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27/01/2025 | FRANCE | N°494845

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 27 janvier 2025, 494845


Vu la procédure suivante :



Par une requête, enregistrée le 4 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la " Défense Collective " de Rennes, M. B... C... et M. A... D... demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 avril 2024 portant dissolution du groupement de fait " Défense Collective " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.







Vu les autres pièces du dossier ;



Vu :

- la Constitution, notamment son P...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la " Défense Collective " de Rennes, M. B... C... et M. A... D... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 3 avril 2024 portant dissolution du groupement de fait " Défense Collective " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alexandra Poirson, auditrice,

- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la " Défense Collective " de Rennes, de M. B... C... et de M. A... D... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 janvier 2025, présentée par la " Défense Collective " de Rennes, M. B... C... et M. A... D... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 janvier 2025, présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : " Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ; (...) ". Aux termes de l'article L. 212-1-1 du même code : " Pour l'application de l'article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ".

2. Eu égard à la gravité de l'atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d'interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l'ordre public.

3. Il résulte des dispositions du 1° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure qu'une dissolution ne peut être justifiée sur leur fondement que lorsqu'une association ou un groupement, à travers ses dirigeants ou un ou plusieurs de ses membres agissant en cette qualité ou directement liés à ses activités, dans les conditions fixées à l'article L. 212-1-1, incite des personnes, par propos ou par actes, explicitement ou implicitement, à se livrer à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, de nature à troubler gravement l'ordre public. Si la commission d'agissements violents par des membres de l'organisation n'entre pas par elle-même dans le champ de ces dispositions, le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu'en soit les auteurs, constitue une provocation au sens de ces mêmes dispositions. Constitue également une telle provocation le fait, pour une organisation, de s'abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d'incitations explicites à commettre des actes de violence.

4. La décision de dissolution d'une association ou d'un groupement de fait prise sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article.

Sur la légalité du décret attaqué :

5. Il ressort des pièces du dossier que la " Défense Collective " est un groupement de fait créé à Rennes en 2016, se présentant comme ayant pour objet d'apporter un soutien juridique aux personnes poursuivies pour des actions commises dans le cadre de leur activité militante contre la " répression policière et judiciaire " et de sensibiliser aux risques encourus lors des manifestations. Le décret attaqué se fonde sur ce que ce groupement provoque à des agissements violents contre les personnes et les biens lors des manifestations, qu'il développe une stratégie de professionnalisation de ses membres et soutiens en vue d'affrontements avec les forces de l'ordre et que ses provocations répétées sont suivies d'effets, le groupement et certains de ses membres étant régulièrement impliqués dans des actions violentes.

6. Il ressort des motifs du décret attaqué, ainsi que des écritures et productions versées au dossier par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l'instruction du présent recours pour excès de pouvoir, qu'ont été regardées comme imputables au groupement de fait " Défense Collective " les publications sur les réseaux sociaux du média " Rennes DTR " incitant implicitement, voire explicitement, à des agissements violents contre les biens, mais aussi contre les forces de l'ordre, au cours de manifestations organisées sur la voie publique, en particulier dans le centre-ville de Rennes. Si une note des services de renseignement mentionne que l'administrateur de la page " Facebook " de " Rennes DTR " serait l'un des principaux responsables de la " Défense collective " et si, sur différents réseaux sociaux, " Rennes DTR " relaie des contenus émanant de la " Défense collective ", ni ces éléments, ni les autres pièces du dossier, bien qu'attestant d'une proximité idéologique entre les deux structures, ne permettent de tenir pour établi que " Rennes DTR " ne constituerait qu'une simple émanation de la " Défense Collective " et que, par suite, les messages que ce média diffuse pourraient être systématiquement imputés à ce groupement. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le décret ne pouvait légalement se fonder sur les agissements imputés à " Rennes DTR " pour prononcer la dissolution du groupement de fait " Défense collective ".

7. Alors que les agissements imputés à " Rennes DTR " constituent, par leur nombre et leur gravité, les principaux motifs du décret attaqué, il ne résulte pas de l'instruction que l'auteur du décret aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur les agissements imputés en propre au groupement de fait " Défense collective ".

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que le décret du 3 avril 2024 ayant prononcé la dissolution du groupement de fait " Défense collective " est entaché d'excès de pouvoir et doit être annulé.

Sur les frais de l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 3 000 euros à verser aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le décret du 3 avril 2024 portant dissolution du groupement de fait " Défense Collective " est annulé.

Article 2 : L'Etat versera la somme globale de 3 000 euros au groupement de fait " Défense Collective ", à M. C... et à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au groupement de fait " Défense Collective ", à M. B... C..., à M. A... D... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 494845
Date de la décision : 27/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 jan. 2025, n° 494845
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alexandra Poirson
Rapporteur public ?: M. Frédéric Puigserver
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:494845.20250127
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