Vu la procédure suivante :
Par une requête et par un mémoire en réplique, enregistrés le 17 décembre 2024 et le 6 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la décision n° 10 du 4 novembre 2024 de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en tant qu'elle prononce à son encontre une sanction pécuniaire de 500 000 euros et une interdiction d'exercer des fonctions de gestion au sein d'une société de gestion de portefeuille pendant une durée de deux ans ou, à titre subsidiaire, de suspendre son exécution en tant qu'elle prononce à son encontre une interdiction d'exercer des fonctions de gestion au sein d'une société de gestion de portefeuille pendant une durée de deux ans ;
2°) de mettre à la charge de l'AMF la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée porte une atteinte grave et immédiate à sa situation en ce que l'interdiction d'exercer des fonctions de gestion au sein d'une société de gestion de portefeuille pendant deux ans caractérise par elle-même une situation d'urgence, en ce qu'elle le contraint à démissionner de ses fonctions de président-directeur-général de la société Entrepreneur Invest, le prive de la possibilité d'exercer l'activité de direction de sociétés de gestion de portefeuille qu'il exerce depuis 25 ans, dans des conditions qui rendent la reprise de cette activité peu probable et porte atteinte à sa réputation et celle d'Entrepreneur Invest, société dont il est le fondateur ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur de qualification juridique des faits en ce que la commission des sanctions s'est fondée sur des bases légales inapplicables pour lui imputer et imputer à Entrepreneur Invest quatre griefs, en ce qu'elle retient que la société Entrepreneur Invest exerce une activité de service d'investissement de réception et transmission d'ordres portant sur des instruments financiers (dits A...) alors qu'elle ne commercialisait pas les obligations émises par le fonds directement, mais par l'intermédiaire de son réseau de conseillers en investissement financier (CIF), et qu'elle n'a pas commercialisé de parts ou actions de fonds d'investissements alternatifs (FIA) mais exclusivement des obligations ;
- la décision est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits et d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle retient le grief tiré du non-respect par Entrepreneur Invest de son programme d'activité et de l'article L. 532-9 du code monétaire et financier en raison d'une immixtion dans l'activité de Smart Tréso Conseil, dès lors que les relations entre les deux sociétés étaient explicitement prévues par le programme d'activité qui a été strictement appliqué, exclusives de tout conseil en investissement ou recommandation émise à destination du gestionnaire du fonds commun de titrisation (FCT) en matière de sourcing ou de sélection de cédants et n'étaient pas de nature à exercer une influence décisive sur la gestion de Smart Tréso Conseil ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle retient le grief tiré de ce qu'Entrepreneur Invest aurait également méconnu son programme d'activité en ayant recours à des CIF pour commercialiser le FCT Smart Tréso et ce, notamment auprès de clients non professionnels, dès lors que, contrairement à ce que retient l'AMF, son agrément de gestionnaire de FIA ne prévoyait pas de restrictions relatives au recours à des CIF ou au type de clients visés ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle retient le grief tiré de ce qu'Entrepreneur Invest a poursuivi, d'octobre 2019 à février 2021, la commercialisation du FCT Smart Tréso alors qu'elle avait connaissance durant cette période de son acquisition des créances non éligibles de la société L2V Ascenseurs, en méconnaissance de l'article 314-3 du règlement général de l'AMF, dès lors, en premier lieu, que la société de gestion du FCT, Eurotitrisation, est en premier chef chargée de vérifier la qualité et l'éligibilité des créances, en deuxième lieu, qu'il n'avait pas d'information démontrant le caractère inéligible d'une partie des créances de cette société ce qui, au regard des informations disponibles avant le rapport d'enquête établi par le cabinet RSM et du rôle limité à la commercialisation de sa société, ne justifiait pas l'interruption de la commercialisation du FCT et, en dernier lieu, que la coexistence de ce grief avec l'appréciation de la commission de son rôle de commercialisation, pour écarter le grief n° 1.1, est incohérente ;
- les sanctions infligées par la commission des sanctions ont été fixées aux termes d'un raisonnement qui ne respecte pas le cadre méthodologique déterminé par la loi et, par conséquent, sont disproportionnées en ce que, en premier lieu, la commission aurait dû déterminer la sanction susceptible de lui être infligée en tenir compte des seuls manquements imputés à la société Entrepreneur Invest et de son implication dans ceux-ci en sa qualité de président-directeur-général, et non de son degré d'implication dans la commission des manquements commis par Smart Tréso Conseil, qui ne lui ont pas été imputés, en deuxième lieu et dès lors que la commission a considéré que le rôle d'Entrepreneur Invest était limité à la commercialisation du FCT, elle aurait dû cantonner le champ de l'interdiction d'exercice des fonctions de gestion à la seule commercialisation de FIA tiers et non aux fonctions de gestion relatives à l'activité de gestion de FIA et, en dernier lieu, elles emportent de graves conséquences pour lui et Entrepreneur Invest dès lors qu'il en est l'incarnation, que son départ pourrait dissuader des investisseurs de traiter avec la société et qu'il est peu probable qu'au terme de la sanction il puisse reprendre des fonctions similaires compte tenu des usages du secteur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2024, l'AMF conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. C... la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement délégué n° 2017/565 de la Commission du 25 avril 2016 ;
- la directive n° 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 ;
- le code de commerce ;
- le code monétaire et financier ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. C... et d'autre part, l'Autorité des marchés financiers ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 10 janvier 2025, à 14 heures 30 :
- Me Perier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. C... ;
- M. C... ;
- les représentants de M. C... ;
- Me Ohl, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de l'AMF ;
- les représentantes de l'AMF.
à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que l'exécution de la décision soit suspendue sans attendre le jugement de la requête au fond. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire, à la date à laquelle le juge des référés se prononce.
3. Par une décision n° 10 du 4 novembre 2024, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) a infligé des sanctions à un conseiller en investissements financiers, à deux sociétés de gestion et à leurs dirigeants, ainsi qu'à un établissement de crédit, pour manquement à leurs obligations professionnelles commis dans le cadre de la commercialisation et la gestion du fonds commun de titrisation Smart Tréso, et ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'AMF en fixant à cinq ans la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme. Elle a notamment prononcé à l'encontre de la société Entrepreneur Invest, société de gestion en charge de la commercialisation de ce fonds, une sanction pécuniaire de 1 000 000 euros, et à l'encontre du président directeur général de cette société, M. B... C..., une sanction pécuniaire de 500 000 euros et une interdiction d'exercer des fonctions de gestion au sein d'une société de gestion de portefeuille pendant deux ans. M. C... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision en ce qu'elle prononce ces sanctions à son encontre.
4. Pour justifier l'urgence à suspendre l'exécution de la décision contestée le requérant invoque, non les difficultés financières qui en résulteraient, mais l'atteinte grave et immédiate que l'interdiction prononcée à son encontre porte à son activité professionnelle, à sa réputation et à la situation de l'entreprise dont il est le fondateur et dans laquelle il détient toujours une participation. S'il fait valoir que, compte tenu des usages du secteur, il est peu probable qu'il puisse reprendre des fonctions de gestion au sein d'une société de gestion de portefeuille au terme de la période d'interdiction de gestion, il ne fournit aucun élément de nature à étayer cette affirmation, alors qu'il conserve les fonctions non exécutives de " senior partner " d'Entrepreneur Invest, qu'il apparaît sur le site internet de cette société en tête de la présentation de ses associés, et qu'il conserve une part du capital de celle-ci. En outre, il n'apporte aucune précision sur l'atteinte aux intérêts patrimoniaux qu'il invoque. Enfin, il n'apporte, en tout état de cause, pas d'éléments de nature à établir que la poursuite de l'exécution des sanctions contestées porterait un préjudice grave et immédiat à sa réputation.
5. Il résulte de ce qui précède que, en l'état de l'instruction, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête de M. C..., y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à sa charge, sur le fondement de ces dispositions, la somme de 3 500 euros à verser à l'AMF.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : M. C... versera à l'AMF la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... C... et à l'Autorité des marchés financiers.
Fait à Paris, le 15 janvier 2025
Signé : Jean-Yves Ollier