Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 8 juin 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de l'indemnité de résidence à l'étranger perçue dans le cadre de son affectation en Norvège entre 2015 et 2018, pour un montant de 179 342,75 euros assorti des intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2019, et, d'autre part, d'annuler la décision du 29 juin 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande tendant à la revalorisation de l'indemnité de résidence à l'étranger dans le cadre de son affectation au Vietnam en 2019 et 2020 et d'enjoindre à la ministre des armées de régulariser ses droits pour un montant de 73 347,62 euros, assorti des intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 2020. Par un jugement n°s 2011775, 2014207 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes.
Par un arrêt n° 22PA04894 du 13 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. B... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 février et 13 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le décret n° 92-1483 du 31 décembre 1992 ;
- le décret n° 97-900 du 1er octobre 1997 ;
- l'arrêté du 1er octobre 1997 pris pour l'application des dispositions du décret n° 97-900 du 1er octobre 1997 fixant les modalités de calcul de la rémunération des militaires affectés à l'étranger ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de M. B... ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 décembre 2024, présentée par M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., colonel de l'armée de terre ayant exercé des fonctions à l'étranger, entre 2015 et 2018 en Norvège, puis entre 2019 et 2020 au Vietnam, a sollicité la réévaluation de l'indemnité de résidence à l'étranger qui lui a été versée durant ces deux affectations. Il a saisi le tribunal administratif de Paris de deux demandes tendant à l'annulation des décisions des 8 et 29 juin 2020 de la ministre des armées refusant de lui accorder le bénéfice d'une telle réévaluation et à ce qu'il soit enjoint à la ministre de régulariser sa situation. Il se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 décembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 octobre 2022 qui avait rejeté ses demandes.
2. Aux termes de l'article 5 du décret du 1er octobre 1997 fixant les modalités de calcul de la rémunération des militaires affectés à l'étranger : " L'attribution de l'indemnité de résidence est destinée à compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées, aux conditions d'exercice de ces fonctions et aux conditions locales d'existence. / (...) Un arrêté conjoint du ministre des affaires étrangères, du ministre chargé du budget, du ministre de la défense, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la fonction publique classe les militaires visés par le présent décret dans les groupes d'indemnités de résidence prévus à l'alinéa précédent. (...) ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 1er octobre 1997, pris en application des dispositions de ce décret, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 29 avril 2020 : " Pour l'application de l'article 5 du décret du 1er octobre 1997 susvisé, les militaires sont classés ainsi qu'il suit : /a) Les attachés de défense, attachés militaires spécialisés subordonnés à l'attaché de défense et leurs adjoints (...) sont classés conformément au tableau n° 1 annexé au présent arrêté ; /b) Les autres personnels militaires visés par le présent arrêté, à l'exception des militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées visés au paragraphe c du présent article, sont classés au tableau n° 2 annexé au présent arrêté (...) ". L'arrêté du 27 avril 2020 a ultérieurement modifié la rédaction du a) de l'article 3 de l'arrêté du 1er octobre 1997, à compter du 30 avril 2020, pour disposer que : " Les militaires affectés au sein des missions de défense, au sein des représentations permanentes de la France auprès des organisations internationales, à la présidence et au cabinet de la présidence des comités militaires de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord et de l'Union européenne, ainsi que le commandant suprême allié " transformation ", le directeur général de l'état-major de l'Union européenne, le conseiller spécial pour les programmes sous-marins australiens et les militaires relevant de la direction générale de la sécurité extérieure sont classés conformément au tableau n° 1 annexé au présent arrêté ".
3. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. S'agissant des règles régissant les fonctionnaires, le principe d'égalité n'est en principe susceptible de s'appliquer qu'entre les agents appartenant à un même corps, sauf à ce que la norme en cause ne soit, en raison de son contenu, pas limitée à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a bénéficié de l'indemnité de résidence au taux prévu pour son grade par le tableau n° 2 annexé à l'arrêté du 1er octobre 1997, qui est applicable aux emplois des personnels militaires autres que les attachés de défense et assimilés, ces derniers bénéficiant des taux plus élevés prévus pour chaque grade par le tableau n° 1 annexé au même arrêté. Pour demander l'annulation des décisions ayant refusé, pour le calcul de son indemnité de résidence, de regarder ses deux emplois successifs à l'étranger comme étant régis par le tableau n° 1, il a excipé de l'illégalité de cet arrêté en tant que ces emplois n'ouvrent pas droit au bénéfice des taux prévus par le tableau n° 1 en faisant valoir que cette différence de traitement méconnaît le principe d'égalité.
5. En jugeant qu'eu égard au niveau des responsabilités et à la nature particulière des missions exercées par les attachés de défense et leurs adjoints ainsi qu'aux caractéristiques inhérentes à celles-ci, les différences de modalités de calcul de l'indemnité de résidence applicables respectivement aux emplois de ces derniers et à celui de " concepteur emploi " au sein du centre de guerre interarmées de l'OTAN de Stavanger en Norvège, qui ne comportent pas de dimension diplomatique, qu'occupait M. B... entre 2015 et 2018, se justifiaient par les différences entre ces emplois et en écartant en conséquence l'exception d'illégalité de l'arrêté du 1er octobre 1997 pour ce qui concerne ces fonctions exercées en Norvège, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En revanche, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'emploi d'expert de haut niveau au Vietnam, qu'occupait M. B... en 2019 et 2020, relevait de la direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des affaires étrangères, était placé sous l'autorité de l'attaché de défense et comportait une dimension diplomatique. Par suite, eu égard au niveau des responsabilités et à la nature des missions exercées respectivement par les attachés de défense et leurs adjoints et par cet expert de haut niveau, ainsi qu'à l'objet de l'indemnité de résidence à l'étranger, tel que défini à l'article 5 du décret du 1er octobre 1997, l'administration n'a pu, sans créer une différence de traitement manifestement disproportionnée par rapport à la différence de situation dans laquelle se trouvent les titulaires de ces emplois, écarter la fonction d'expert de haut niveau au Vietnam du bénéfice de l'indemnité de résidence à l'étranger au titre du tableau n° 1 prévu par l'arrêté du 1er octobre 1997. Il suit de là qu'en écartant l'exception d'illégalité de l'arrêté du 1er octobre 1997 invoquée par le requérant pour ce qui concerne les fonctions exercées au Vietnam, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'il attaque, en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 29 juin 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de revalorisation de l'indemnité de résidence à l'étranger dans le cadre de son affectation au Vietnam et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre des armées de régulariser ses droits en conséquence.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 13 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du 29 juin 2020 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de revalorisation de l'indemnité de résidence à l'étranger dans le cadre de son affectation au Vietnam et à ce qu'il soit enjoint au ministre de régulariser ses droits à ce titre.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris dans la limite de la cassation ainsi prononcée.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au ministre des armées.