Vu les procédures suivantes :
La Cimade a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de lui communiquer plusieurs documents dont elle avait demandé la communication le 23 janvier 2023 et d'enjoindre à l'Office de réexaminer sa demande, dans un délai d'un mois à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par une ordonnance n° 2404357 du 26 mars 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Paris après, à son article 1er, avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la Cimade relatives à des documents communiqués en cours d'instance, a fait droit au surplus de sa demande en tant qu'elle concernait les documents de formation interne, instructions, notes, lignes directrices ou autres document s'en approchant, établis en 2022 et 2023 par l'Office et lui a enjoint de procéder au réexamen de la demande de communication de ces documents dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance.
1° Sous le n° 493303, par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 avril et 25 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de la Cimade la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 498285, par une requête, enregistrée le 7 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la même ordonnance.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à la SCP Spinosi, avocat de la Cimade ;
Considérant ce qui suit :
1. L'Office français de l'immigration et de l'intégration se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 26 mars 2024 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, d'une part, ordonné la suspension de l'exécution de la décision de refus qu'il a opposée à la demande de la Cimade, présentée le 23 janvier 2023, tendant à la communication de plusieurs documents, en tant qu'elle concerne les documents de formation interne, instructions, notes, lignes directrices ou autres document s'en approchant établis en 2022 et 2023 et, d'autre part, lui a enjoint de réexaminer la demande de la Cimade dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance. L'Office demande également qu'il soit sursis à l'exécution de cette ordonnance.
2. Le pourvoi et la requête de l'Office sont dirigés contre la même ordonnance. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur le pourvoi :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
4. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait ou non un caractère d'urgence.
5. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour estimer satisfaite la condition d'urgence, le juge des référés du tribunal administratif de Paris s'est borné à relever qu'eu égard aux buts exposés à l'article I des statuts de la Cimade, consistant à manifester une solidarité active avec les personnes opprimées et exploitées et à défendre la dignité et des droits des personnes réfugiées et migrantes, la poursuite de l'action de cette association justifiait d'obtenir en référé la communication des documents sollicités, dès lors que ces documents portaient sur des données statistiques très évolutives relatives aux demandes d'asile et que les délais dans lesquels elle parvient à en obtenir communication par l'administration sont longs. En ne caractérisant pas en quoi, notamment au regard de la poursuite de l'action de la Cimade, le refus de communication des documents restant en litige porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation ou aux intérêts que l'association entend défendre, le juge des référés du tribunal administratif a entaché son ordonnance d'erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'Office est fondé à demander l'annulation des articles 2 à 4 de l'ordonnance qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement au titre de la procédure de référé :
8. Il résulte de l'instruction que la Cimade se borne, dans ses écritures, à faire valoir que les délais aux termes desquels elle est parvenue par le passé à obtenir les documents dont elle avait sollicité la communication auprès de l'Office, à la suite de recours pour excès de pouvoir dirigés contre ses décisions de refus de communication, étaient particulièrement longs. Elle ajoute que la décision attaquée porte un préjudice grave et immédiat à l'information du public, sans justification particulière tenant aux circonstances de l'espèce, ainsi qu'une atteinte manifeste aux intérêts qu'elle entend défendre, car elle estime nécessaire de disposer des documents et données statistiques qu'elle demande pour assurer de la façon la plus précise possible la défense des personnes demandant l'asile. Ce faisant, elle ne présente pas d'éléments circonstanciés permettant de regarder la condition d'urgence comme satisfaite. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, la demande présentée par la Cimade tendant, dans la limite de la cassation, à ce que soit suspendue l'exécution de cette décision doit être rejetée.
Sur la requête aux fins de sursis à exécution :
9. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que l'ordonnance du 26 mars 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de cette ordonnance sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Cimade la somme que l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Office, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 26 mars 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est, à l'exception de son article 1er, annulée.
Article 2 : La demande présentée par la Cimade devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris, en tant qu'elle porte sur les documents restant en litige, est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête à fin de sursis à exécution présentée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration et par la Cimade au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à la Cimade.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 décembre 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 30 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq