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10/02/2025 | FRANCE | N°483376

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 10 février 2025, 483376


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire de production, enregistrés les 16 août 2023 et 5 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association des recycleurs indépendants demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a rejeté sa demande d'abrogation, en date du 12 avril 2023, du décret n° 2021-1941 du 31 décembre 2021 relatif à la responsabilité élargie des

producteurs pour les produits et les matériaux de construction du secteur du bâtiment, ain...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire de production, enregistrés les 16 août 2023 et 5 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association des recycleurs indépendants demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a rejeté sa demande d'abrogation, en date du 12 avril 2023, du décret n° 2021-1941 du 31 décembre 2021 relatif à la responsabilité élargie des producteurs pour les produits et les matériaux de construction du secteur du bâtiment, ainsi que de l'arrêté du 10 juin 2022 portant cahier des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment ;

2°) à titre principal, d'abroger ce décret du 31 décembre 2021 et cet arrêté du 10 juin 2022 ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires d'abroger ce décret et cet arrêté, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 400 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Leïla Derouich, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu du I de l'article L. 541-10 du code de l'environnement, il peut être fait obligation à toute personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits générateurs de déchets ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication, dite producteur, de pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent. Les producteurs s'acquittent de leur obligation en mettant en place collectivement des éco-organismes agréés dont ils assurent la gouvernance et auxquels ils transfèrent leur obligation et versent en contrepartie une contribution financière. Conformément au II du même article L. 541-10, les éco-organismes sont agréés pour une durée maximale de six ans s'ils établissent qu'ils disposent des capacités techniques, de la gouvernance et des moyens financiers et organisationnels pour répondre aux exigences d'un cahier des charges fixé par arrêté du ministre chargé de l'environnement. Ce cahier des charges précise les objectifs et modalités de mise en œuvre des obligations en matière de responsabilité élargie du producteur.

2. Aux termes de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant de l'article 62 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire : " Relèvent du principe de responsabilité élargie du producteur en application du premier alinéa du I de l'article L. 541-10 : / (...) 4° Les produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment destinés aux ménages ou aux professionnels, à compter du 1er janvier 2022, afin que les déchets de construction ou de démolition qui en sont issus soient repris sans frais lorsqu'ils font l'objet d'une collecte séparée et afin qu'une traçabilité de ces déchets soit assurée. Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent 4° (...) ". En vertu de l'article L. 541-10-23 du même code, issu de l'article 72 de la loi du 10 février 2020 : " I.- Les éco-organismes agréés en application du 4° de l'article L. 541-10-1 couvrent notamment les coûts supportés par toute personne assurant la reprise des déchets de construction et de démolition faisant l'objet d'une collecte séparée. En outre, ils pourvoient à cette reprise lorsque cela est nécessaire afin d'assurer le maillage territorial prévu au II du présent article. / Les contributions financières versées par le producteur à l'éco-organisme couvrent notamment les coûts liés au ramassage et au traitement des déchets de construction et de démolition mentionnés au 4° de l'article L. 541-10-1 qui sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre, y compris lorsque les déchets concernés ont été abandonnés antérieurement à la date d'entrée en vigueur des obligations des producteurs (...) ".

3. L'Association des recycleurs indépendants demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2021-1941 du 31 décembre 2021 relatif à la responsabilité élargie des producteurs pour les produits et les matériaux de construction du secteur du bâtiment, ainsi que l'arrêté ministériel du 10 juin 2022 portant cahier des charges des éco-organismes, des systèmes individuels et des organismes coordonnateurs de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, ces deux actes ayant été pris pour l'application des articles L. 541-10-1 et L. 541-10-23 du code de l'environnement.

4. En premier lieu, l'article R. 541-290-8 du code de l'environnement, issu du décret attaqué, impose à l'éco-organisme d'établir un contrat type précisant les modalités de la couverture des coûts supportés par " toute personne " assurant la reprise des déchets du bâtiment, y compris les coûts afférents aux opérations de collecte. Le cahier des charges annexé à l'arrêté du 10 juin 2022 attaqué prévoit, quant à lui, à son paragraphe 1, que l'éco-organisme couvre les coûts de la collecte séparée et du traitement des déchets en apportant des soutiens financiers à " toute personne " qui assure la reprise de ces déchets. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret et l'arrêté attaqués porteraient atteinte au principe d'égalité et à la libre concurrence, faute de permettre à l'ensemble des opérateurs de conclure le contrat type précité, doit être écarté.

5. En deuxième lieu, en vertu du II de l'article L. 541-10-6 du code de l'environnement : " L'éco-organisme est tenu de passer les marchés relevant de son activité agréée selon des procédures d'appel d'offres non discriminatoires et des critères d'attribution transparents, en recherchant des modalités d'allotissement suscitant la plus large concurrence. Dès qu'il a fait son choix, l'éco-organisme rend publique, par tout moyen approprié, la liste des candidats retenus et la communique aux candidats dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue (...) ". En prévoyant, à l'article R. 541-290-7 du code de l'environnement, que lorsqu'il pourvoit à la gestion des déchets, l'éco-organisme passe des marchés " dans les conditions prévues aux I et II de l'article L. 541-10-6 ", le décret attaqué se borne à tirer les conséquences des dispositions de cet article. Par suite, l'association requérante ne saurait soutenir qu'il porte, par lui-même, atteinte à la liberté d'entreprendre au motif que ses adhérents ne seraient plus assurés de pouvoir exercer leur activité du fait de la sélection opérée par une procédure d'appel d'offres. Elle ne peut davantage utilement soutenir que les arrêtés portant agrément des éco-organismes, qui ne constituent pas les actes attaqués dans le cadre du présent litige, portent atteinte à la liberté d'entreprendre des opérateurs de collecte et de gestion des déchets.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 541-10-2 du code de l'environnement : " Les contributions financières versées par le producteur à l'éco-organisme couvrent les coûts de prévention, de la collecte, du transport et du traitement des déchets, y compris les coûts de ramassage et de traitement des déchets abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre, lorsque le cahier des charges mentionné à l'article L. 541-10 le prévoit (...) ". En prévoyant que " Les montants des soutiens financiers prévus par le contrat type sont déterminés sur la base des coûts de référence qui sont supportés par l'éco-organisme pour les opérations de gestion des déchets comparables auxquelles il pourvoit " et que " Lorsque l'éco-organisme ne dispose pas de ces coûts de référence en raison du déploiement progressif de son activité, l'éco-organisme justifie des montants des soutiens financiers qu'il propose de sorte à ce qu'ils correspondent à des coûts présentant un bon rapport coût-efficacité ", le IV de l'article R. 541-290-8 du code de l'environnement, issu du décret attaqué, qui se borne à faire application des dispositions des articles L. 541-10-2 et L. 541-10-23 du même code, n'a ni pour objet ni pour effet de fixer un prix minimum pour chaque prestation de service. Ainsi, le moyen tiré de ce que le décret et l'arrêté attaqués porteraient, pour ce motif, atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ne peut qu'être écarté.

7. En quatrième lieu, l'exigence de passer un contrat afin de bénéficier des soutiens financiers d'un éco-organisme agréé prévu par le II de l'article L. 541-10 du code de l'environnement découle de l'économie générale du dispositif de responsabilité élargie du producteur et a été traduite, s'agissant de la filière ici en cause, aux articles R. 543-288 à R. 543-290-12 issus du décret attaqué. Par suite, la requérante ne saurait utilement soutenir que les dispositions du décret qu'elle attaque portent, par elles-mêmes, atteinte à la liberté contractuelle consacrée aux articles 1102 et 1171 du code civil, au motif qu'elles imposent aux opérateurs de gestion et de traitement des déchets de passer des contrats dont elles ne peuvent négocier les termes avec les éco-organismes agréés.

8. En cinquième lieu, en vertu de l'article R. 543-290-8 du code de l'environnement, issu du décret attaqué, les modalités de couverture des coûts sont précisées par le contrat type " dans les conditions prévues " à l'article R. 541-104 qui impose de prévoir " le montant et les modalités de versement des soutiens financiers ". En outre, il ressort de l'article R. 541-86 du même code que parmi les pièces du dossier d'agrément de l'éco-organisme, figurent " les contributions financières projetées en application de l'article L. 541-10-2 et leurs perspectives d'évolution pendant la durée de l'agrément " ainsi que " les projets de contrats types ". Par suite, le moyen tiré de ce que le barème de rémunération appliqué par les éco-organismes ne serait ni accessible, ni transparent doit être écarté.

9. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 541-86 du code de l'environnement : " Tout éco-organisme qui sollicite un agrément en application du II de l'article L. 541-10 adresse à l'autorité administrative un dossier de demande qui comprend notamment : / b) Les principes des procédures de passation des marchés de prévention et de gestion des déchets prévues à l'article L. 541-10-6 (...) ". L'article R. 541-109 du même code impose, en outre, à chaque éco-organisme de mettre " en œuvre des procédures permettant de s'assurer que les tiers qui gèrent pour son compte des déchets dont il est considéré comme détenteur en application du V de l'article L. 541-10 respectent les prescriptions législatives et réglementaires relatives à la gestion de ces déchets. Il met en place un dispositif d'évaluation de ces procédures, en adoptant s'il y a lieu les mesures correctives nécessaires ". Enfin, il ressort du paragraphe 3.3 du cahier des charges annexé à l'arrêté du 10 juin 2022 attaqué que : " Les contrats types prévus en application de l'article R. 543-290-8 précisent les clauses de respect des prescriptions législatives et réglementaires relatives à la gestion des déchets (...) et en particulier celles relatives à la gestion des déchets dangereux, ainsi que les modalités de contrôle par l'éco-organisme de la conformité de la gestion de ces déchets jusqu'à leur traitement final, incluant tous les opérateurs de gestion auxquels sont remis les déchets (...) ". Il en résulte que les procédures d'appel d'offres et le contrat type prévus par les actes attaqués garantissent que la collecte, le recyclage ou le traitement des déchets seront assurés par des opérateurs justifiant d'une compétence et d'installations conformes à la réglementation applicable en matière de déchets. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret et l'arrêté attaqués, faut de prévoir de telles garanties, porteraient une atteinte grave et disproportionnée au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'Association des recycleurs indépendants n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 31 décembre 2021 et de l'arrêté du 10 juin 2022 ainsi que de la décision par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a refusé d'abroger ces deux actes. Par suite, ses conclusions à fins d'injonction doivent également être rejetées. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Association des recycleurs indépendants est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association des recycleurs indépendants, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 janvier 2025 où siégeaient : M. Stéphane Hoynck, assesseur, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Leïla Derouich, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 10 février 2025.

Le président :

Signé : M. Stéphane Hoynck

La rapporteure :

Signé : Mme Leïla Derouich

La secrétaire :

Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 483376
Date de la décision : 10/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2025, n° 483376
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Leïla Derouich
Rapporteur public ?: Mme Maïlys Lange

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:483376.20250210
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