Vu la procédure suivante :
Les associations Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du préfet maritime de la Méditerranée et du préfet du Var du 24 mars 2020 portant autorisation d'occupation temporaire du domaine public maritime le long du littoral de la commune de Hyères dans la passe de Bagaud pour la création d'une zone de mouillages et d'équipements légers. Par un jugement n° 2002259 du 12 juillet 2022, ce tribunal, après avoir donné acte du désistement d'instance et d'action de l'association Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau, a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 22MA02461 du 8 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, devenue l'association Sites et Monuments, et l'association Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 février, 3 mai et 19 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Sites et Monuments et Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'établissement public du parc national de Port-Cros la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 63-1235 du 14 décembre 1963 ;
- le décret n° 2009-449 du 22 avril 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association Sites et Monuments et de l'association Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'établissement public du parc national de Port-Cros a demandé, le 18 janvier 2017, l'autorisation d'occuper temporairement le domaine public maritime en vue de la création d'une zone de mouillages et d'équipements légers dans la passe de Bagaud séparant l'île du même nom et l'île de Port-Cros, qui sont situées sur le territoire de la commune de Hyères (Var). Par un arrêté du 24 mars 2020, le préfet maritime de la Méditerranée et le préfet du Var ont accordé à cet établissement public l'autorisation qu'il sollicitait. Par un arrêt du 8 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, devenue l'association Sites et Monuments, et l'association Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau contre le jugement du 12 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon, après avoir donné acte du désistement d'instance et d'action de l'association Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau, a rejeté leur demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 24 mars 2020. Les associations Sites et Monuments et Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
2. L'article 1er du jugement du 12 juillet 2022 du tribunal administratif de Toulon a donné acte à l'association Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à la Crau de son désistement d'instance et d'action. Ce désistement est devenu définitif faute d'avoir été contesté en appel. Par suite, le pourvoi est irrecevable en tant qu'il émane de cette association.
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-1-1 du même code : " Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l'article L. 2122-1 permet à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une exploitation économique, l'autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-1-3 du même code : " L'article L. 2122-1-1 n'est pas (...) applicable lorsque l'organisation de la procédure qu'il prévoit s'avère impossible ou non justifiée. L'autorité compétente peut ainsi délivrer le titre à l'amiable, notamment dans les cas suivants : (...) / 2° Lorsque le titre est délivré à une personne publique dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l'autorité compétente ou à une personne privée sur les activités de laquelle l'autorité compétente est en mesure d'exercer un contrôle étroit ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 2122-1-4 du même code : " Lorsque la délivrance du titre mentionné à l'article L. 2122-1 intervient à la suite d'une manifestation d'intérêt spontanée, l'autorité compétente doit s'assurer au préalable par une publicité suffisante, de l'absence de toute autre manifestation d'intérêt concurrente ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que lorsque le titre est délivré à une personne publique dont la gestion est soumise à la surveillance directe de l'autorité compétente, ni la procédure prévue à l'article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, ni l'exigence de publicité prévue à l'article L. 2122-1-4 du même code ne sont applicables.
4. Aux termes de l'article L. 331-2 du code de l'environnement : " La création d'un parc national est décidée par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article L. 331-8 du même code : " L'établissement public national créé par le décret en Conseil d'État prévu à l'article L. 331-2 assure la gestion et l'aménagement du parc national. / Cet établissement est administré par un conseil d'administration composé de représentants de l'État, de représentants des collectivités territoriales intéressées et de leurs groupements, d'un représentant du personnel de cet établissement ainsi que de membres choisis pour partie pour leur compétence nationale et pour l'autre partie pour leur compétence locale dans le domaine d'activité de l'établissement. (...) Le nombre et le mode de désignation des membres du conseil sont fixés par le décret de création de l'établissement. (...) Le directeur de l'établissement public est nommé par arrêté du ministre chargé de la protection de la nature sur la base d'une liste de trois noms arrêtée par un comité de sélection paritaire présidé par le président du conseil d'administration et soumise pour avis à ce conseil. (...) ". Les articles R. 331-22, R. 331-43, R. 331-44 et R. 331-45 du même code prévoient en outre que l'établissement public national qui assure la gestion et l'aménagement du parc national est placé sous la tutelle du ministre chargé de la protection de la nature et que le commissaire du Gouvernement auprès de cet établissement peut faire opposition aux délibérations de son conseil d'administration, demander une seconde délibération et, si un désaccord persiste, transmettre le dossier au ministre chargé de la protection de la nature qui statue. Il résulte de ces dispositions que l'établissement public du parc national de Port-Cros, créé par décret du 14 décembre 1963 et délimité et réglementé par le décret du 22 avril 2009 visé ci-dessus, pris sur le fondement de ces dispositions, doit être regardé comme soumis à la surveillance directe de l'Etat au sens et pour l'application des dispositions, citées au point 3, du 2° de l'article L. 2122-1-3 du code général de la propriété des personnes publiques.
5. D'une part, pour écarter le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait été pris en méconnaissance de l'article L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques, faute d'avoir été précédé des mesures de publicité prévues par ces dispositions, la cour s'est fondée sur ce que l'autorité compétente avait pu légalement se fonder sur les dispositions du 2° de l'article L. 2122-1-3 du même code pour délivrer à l'amiable l'autorisation d'occupation du domaine public sollicitée par l'établissement public du parc national de Port-Cros, dès lors que ce dernier est placé sous la tutelle de l'Etat et soumis à sa surveillance directe. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 qu'en statuant ainsi, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
6. D'autre part, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel de Marseille aurait méconnu l'article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques en jugeant qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que l'établissement public du parc national de Port-Cros occuperait ou utiliserait le domaine public en vue d'une exploitation économique au sens de cet article est dirigé contre un motif surabondant de l'arrêt attaqué et ne peut, par suite, qu'être écarté comme inopérant.
7. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2124-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les décisions d'utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques ; elles sont à ce titre coordonnées notamment avec celles concernant les terrains avoisinants ayant vocation publique. / Ces décisions doivent être compatibles avec les objectifs environnementaux du plan d'action pour le milieu marin prévus aux articles L. 219-9 à L. 219-18 du code de l'environnement. (...) " Aux termes de l'article L. 2124-5 du même code : " Des autorisations d'occupation temporaire du domaine public peuvent être accordées à des personnes publiques ou privées pour l'aménagement, l'organisation et la gestion de zones de mouillages et d'équipement léger lorsque les travaux et équipement réalisés ne sont pas de nature à entraîner l'affectation irréversible du site. (...) ". Selon l'article R. 2124-40 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Dans les zones de mouillage et d'équipements légers, les travaux et équipements réalisés ne doivent en aucun cas entraîner l'affectation irréversible du site. En particulier, aucun ouvrage permanent n'est autorisé sur le sol de la mer en dehors des équipements d'amarrage et de mise à l'eau (...) ". Enfin, l'article R. 2124-52 du même code prévoit que : " Les dispositifs des mouillages et des équipements légers sont réalisés et disposés conformément aux conditions mentionnées dans l'autorisation (...) ".
8. D'autre part, l'article L. 121-1 du code de l'urbanisme dispose que : " Les dispositions du présent chapitre déterminent les conditions d'utilisation des espaces terrestres, maritimes et lacustres : / 1° Dans les communes littorales définies à l'article L. 321-2 du code de l'environnement ; (...) ". L'article L. 321-2 du code de l'environnement prévoit : " Sont considérées comme communes littorales, au sens du présent chapitre, les communes de métropole et des départements d'outre-mer : / 1° Riveraines des mers et océans (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 121-3 du code de l'urbanisme : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l'ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l'établissement de clôtures, l'ouverture de carrières, la recherche et l'exploitation de minerais et les installations classées pour la protection de l'environnement. " L'article L. 121-23 du même code dispose que : " Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver (...) ". Aux termes de l'article R. 121-4 du même code : " En application de l'article L. 121-23, sont préservés, dès lors qu'ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral et sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique : (...) 7° Les parties naturelles (...) des parcs nationaux créés en application de l'article L. 331-1 du code de l'environnement (...) ". L'article L. 121-24 du même code prévoit que : " Des aménagements légers, dont la liste limitative et les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d'Etat, peuvent être implantés dans ces espaces et milieux lorsqu'ils sont nécessaires à leur gestion, à leur mise en valeur notamment économique ou, le cas échéant, à leur ouverture au public, et qu'ils ne portent pas atteinte au caractère remarquable du site. (...) ".
9. Il résulte des dispositions citées aux points 7 et 8 que toute autorisation d'occupation temporaire du domaine public maritime accordée pour l'aménagement, l'organisation et la gestion d'une zone de mouillages et d'équipements légers doit respecter, outre les règles et conditions fixées par l'article L. 2124-5 du code général de la propriété des personnes publiques et les dispositions règlementaires prises pour son application, les impératifs mentionnés à l'article L. 2124-1 de ce code. Une telle autorisation ayant la nature d'une décision relative à l'occupation et à l'utilisation du sol au sens des dispositions de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme, elle doit en outre, lorsque la zone de mouillages et d'équipements légers est comprise dans l'un des espaces et milieux à préserver mentionnés par cet article, respecter les dispositions du code de l'urbanisme applicables à ces décisions.
10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que la zone de mouillages et d'équipements légers autorisée par l'arrêté attaqué est située, à proximité du rivage de la mer, sur le territoire de la commune de Hyères, commune littorale entrant dans le champ d'application du chapitre Ier du titre II du livre Ier de la partie législative du code de l'urbanisme et, d'autre part, qu'elle est comprise dans une partie naturelle du parc national de Port-Cros qui constitue un espace à préserver au sens de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme. Il en résulte que l'arrêté en litige constitue une décision relative à l'occupation et à l'utilisation des sols au sens et pour l'application de ces dispositions et doit, par suite, respecter les prescriptions de ce code applicables aux espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral.
11. Par suite, en jugeant le contraire, la cour a commis une erreur de droit.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen tiré de ce que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt, que l'association Sites et Monuments est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de l'établissement public du parc national de Port-Cros une somme de 3 000 euros à verser à l'association Sites et Monuments au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi est rejeté en tant qu'il émane de l'association Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau.
Article 2 : L'arrêt du 8 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 3 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 4 : L'Etat et l'établissement public du parc national de Port-Cros verseront solidairement à l'association Sites et Monuments une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée aux associations Sites et Monuments et Les ami(e)s de la Moutonne pour le cadre de vie à La Crau, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à l'établissement public du parc national de Port-Cros.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Alexandre Lapierre, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 5 février 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Alexandre Lapierre
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle