Vu la procédure suivante :
La société à responsabilité limitée Groupe A et A Novelis a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 9 janvier 2024 par laquelle la directrice générale de l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur a exercé le droit de priorité prévu par l'article L. 240-1 du code de l'urbanisme sur les parcelles cadastrées section BC nos 40, 41 et 557 et sur les droits indivis applicables aux parcelles cadastrées section BC nos 38 et 47 sur le territoire de la commune de Sanary-sur-Mer (Var). Par une ordonnance n° 2400792 du 9 avril 2024, le juge des référés de ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 avril, 10 mai et 20 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Groupe A et A Novelis demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de mettre à la charge de l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des transports ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 ;
- la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 ;
- l'ordonnance n° 2019-552 du 3 juin 2019 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nejma Benmalek, auditrice,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Groupe A et A Novelis et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Toulon que, par une décision du 9 janvier 2024 de sa directrice générale, l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur a exercé, par délégation de la commune de Sanary-sur-Mer, le droit de priorité prévu par l'article L. 240-1 du code de l'urbanisme en vue de l'acquisition des parcelles cadastrées section BC nos 40, 41 et 557 et des droits indivis applicables aux parcelles cadastrées section BC nos 38 et 47, propriétés de la SNCF. La société Groupe A et A Novelis, titulaire d'une promesse de vente de ces mêmes biens, se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 avril 2024 par laquelle le juge des référés de ce tribunal a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cette décision.
Sur le cadre juridique du litige :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 240-1 du code de l'urbanisme : " Il est créé en faveur des communes (...) titulaires du droit de préemption urbain un droit de priorité sur tout projet de cession d'un immeuble ou de droits sociaux donnant vocation à l'attribution en propriété ou en jouissance d'un immeuble ou d'une partie d'immeuble situé sur leur territoire et appartenant à l'Etat, à des sociétés dont il détient la majorité du capital, aux établissements publics mentionnés aux articles L. 2102-1, L. 2111-9 et L. 2141-1 du code des transports (...) en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, d'actions ou d'opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 du présent code (...). / Pour l'acquisition d'un terrain pouvant faire l'objet d'une cession dans les conditions prévues aux articles L. 3211-7 et L. 3211-13-1 du code général de la propriété des personnes publiques, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale peut également déléguer son droit de priorité à un établissement public mentionné à la section 1 du chapitre Ier et au chapitre IV du titre II du livre III du code de l'urbanisme (...) Leur organe délibérant peut déléguer l'exercice de ce droit, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Au nombre de ces établissements publics figurent les établissements publics fonciers de l'Etat, mentionnés à l'article L. 321-1 du code de l'urbanisme.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 240-2 du même code : " Les dispositions de l'article L. 240-1 ne sont pas applicables : (...) / - à l'aliénation, par l'Etat, (...) ou les établissements publics figurant sur la liste prévue à l'article L. 240-1, d'immeubles en vue de réaliser les opérations d'intérêt national mentionnées à l'article L. 132-1, y compris les opérations ayant ces effets en vertu du deuxième alinéa du I de l'article 1er de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement ; (...) ". Aux termes du I de l'article 1er de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement pour le logement : " La réalisation de logements sur des biens immeubles appartenant à l'Etat, à ses établissements publics, à des sociétés dont il détient la majorité du capital ou cédés par eux à cet effet présente un caractère d'intérêt national lorsqu'elle contribue à l'atteinte des objectifs fixés par le titre II de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, par l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation ou par le programme local de l'habitat lorsqu'il existe sur le territoire concerné ".
Sur le pourvoi :
4. En rejetant la requête de la société à responsabilité limitée Groupe A et A Novelis au motif qu'il n'était pas justifié de la qualité pour agir de son auteur alors qu'il avait relevé qu'elle était présentée par le représentant légal en exercice de cette société, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de droit. Il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Groupe A et A Novelis est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
En ce qui concerne l'urgence :
7. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
8. D'une part, la décision d'exercice du droit de priorité en litige a pour effet de priver la société Groupe A et A Novelis du bénéfice de la promesse de vente des biens que lui a consentie la SNCF, leur propriétaire. Elle justifie ainsi d'une atteinte grave et immédiate à sa situation. D'autre part, si l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur se prévaut, pour justifier de l'urgence qui s'attacherait à l'exécution de la décision en litige, des obligations légales en matière de construction de logements sociaux pesant sur la commune de Sanary-sur-Mer, dont la carence à cet égard a été prononcée par le préfet du Var par un arrêté du 20 décembre 2023, il ne résulte pas, en tout état de cause, de l'instruction que le projet de construction de logements sociaux ayant motivé l'exercice du droit de priorité puisse être mis en œuvre à brève échéance, alors par ailleurs que la société requérante s'est vu délivrer le 13 juin 2023 un permis de construire, sur les parcelles en cause, trente logements, dont quinze logements locatifs sociaux. Par suite, la condition d'urgence doit, en l'espèce, être regardée comme satisfaite.
En ce qui concerne l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée :
9. En vertu des dispositions de l'article L. 240-2 du code de l'urbanisme citées au point 3, les dispositions de l'article L. 240-1 du même code, citées au point 2, ne sont pas applicables à l'aliénation, par les établissements publics figurant sur la liste prévue à cet article, notamment ceux " mentionnés aux articles L. 2102-1, L. 2111-9 et L. 2141-1 du code des transports ", d'immeubles en vue de réaliser les opérations d'intérêt national mentionnées à l'article L. 132-1 du code de l'urbanisme.
10. Si l'ordonnance du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF et la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités ont modifié les articles L. 2102-1, L. 2111-9 et L. 2141-1 du code des transports, lesquels ne mentionnent plus désormais les établissements publics " SNCF ", " SNCF Réseau " et " SNCF Mobilités " mais, respectivement, la société nationale SNCF et les sociétés SNCF Réseau et SNCF Voyageurs qui se sont substituées à ces établissements publics à compter du 1er janvier 2020, il ne résulte pas de cette modification que le législateur, qui a laissé subsister, à l'article L. 240-2 du code de l'urbanisme, la référence aux " établissements publics " mentionnés à ces articles, aurait entendu rendre applicables les dispositions de l'article L. 240-1 du code de l'urbanisme à l'aliénation d'immeubles dans les conditions mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 240-2 du même code par la société nationale SNCF et par ses filiales, les sociétés SNCF Réseau et SNCF Voyageurs.
11. Or, il résulte par ailleurs de l'instruction que la société Groupe A et A Novelis et l'établissement public SNCF, devenu la société nationale SNCF, ont conclu, le 26 décembre 2018, une promesse de vente en vue de l'acquisition par la première de plusieurs parcelles situées sur le territoire de la commune de Sanary-sur-Mer dont la réalisation était subordonnée à l'obtention d'un permis de construire. Par un arrêté du 13 juin 2023, le maire de cette commune a délivré à la société requérante un permis de construire trente logements, dont quinze logements sociaux, sur ces parcelles. Ce projet présente un caractère d'intérêt national en application de l'article 1er de la loi du 13 juillet 2006 cité au point 3, la commune de Sanary-sur-Mer n'ayant pas atteint l'objectif global de réalisation de logements sociaux pour la période triennale 2020-2022 que lui avait fixé le préfet du Var conformément à l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation et celui-ci ayant de nouveau prononcé, le 20 décembre 2023, sa carence pour la période 2023-2025.
12. Par suite, le moyen tiré de ce que le droit de priorité n'était pas applicable à l'aliénation des parcelles en cause, vendues par la société nationale SNCF pour réaliser un programme de logements dont une partie est réalisée en logement social, est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige.
13. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ".
14. En premier lieu, en l'absence de dispositions prévoyant que, lorsqu'une commune a fait l'objet d'un arrêté de carence au regard de ses objectifs en matière de réalisation de logements sociaux, le droit de priorité des terrains affectés au logement ou destinés à être affectés à une opération de construction ou d'acquisition de logements sociaux serait exercé par le représentant de l'Etat dans le département, le moyen tiré de ce que le conseil municipal de la commune de Sanary-sur-Mer n'était pas compétent pour déléguer à l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur son droit de priorité au motif que la carence de la commune avait été prononcée par un arrêté du 20 décembre 2023 du préfet du Var n'est pas susceptible de justifier, en l'état de l'instruction, la suspension de la décision attaquée.
15. En second lieu, aux termes de l'article R. 321-10 du code de l'urbanisme : " Le directeur général, dans les limites des compétences qui lui ont été déléguées, peut, par délégation du conseil d'administration, être chargé d'exercer au nom de l'établissement public foncier de l'Etat (...) les droits de préemption dont l'établissement est titulaire ou délégataire et le droit de priorité dont l'établissement est délégataire. " Par suite, le moyen tiré de ce que le conseil d'administration de l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur ne pouvait, pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 240-1 de ce code, déléguer à sa directrice générale l'exercice du droit de priorité que dans les conditions prévues à l'article R. 240-1 du même code n'est pas susceptible de justifier, en l'état de l'instruction, la suspension de la décision attaquée.
16. Enfin, aucun des autres moyens soulevés, tirés de la tardiveté de la décision litigieuse, du détournement de pouvoir et de procédure et de la méconnaissance de l'article L. 240-1 du code de l'urbanisme au motif que le projet justifiant l'exercice du droit de priorité ne serait pas d'intérêt général, n'est susceptible de justifier, en l'état de l'instruction, la suspension de la décision attaquée.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Groupe A et A Novelis est fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision du 9 janvier 2024.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur une somme de 3 000 euros à verser à la société Groupe A et A Novelis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 9 avril 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du 9 janvier 2024 de la directrice générale de l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur est suspendue.
Article 3 : L'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur versera à la société Groupe A et A Novelis une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Groupe A et A Novelis et à l'établissement public foncier de Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Copie en sera adressée à la commune de Sanary-sur-Mer et à la société nationale SNCF.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat. M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes et Mme Nejma Benmalek, auditrice-rapporteure.
Rendu le 4 février 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Nejma Benmalek
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber