Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 décembre 2024 et 9 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Collectif Inter-Blocs " demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2024-954 du 23 octobre 2024 relatif aux conditions de réalisation en bloc opératoire des activités mentionnées à l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que le décret dont la suspension est demandée porte atteinte de manière grave et immédiate, d'une part et " par construction ", à la sécurité et à la santé des patients en permettant à des professionnels non formés d'effectuer certains actes auparavant confiés aux seuls chirurgiens et, d'autre part, à l'intérêt public de protection de la santé et aux intérêts des infirmières et infirmiers de bloc opératoire diplômés d'Etat (IBODE) en allant à l'encontre des objectifs poursuivis par le décret du 27 janvier 2015 relatif aux actes infirmiers relevant de la compétence exclusive des infirmiers de bloc opératoire en ce qu'il permet à des professionnels qui ne sont pas formés d'exercer des fonctions pour lesquelles une formation exigeante est pourtant attendue et qu'il dévalorise par conséquent la qualification et le statut des IBODE ainsi que le révèle la baisse constante depuis 2019 du nombre de candidats à la formation IBODE ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- le décret contesté est entaché d'incompétence en ce qu'il n'apparaît pas que les dispositions publiées au Journal officiel ne diffèrent pas de celles figurant dans le projet soumis au Conseil d'Etat et de celles figurant dans la version adoptée par la section sociale ;
- il a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le Haut Conseil des Professions Paramédicales (HCPP) était, depuis le 27 août 2022, irrégulièrement composé et l'était encore lorsqu'il a rendu l'avis du 13 juin 2024 relatif aux dispositions de l'article D. 4381-2 du code de la santé publique, de sorte que les professions qui y sont représentées ont été privées de la garantie qui tient dans la composition régulière de cette commission ;
- le décret contesté s'avère entaché d'une méconnaissance du principe de sécurité juridique ou, à tout le moins, d'une erreur de droit, si ce n'est d'une erreur manifeste d'appréciation, au regard du champ des mesures transitoires, en ce qu'il prévoit :
- à ses articles 1er, 6 et 7 que des infirmiers diplômés d'Etat (IDE), non titulaires du diplôme d'Etat de bloc opératoire, pourront bénéficier d'une autorisation à titre définitif pour exercer tous les actes et activités mentionnés à l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique, alors que seule une autorisation à titre provisoire devait être instituée à titre transitoire ;
- à son article 3 que le mécanisme permettant aux IDE de déposer une demande d'autorisation temporaire susceptible de se transformer en autorisation définitive, est ouvert jusqu'au 31 décembre 2031, ce qui révèle une durée totale de 16 ans anormalement longue ;
- à ses articles 2, 4 à 7 que ces dispositions soumettent la délivrance des autorisations accordées aux IDE à des conditions manifestement insuffisantes ou inappropriées pour garantir la sécurité et la santé des patients :
- en effet, d'une part, aucun infirmier non diplômé de bloc opératoire ne pouvant justifier de la réalisation légale des actes mentionnés aux 1° a) et 2° de l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique pendant ces trois dernières années, le décret en litige conduit à valider une pratique illégale, consistant à avoir eu recours antérieurement, pour pratiquer en salle d'opération, à des IDE dépourvus du diplôme requis ;
- d'autre part, en se bornant à exiger des IDE qu'ils aient été " affectés " en bloc opératoire, sans plus de précision et sans imposer aux IDE d'avoir bénéficié d'une affectation en bloc opératoire impliquant la réalisation des types d'actes mentionnés à l'article R. 4311-11- 1 du code de la santé publique, l'article 2 est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans le choix opéré par le pouvoir réglementaire des mesures transitoires ;
- enfin, les formations requises se révèlent insuffisantes ;
- les dispositions du décret dont la suspension est demandée sont entachées d'une méconnaissance du principe de sécurité juridique ou bien d'une erreur de droit, si ce n'est d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce qu'elles ont pour effet de rendre impossible l'entrée en vigueur des dispositions du décret du 27 janvier 2015 dès lors que la pérennisation d'un régime d'autorisation à destination des IDE affectés en bloc opératoire jusqu'au 31 décembre 2031 va contribuer à la dévalorisation de la qualification des IBODE et à la baisse d'attractivité de leur profession, et donc accroître le nombre d'IDE titulaire d'une autorisation au détriment de celui des IBODE ;
- le décret en litige est entaché d'une méconnaissance du principe de sécurité juridique en ce qu'il laisse subsister un ensemble de régimes transitoires renforçant l'insécurité à la fois des personnels amenés à travailler en bloc opératoire, des patients opérés, et de la réglementation en vigueur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2025, la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association " Collectif Inter-blocs " et, d'autre part, la ministre de la santé et de l'accès aux soins et le Premier ministre ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 9 janvier 2025, à 15 heures :
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association " Collectif Inter-blocs " ;
- le représentant de l'association " collectif inter-blocs " ;
- les représentants de la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 10 janvier 2025 à 16 h 30 ;
Vu le mémoire après audience, enregistré le 10 octobre 2025, présenté par la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le décret n° 2015-74 du 27 janvier 2015 ;
- le décret n° 2018-79 du 9 février 2018 ;
- le décret n° 2019-678 du 28 juin 2019 ;
- le décret n° 2021-97 du 29 janvier 2021 ;
- le décret n° 2024-954 du 23 octobre 2024 ;
- l'arrêté du 27 janvier 2015 relatif aux actes et activités et à la formation complémentaire prévus par le décret n° 2015-74 du 27 janvier 2015 relatif aux actes infirmiers relevant de la compétence exclusive des infirmiers de bloc opératoire ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. L'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique, issu du décret du 27 janvier 2015 relatif aux actes infirmiers de la compétence exclusive des infirmiers de bloc opératoire, entré en vigueur le 30 janvier 2015, a donné compétence exclusive aux infirmiers de bloc opératoire diplômés d'Etat (IBODE) pour effectuer dix actes spécifiques mentionnés, pour les trois premiers, au a) du 1° de cet article, pour les trois autres au b) du même 1° et visés, pour les quatre derniers, au 2° de cet article comme étant ceux accomplis à la demande expresse du chirurgien dans le cadre d'une fonction d'assistance à des actes d'une technicité particulière, dont la liste a été fixée par le III du référentiel annexé à l'arrêté du ministre chargé de la santé du 27 janvier 2015 visé ci-dessus. Par une décision du 7 décembre 2016, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé l'annulation partielle du décret du 27 janvier 2015 en tant qu'il ne différait pas au 31 décembre 2017 l'entrée en vigueur des dispositions du b) du 1° de l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique, correspondant aux trois actes qu'elles mentionnent d'aide à l'exposition, à l'hémostase et à l'aspiration. Ce délai d'entrée en vigueur a ensuite été repoussé à deux reprises, tout d'abord, au 1er juillet 2019 en vertu de l'article 7 du décret du 9 février 2018 portant diverses mesures d'adaptation relatives aux professions de santé, puis, au 1er janvier 2020, en vertu de la modification apportée à cet article par l'article 8 du décret du 28 juin 2019 relatif aux conditions de réalisation de certains actes professionnels en bloc opératoire par les infirmiers et portant report d'entrée en vigueur de dispositions transitoires sur les infirmiers de bloc opératoire. Le décret du 28 juin 2019 a également mis en place, pour la période allant du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025, un régime d'autorisation temporaire et définitive, destiné à permettre à des infirmiers ou infirmières diplômés d'Etat en soins généraux, exerçant déjà en bloc opératoire, d'effectuer les trois actes du b) du 1° de l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique, pour pallier le manque temporaire d'IBODE dans l'attente d'un recrutement destiné à faire face aux besoins. Le dispositif de sélection des infirmiers et infirmières autorisés à titre temporaire puis, le cas échéant, à titre définitif, mis en place par le décret du 28 juin 2019, a été aménagé par le décret du 29 janvier 2021 portant modification du précédent. Par une nouvelle décision du 30 décembre 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé ces deux décrets en tant que le régime transitoire qu'ils instituent ne comporte pas de dispositions relatives aux sept autres actes mentionnés au a) du 1° ou relevant du 2° de l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique et a enjoint au Premier ministre d'adopter dans un délai de quatre mois de nouvelles dispositions réglementaires transitoires, en vue de permettre l'accomplissement des actes relevant de la compétence exclusive des infirmiers diplômés d'Etat de bloc opératoire mentionnés à l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique par un nombre suffisant d'infirmiers diplômés d'Etat exerçant au sein des blocs opératoires et le bon fonctionnement de ceux-ci, dans des conditions qu'il lui revient de déterminer, pour assurer le respect du principe de sécurité juridique. Après que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, par une décision du 26 juin 2024, prononcé une astreinte et un nouveau délai de quatre mois pour que soit assurée l'exécution de sa décision du 30 décembre 2021, a été pris le décret du 23 octobre 2024 relatif aux conditions de réalisation en bloc opératoire des activités mentionnées à l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique. Tout en laissant, par ailleurs, subsister le régime issu de la réforme de 2019, mis en place jusqu'à fin 2025 et qui demeure limité à l'exercice des trois actes du b) du 1° de l'article R. 4311-11-1, ce décret met en place un nouveau régime d'autorisation temporaire puis définitive, valable, dans les conditions qu'il précise, jusqu'au 31 décembre 2031, pour l'ensemble des dix actes visés par l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique. Il prévoit qu'est éligible à l'autorisation, l'infirmier ou l'infirmière affecté en bloc opératoire justifiant d'au moins un an d'exercice en bloc opératoire en équivalent temps plein au cours des trois dernières années. Sur la base d'un dossier de demande d'autorisation, dont la liste des pièces à fournir est fixée par un arrêté du ministre chargé de la santé, le préfet de région délivre dans un délai d'un mois une autorisation temporaire valable un an, son silence valant, au terme de ce délai, refus implicite. L'obtention de l'autorisation définitive est subordonnée à la preuve par le demandeur, titulaire d'une autorisation temporaire, du suivi d'une formation relative à la pratique des actes exclusifs de l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique. Elle peut être demandée à tout moment, et au plus tard avant l'expiration de l'autorisation temporaire, par l'infirmier ou l'infirmière qui présente une attestation justifiant du suivi de cette formation. Après vérification de la conformité du justificatif, le préfet de région délivre, dans un délai d'un mois, une autorisation définitive, son silence valant, au terme de ce délai, rejet. Des dispositions passerelles sont par ailleurs prévues pour les infirmiers et infirmières titulaires d'une autorisation temporaire ou d'une autorisation définitive, relative aux actes du b° du 1° en vertu du décret du 28 juin 2019. L'association Collectif Inter-blocs qui entend défendre les intérêts des infirmiers et infirmières intervenant en blocs opératoires, quel que soit leur statut, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension du décret du 23 octobre 2024.
3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que l'exécution de la décision soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.
4. Pour justifier de l'urgence de la suspension demandée, l'association Collectif Inter-blocs soutient que le décret en litige porte atteinte de manière grave et immédiate, d'une part et " par construction ", à la sécurité et à la santé des patients en permettant à des professionnels non formés d'effectuer certains actes auparavant confiés aux seuls chirurgiens et, d'autre part, à l'intérêt public de protection de la santé ainsi qu'aux intérêts des infirmières et infirmiers de bloc opératoire diplômés d'Etat (IBODE), dès lors qu'il va à l'encontre des objectifs poursuivis par la réforme du 27 janvier 2015, en permettant à des professionnels qui ne sont pas formés d'exercer des fonctions pour lesquelles une formation exigeante est pourtant attendue, et en dévalorisant ainsi la qualification et le statut des IBODE ainsi que le révèlerait la baisse, constante depuis 2019, du nombre de candidats à la formation IBODE.
5. Il résulte de l'instruction qu'à la suite d'une enquête statistique menée par le ministère en 2023, dont les chiffres ne sont pas contestés, il est apparu que 23 700 IBODE sont nécessaires pour assurer un fonctionnement optimal des blocs opératoires dans les établissements de santé publics et privés et qu'il est également nécessaire de former plus de 15 000 IBODE sur 6 ans pour atteindre cet objectif, compte tenu d'une capacité actuelle de 800 places annuelles de formation dans les instituts de formation des IBODE, ce nombre de places en formation ayant par ailleurs vocation à augmenter. Il résulte encore de l'instruction, qui s'est poursuivie à l'audience, et à l'issue de celle-ci par la production d'une note complémentaire du ministère, que le nombre d'IBODE exerçant dans les blocs opératoires, au 31 décembre 2021, d'environ 7 891, est estimé, au 31 décembre 2024, à 8 796, dont 5 660 exerçant dans des établissements publics et 3 136 dans des établissements privés, et enfin qu'en 2024, parmi les infirmiers et infirmières diplômés d'Etat en soins généraux intervenant en blocs opératoires, 11 500 étaient titulaires d'une autorisation dite MT3 délivrée sur le fondement du décret du 28 juin 2019, dont un peu moins de 2 500 à titre définitif.
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 5, afin que soit garantie la sécurité juridique des actes de soins accomplis par les infirmiers et infirmières intervenant en blocs opératoires sous le contrôle du chirurgien et assurée la santé des patients en attente d'une intervention, qu'il est urgent, dans l'intérêt public, qu'un nombre suffisant de professionnels, non titulaires du diplôme d'Etat d'infirmier de bloc opératoire, soit, en vertu d'un régime transitoire, rapidement, autorisé à pratiquer l'ensemble des actes normalement réservés aux IBODE, visés à l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique, dans un premier temps, compte tenu de leur expérience antérieure, à titre temporaire, pour une durée maximum d'un an, puis, à titre définitif, après avoir justifié du suivi d'une formation complémentaire prévue à cet effet, jusqu'à ce que le recrutement des IBODE permette, dans le délai prévu par les mesures transitoires, de répondre aux besoins.
7. L'association requérante n'apporte, pour sa part, aucun élément concret révélant qu'il existerait en pratique un risque élevé pour la sécurité ou la santé des patients résultant de la délivrance d'autorisations temporaires ou définitives dans les conditions définies par le décret du 23 octobre 2024 en litige et, dès lors, que l'exécution du décret porterait, de manière suffisamment grave et immédiate, atteinte à l'intérêt public poursuivi. Elle ne justifie pas davantage, par ses allégations, de la gravité des atteintes qui seraient, selon elle, portées aux intérêts professionnels des infirmiers et infirmières en blocs opératoires qu'elle entend défendre. Par suite, elle ne justifie pas l'urgence à ce que soit prononcée la suspension du décret en litige.
8. Il s'ensuit, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition relative à l'existence de moyens sérieux, que la requête de l'association Collectif Inter-Blocs doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : La requête de l'association Collectif Inter-Blocs est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Collectif Inter-Blocs et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Fait à Paris, le 13 janvier 2025
Signé : Olivier Yeznikian