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11/02/2025 | FRANCE | N°497777

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 11 février 2025, 497777


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre et 10 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir les délibérations n°s 2024-177 du 25 juin 2024 et 2024-190 du 9 juillet 2024 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique relatives à son projet de mobilité professionnelle visant à être recrutée par la société France Télévisions ;



2°) d'enjoindre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de formuler un avis de co...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 septembre et 10 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les délibérations n°s 2024-177 du 25 juin 2024 et 2024-190 du 9 juillet 2024 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique relatives à son projet de mobilité professionnelle visant à être recrutée par la société France Télévisions ;

2°) d'enjoindre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de formuler un avis de compatibilité sur son projet de mobilité professionnelle, le cas échéant avec réserve, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;

3°) de mettre à la charge de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code pénal ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- le décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 ;

- le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Goyet, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 23 janvier 2025, présentée par Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., professeure agrégée affectée au rectorat de l'académie de Paris, a notamment exercé, du 30 mai 2022 au 20 juillet 2023, les fonctions de conseillère au sein du cabinet du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Elle a informé celui-ci de son projet de mobilité professionnelle tendant à être recrutée par la société France Télévisions pour y exercer les fonctions de directrice de la stratégie et du développement de l'éducation aux médias et à l'information. Le ministre a saisi pour avis, sur le fondement de l'article L. 124-5 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de ce projet. Par une délibération du 25 juin 2024, la Haute Autorité a émis un avis d'incompatibilité entre les fonctions envisagées par Mme B... et la fonction qu'elle avait exercée précédemment au sein du cabinet du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette délibération ainsi que de celle du 9 juillet 2024 rejetant son recours gracieux.

2. Aux termes de l'article L. 124-4 du code général de la fonction publique : " L'agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, saisit à titre préalable l'autorité hiérarchique dont il relève ou a relevé dans son dernier emploi afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité ". Aux termes de l'article L. 124-5 de ce même code : " Lorsque la demande prévue au premier alinéa de l'article L. 124-4 émane d'un agent public occupant ou ayant occupé au cours des trois dernières années un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, l'autorité hiérarchique soumet cette demande à l'avis préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ". Aux termes de l'article L. 124-10 de ce même code : " La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique émet un avis : / (...) 2° Sur le projet d'activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, en application des articles L. 124-4 et L. 124-5 ". Enfin, en application de l'article 1er du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique, ces dispositions sont applicables aux agents publics ayant exercé des fonctions de membre de cabinet ministériel.

3. Aux termes de l'article L. 124-12 du code général de la fonction publique : " Dans l'exercice de ses attributions mentionnées à l'article L. 124-10, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique examine si l'activité exercée par l'agent public risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné aux articles L. 121-1 et L. 121-2 ou de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ".

4. L'article 432-13 du code pénal dispose que : " Est puni de trois ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que (...) fonctionnaire, militaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions. / (...) / Pour l'application des deux premiers alinéas, est assimilée à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément aux règles du droit privé. / (...) ".

5. Lorsqu'elle exerce l'attribution prévue à l'article L. 124-10 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité examine, aux termes de l'article L. 124-12 de ce même code, si l'activité envisagée par le fonctionnaire présente un risque pénal, c'est-à-dire risque " de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal ". Pour apprécier ce risque, il appartient à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, non d'examiner si les éléments constitutifs de ces infractions sont effectivement réunis, mais d'apprécier le risque qu'ils puissent l'être et de se prononcer de telle sorte qu'il soit évité à l'intéressé comme à l'administration d'être mis en cause.

6. Pour adopter les délibérations attaquées, la Haute Autorité s'est fondée sur ce que Mme B... a, dans le cadre de ses fonctions de conseillère au sein du cabinet du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, formulé un avis sur la convention-cadre de partenariat sur l'éducation aux médias et à l'information signée le 12 avril 2023 entre ce ministre, la société France Télévisions et l'établissement public de création et d'accompagnement pédagogiques " Réseau Canopé " et qu'elle avait ainsi émis un avis sur un contrat de toute nature avec une entreprise publique exerçant dans le secteur concurrentiel au sens des dispositions citées au point 4 de l'article 432-13 du code pénal.

7. Il ressort des pièces du dossier que la convention-cadre du 12 avril 2023 recense notamment les actions relatives à l'éducation aux médias mises en œuvre par France Télévisions au titre de ses missions de service public résultant des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et du décret du 23 juin 2009 fixant le cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions et auxquelles le ministère de l'éducation nationale pourrait coopérer. Cette convention se contente de faire état d'intentions, ne comporte pas d'engagement précis ni de contreparties financières ou d'avantages assimilables au profit d'un de ses signataires et est dépourvue en elle-même de toute portée juridique.

8. Dans ces conditions, en estimant que Mme B... se trouvait exposée au risque de commettre le délit de prise illégale d'intérêt défini par l'article 432-13 du code pénal du seul fait de son avis sur cette convention, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a commis une erreur d'appréciation.

9. Si, pour fonder légalement la décision attaquée, la Haute Autorité invoque dans son mémoire en défense un autre motif, tiré du fait que Mme B..., en formulant un avis sur la convention-cadre du 12 avril 2023, a émis un avis sur une décision relative à une opération réalisée par une entreprise privée au sens de l'article 432-13 du code pénal et se trouve ainsi exposée au risque de commettre le délit de prise illégale d'intérêt défini par cet article, il n'y a pas lieu, en tout état de cause, de substituer ce motif à celui initialement retenu dès lors qu'il n'est pas davantage fondé que celui-ci pour les mêmes raisons que celles exposées au point 7.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à demander l'annulation des délibérations qu'elle attaque. L'exécution de la présente décision implique que la Haute Autorité réexamine la compatibilité entre le projet de mobilité professionnelle de la requérante et ses anciennes fonctions dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La délibération n° 2024-177 du 25 juin 2024 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, ainsi que la délibération n° 2024-190 du 9 juillet 2024 rejetant le recours gracieux contre cette délibération, sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de réexaminer la compatibilité entre le projet de mobilité professionnelle de Mme B... et ses anciennes fonctions dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : La Haute Autorité pour la transparence de vie publique versera à Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Copie en sera adressée au ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 497777
Date de la décision : 11/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 fév. 2025, n° 497777
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Goyet
Rapporteur public ?: M. Marc Pichon de Vendeuil

Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:497777.20250211
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