. 311-5 auquel il est ainsi renvoyé dispose : " Ne sont pas communicables : / (...) / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) / c) à la conduite de la politique extérieure de la France ; (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité publique peut, après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, rejeter la demande d'une information relative à l'environnement dont la communication porte atteinte notamment à la conduite de la politique extérieure de la France.
3. La circonstance qu'un document ou une information ne traite pas de la conduite de la politique extérieure de la France ne permet pas, à elle seule, d'écarter le risque d'atteinte aux intérêts de celle-ci. Ainsi que l'a retenu la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 7 mars 2024, Roheline Kogukond MTÜ e.a. (C-234/22), il ne ressort pas des termes du 2 de l'article 4 de la directive 2003/4, pas plus que de ceux de l'article 4, paragraphe 4, sous b), de la convention d'Aarhus, que l'application de la dérogation au droit à l'information suppose, dans tous les cas, que la divulgation d'une information environnementale soit, par elle-même, contraire à un engagement international. La mise en œuvre de cette dérogation est, en revanche, subordonnée à la mise en balance de l'intérêt public justifiant la divulgation de l'information environnementale en cause avec l'intérêt servi par le refus de la divulguer, ainsi qu'au constat qu'une telle divulgation soit susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts protégés par la même directive, le risque d'une telle atteinte devant être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique.
En ce qui concerne l'office du juge :
4. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée.
5. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. Lorsque le tribunal administratif statue en dernier ressort, le requérant est recevable à se pourvoir en cassation contre le jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge de cassation de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, qui contestent les motifs, même implicites, du jugement en ce qu'il a refusé de faire droit à la demande principale.
Sur les moyens du pourvoi :
6. Il ressort des termes du jugement attaqué que, pour prononcer l'annulation de la décision implicite de refus attaquée devant lui, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif, non contesté en cassation, tiré de ce que cette décision a été prise en méconnaissance de l'obligation d'édicter une décision écrite motivée résultant des dispositions de l'article L. 124-6 du code de l'environnement, en vertu desquelles l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et de l'administration, relatif à la communication des motifs d'une décision implicite, ne s'applique pas. Après avoir en outre relevé, en statuant sur la demande d'injonction, que la communication des informations sollicitées par l'association devait être regardée, dans les circonstances de l'espèce, et compte-tenu notamment du contexte de la guerre en Ukraine et des tensions diplomatiques, comme susceptible de porter atteinte à la politique extérieure de la France, le tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu d'enjoindre aux ministres concernés de transmettre à l'association Greenpeace France les informations sollicitées mais seulement de leur enjoindre de procéder au réexamen de la demande dans un délai d'un mois.
7. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 5, le tribunal administratif n'a pas entaché son jugement d'insuffisance de motivation en écartant implicitement les moyens de légalité interne tendant à l'annulation de la décision attaquée. Devant être ainsi regardé comme ayant écarté, implicitement mais nécessairement, le moyen tiré de ce que la " mise en balance " des intérêts, requise pour l'application de l'article L. 124-4 du code de l'environnement transposant le paragraphe 2 de l'article 4 de la directive 2003/4/CE, ne permettait pas de refuser la communication, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait à cet égard commis une erreur de droit doit être écarté.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les documents et informations dont la communication fait l'objet du litige sont relatifs à des exportations d'uranium à double usage, civil et militaire, vers la Russie en 2021, ainsi qu'à leur utilisation par le pays importateur, leur transfert, leur stockage et leur sûreté. Dès lors que la teneur et la portée de ces documents et informations se déduisaient suffisamment des termes mêmes de la demande de l'association, le moyen tiré de ce que le tribunal aurait commis une irrégularité en s'abstenant d'user de la faculté qu'il avait d'ordonner leur production sans la soumettre à un débat contradictoire ne peut qu'être écarté.
9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la communication des informations environnementales sollicitées par l'association requérante est de nature à faire apparaître si et dans quelles conditions les autorités françaises ont donné leur accord à une reprise en 2021 d'exportations d'uranium issu du retraitement du combustible usé vers la Russie. Eu égard au caractère raisonnablement prévisible et non purement hypothétique de l'atteinte que la divulgation de telles informations risque de porter à la conduite de la politique extérieure de la France, le tribunal administratif n'a pas, dans le contexte international prévalant à la date de sa décision, marqué par l'invasion de l'Ukraine par la Russie et l'ensemble de ses conséquences, inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que la communication des informations demandées pouvait être légalement refusée, au terme de la mise en balance de l'intérêt public qui pourrait justifier la divulgation de ces informations avec l'intérêt servi par le refus de les divulguer, eu égard à la gravité de l'atteinte susceptible d'être portée, à cette date et dans ce contexte, aux intérêts liés à la conduite de la politique extérieure de la France. Par suite, l'association Greenpeace n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait fait une inexacte application des dispositions du I de l'article L. 124-4 du code de l'environnement.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'association Greenpeace France est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Greenpeace France, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.