Vu la procédure suivante :
L'association Shri Ram Chandra Mission France et l'association Institut Heartfulness ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ont refusé de leur communiquer divers documents les concernant, ainsi que concernant le mouvement " Sahaj Marg ", et d'enjoindre à ces autorités de procéder, sous astreinte, à leur communication.
Par un jugement n° 2222851 du 7 février 2024, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du président de la Muviludes en tant qu'ils ont refusé de communiquer les dossiers constitués des signalements, témoignages, interrogations de particuliers ou d'associations et des échanges institutionnels concernant les associations requérantes et le mouvement " Sahaj Marg ", mentionnés dans le rapport de l'inspection générale de la police nationale, de l'inspection générale de la gendarmerie nationale et de la Miviludes publié en 2021, ainsi que les saisines enregistrées par la Miviludes au titre des périodes 2016-2017 et 2018-2020. Il a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de communiquer ces documents après occultation des informations protégées au titre de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration.
Par un pourvoi, enregistré le 9 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande des associations Shri Ram Chandra Mission France et Institut Heartfulness.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association Shri Ram Chandra Mission France et de l'association Institut Heartfulness ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les associations Shri Ram Chandra Mission France et Institut Heartfulness, qui promeuvent la pratique du yoga selon la méthode du mouvement " Sahaj Marg ", ont fait l'objet de mentions dans divers rapports administratifs entre 2003 et 2021 au titre de la vigilance et la lutte contre les dérives sectaires. Elles ont demandé la communication des fiches d'information transmises à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), des notes et dossiers rédigés par cette mission les concernant ou concernant le mouvement " Sahaj Marg ", des saisines les concernant que la mission ou le ministère de l'intérieur ont reçues et des fiches qu'ils ont constituées à partir de ces saisines. Le ministère de l'intérieur et des outre-mer demande l'annulation des articles 1er et 2 du jugement du 7 février 2024 par lesquels le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande des associations tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des refus de communication et à l'injonction de communiquer divers documents en tant que leurs conclusions portent, d'une part, sur les dossiers constitués des signalements, témoignages, interrogations de particuliers ou d'associations et échanges institutionnels les concernant ainsi que le mouvement " Sahaj Marg " qui ont été mentionnés dans un rapport conjoint de l'inspection générale de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la Miviludes publié en 2021, et d'autre part, sur les saisines enregistrées par la Miviludes et qui ont été mentionnées dans ses rapports annuels au titre des périodes 2016-2017 et 2018-2020.
2. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (...) ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ". Enfin, aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que les dossiers et signalements relatifs aux associations Shri Ram Chandra Mission France et Institut Heartfulness et au mouvement " Sahaj Marg " sont essentiellement constitués de témoignages relatifs à des situations vécues, comportant des références à des personnes, lieux ou situations réelles, permettant une identification indirecte. D'une part, leur communication porterait atteinte à la protection de la vie privée des auteurs des signalements, témoignages et saisines détenus par la Miviludes. D'autre part, la communication de ces documents, en révélant leur souhait d'informer la Miviludes de l'existence ou d'un risque de dérive sectaire, ferait apparaître le comportement des personnes en cause dans des conditions susceptibles de leur porter préjudice.
4. En jugeant que les occultations et disjonctions à apporter en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration ne rendaient pas inintelligibles les documents sollicités, le tribunal administratif de Paris s'est mépris sur la portée et l'ampleur des occultations et disjonctions à opérer conformément à ces dispositions et, par suite, a entaché son jugement d'une inexacte qualification juridique des faits.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à demander l'annulation des articles 1er et 2 du jugement qu'il attaque.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Paris du 7 février 2024 sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, au tribunal administratif de Paris.
Article 3 : Les conclusions présentées par les associations Shri Ram Chandra Mission France et Institut Heartfulness au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à l'association Shri Ram Chandra Mission France et à l'association Institut Heartfulness.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 novembre 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 31 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
Le rapporteur :
Signé : M. Emmanuel Weicheldinger
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq