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18/02/2025 | FRANCE | N°465426

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 18 février 2025, 465426


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juillet 2022 et 13 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des IGP viticoles des Bouches-du-Rhône, M. D... F..., Mme A... E..., M. B... C... et le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de Valériole demandent au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 mai 2022 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relatif à l'appellation d'origine contr

ôlée " Sable de Camargue " ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er juillet 2022 et 13 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des IGP viticoles des Bouches-du-Rhône, M. D... F..., Mme A... E..., M. B... C... et le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de Valériole demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 mai 2022 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Sable de Camargue " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement délégué (UE) n° 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 2019/34 de la Commission du 17 octobre 2018 ;

- le code de la consommation ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan Sarano et Goulet, avocat du Syndicat des IGP viticoles des Bouches-du-Rhône, de M. D... F..., de Mme A... E..., de M. B... C... et du groupement agricole d'exploitation en commun de Valériole et au cabinet François Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité et du Syndicat des vins de sable de Camargue ;

Considérant ce qui suit :

1. L'arrêté du 6 mai 2022 relatif à l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Sable de Camargue " a homologué le cahier des charges de cette appellation et abrogé l'arrêté du 26 octobre 2011 homologuant le cahier des charges de l'indication géographique protégée (IGP) du même nom. Le Syndicat des IGP viticoles des Bouches-du-Rhône, M. F..., Mme E..., M. C... et le GAEC de Valériole demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, conformément aux dispositions du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, les trois signataires de l'arrêté attaqué, régulièrement nommés par des textes publiés au Journal officiel de la République française, avaient de ce fait qualité pour signer, au nom de leur ministre respectif, l'arrêté litigieux. Le moyen tiré de l'incompétence des signataires de l'acte attaqué doit donc être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 96, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " Toute demande de protection pour une appellation d'origine ou une indication géographique de vin, émanant de l'Union, fait l'objet d'une procédure préliminaire au niveau national ". Selon ce même article, si l'Etat-membre estime, à l'issue de cette procédure nationale d'opposition, que les conditions fixées par le règlement sont remplies, il transmet la demande de protection à la Commission européenne, laquelle l'examine et, après une procédure d'opposition à l'échelle européenne, l'approuve ou la rejette, dans les conditions définies aux articles 97 à 99 du même règlement. Aux termes de l'article 105 de ce règlement, qui fixe la procédure applicable en cas de modification du cahier des charges d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, dans sa version issue du règlement (UE) n° 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021, applicable aux demandes transmises à la Commission à compter du 7 décembre 2021 : " 2. Les modifications apportées à un cahier des charges sont classées en deux catégories selon leur importance : les modifications à l'échelle de l'Union, qui nécessitent une procédure d'opposition au niveau de l'Union, et les modifications standard, qui doivent être traitées au niveau des États membres ou au niveau des pays tiers./ Aux fins du présent règlement, une " modification à l'échelle de l'Union " est une modification apportée au cahier des charges qui : / a) inclut un changement de la dénomination de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée ; b) consiste en un changement de catégorie de produits de la vigne visée à l'annexe VII, partie II, ou en sa suppression ou son ajout ; / c) risque d'annihiler le lien visé à l'article 93, paragraphe 1, point a) i), en ce qui concerne les appellations d'origine protégées, ou le lien visé à l'article 93, paragraphe 1, point b) i), en ce qui concerne les indications géographiques protégées ; / d) entraîne de nouvelles restrictions en ce qui concerne la commercialisation du produit. / (...) 3. Les modifications à l'échelle de l'Union sont approuvées par la Commission. La procédure d'approbation suit la procédure établie à l'article 94 et aux articles 96 à 99, mutatis mutandis ". Aux termes de l'article 106 du règlement du 17 décembre 2013, dans sa version également issue du règlement du 2 décembre 2021 : " La Commission peut adopter, de sa propre initiative ou sur demande dûment motivée d'un État membre, d'un pays tiers ou d'une personne physique ou morale ayant un intérêt légitime, des actes d'exécution visant à retirer la protection accordée à une appellation d'origine ou à une indication géographique dans l'une ou plusieurs des circonstances suivantes: (...) c) lorsqu'un demandeur remplissant les conditions établies à l'article 95 déclare qu'il ne souhaite plus maintenir la protection d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique ". Enfin, aux termes de l'article 19 du règlement délégué (UE) n° 2019/33 de la Commission du 17 octobre 2018 complétant le règlement n° 1308/2013 en ce qui concerne les demandes de protection des appellations d'origine, des indications géographiques et des mentions traditionnelles dans le secteur vitivinicole, la procédure d'opposition, les restrictions d'utilisation, les modifications du cahier des charges, l'annulation de la protection, l'étiquetage et la présentation : " Toute demande d'annulation d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée, au sens de l'article 106 du règlement (UE) n°1308/2013, suit, mutatis mutandis, la procédure établie à l'article 94 et aux articles 96 à 99 dudit règlement (...) ".

4. Il résulte des dispositions des règlements européens mentionnées au point précédent, dans leur version en vigueur à la date de la décision attaquée, que la transformation d'une indication géographique protégée en appellation d'origine protégée ne constitue pas une modification du cahier des charges de l'indication géographique existante, au sens de l'article 105 du règlement du 17 décembre 2013, mais impose de mener de façon concomitante la procédure d'annulation de la protection de l'indication géographique existante et la procédure de demande de protection de la nouvelle appellation d'origine, et que l'une comme l'autre impliquent d'organiser une procédure d'opposition au niveau national, puis un examen par la Commission européenne, assorti d'une procédure d'opposition à l'échelle européenne. Les requérants, qui ne contestent pas que cette double procédure a été suivie en l'espèce, ne sont pas fondés à soutenir que la transformation de l'IGP " Sable de Camargue " en AOP " Sable de Camargue " aurait dû suivre la procédure imposée en cas de modification du cahier des charges d'une indication géographique ou d'une appellation d'origine protégées.

5. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que la demande de protection transmise à l'INAO était accompagnée d'éléments d'analyse et de perspective économiques, et qu'ainsi l'exigence, posée au 5° de l'article R. 641-12 du code rural et de la pêche maritime, de produire à l'appui de la demande une " étude d'impact technique et économique ", a été respectée.

Sur la légalité interne :

6. Aux termes du 1 de l'article 93 du règlement du 17 décembre 2013, dans sa version applicable au litige, " on entend par : a) "appellation d'origine" une dénomination (...) qui identifie un produit (...) : / i) dont la qualité ou les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ; / ii) comme étant originaire d'un lieu déterminé, d'une région déterminée, ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays déterminé ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 431-1 du code de la consommation : " Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ".

7. Il résulte de ces dispositions que l'homologation du cahier des charges d'une appellation d'origine contrôlée, qui n'est pas une simple indication de provenance géographique, ne peut légalement intervenir que si ce cahier précise les éléments qui permettent d'attribuer à une origine géographique déterminée et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents la qualité, les caractéristiques particulières et la réputation du produit qui fait l'objet de l'appellation et s'il met en lumière de manière circonstanciée le lien géographique et l'interaction causale entre la zone géographique et la qualité, la réputation et les autres caractéristiques du produit. En outre, il découle nécessairement de ces dispositions qu'elles ne permettent de reconnaître un tel lien que pour une production existante, attestée dans l'aire géographique concernée à la date de l'homologation et depuis un temps suffisant pour établir ce lien.

8. Il ressort des pièces du dossier que l'aire géographique de l'AOC " Sable de Camargue ", qui concerne des vins tranquilles gris et gris de gris, s'étend sur quatorze communes appartenant à trois départements, les Bouches-du-Rhône, le Gard et l'Hérault. Les requérants font valoir qu'à part la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer, ces communes ne se situent pas sur le territoire de la Camargue, au sens de la zone délimitée par le delta du Rhône et correspondant au périmètre du parc naturel régional de Camargue, et que les vins produits dans ces communes ne peuvent donc être regardés comme en lien avec la Camargue, contrairement aux vins de l'IGP " Pays-des-Bouches-du-Rhône " pouvant prétendre à la mention de l'unité géographique plus petite " Terre de Camargue ", qui sont produits sur les communes d'Arles et des Saintes-Maries-de-la-Mer, situées en Camargue. Cependant, si l'aire de l'AOC " Sable de Camargue " ne recoupe qu'en partie la Camargue au sens de la zone délimitée par le delta du Rhône, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'expertise conduite par l'INAO pour l'examen de la demande de protection, que l'ensemble de l'aire de l'AOC est caractérisé par la présence d'un sol sableux, pauvre en eau, réparti sur un cordon littoral s'étendant depuis le delta du Rhône vers l'Ouest, et présent sur ce cordon sous l'effet des courants de dérive rhodaniens. Ce sol sableux, associé à un climat maritime méditerranéen original, et qui suppose la mise en œuvre de techniques de viticulture spécialisées dans la gestion de la faible ressource en eau, de la salinité et de l'érosion, se rencontre ainsi dans toute l'aire géographique de l'AOC litigieuse. Dans ces conditions, et dès lors que le lien géographique et l'interaction causale entre les facteurs naturels et humains inhérents à cette zone géographique et la qualité, la réputation et les autres caractéristiques des vins qui y sont produits ne sont pas autrement contestés par les requérants, le moyen tiré de l'erreur de droit et d'appréciation commise par l'auteur de l'arrêté attaqué quant au lien entre la dénomination de l'AOC et l'origine géographique du produit doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du Syndicat des IGP viticoles des Bouches-du-Rhône et autres doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme demandée à ce titre par l'INAO.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du Syndicat des IGP viticoles des Bouches-du-Rhône est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'INAO au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat des IGP viticoles des Bouches-du-Rhône, à M. D... F..., à Mme A... E..., à M. B... C..., au groupement agricole d'exploitation en commun de Valériole, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.

Copie en sera adressée au Syndicat des Vins Sable de Camargue.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillères d'Etat ; M. Philippe Ranquet, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.

Rendu le 18 février 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Paul Levasseur

La secrétaire :

Signé : Mme Elisabeth Ravanne


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 465426
Date de la décision : 18/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

AGRICULTURE ET FORÊTS - PRODUITS AGRICOLES - GÉNÉRALITÉS - VALORISATION DES PRODUITS AGRICOLES ET ALIMENTAIRES - TRANSFORMATION D’UNE IGP EN AOP – PROCÉDURE (RÈGLEMENTS EUROPÉENS DES 17 DÉCEMBRE 2013 ET 2 DÉCEMBRE 2021) – PROCÉDURES CONCOMITANTES D’ANNULATION DE L’IGP ET CRÉATION DE L’AOP.

03-05-01-02 Il résulte des règlements européens (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 et n° 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021, que la transformation d’une indication géographique protégée (IGP) en appellation d’origine protégée (AOP) ne constitue pas une modification du cahier des charges de l’indication géographique existante, au sens de l’article 105 du règlement du 17 décembre 2013, mais impose de mener de façon concomitante la procédure d’annulation de la protection de l’indication géographique existante et la procédure de demande de protection de la nouvelle appellation d’origine, et que l’une comme l’autre impliquent d’organiser une procédure d’opposition au niveau national, puis un examen par la Commission européenne, assorti d’une procédure d’opposition à l’échelle européenne.

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE - TRANSFORMATION D’UNE IGP EN AOP – PROCÉDURE (RÈGLEMENTS EUROPÉENS DES 17 DÉCEMBRE 2013 ET 2 DÉCEMBRE 2021) – PROCÉDURES CONCOMITANTES D’ANNULATION DE L’IGP ET CRÉATION DE L’AOP.

15-05-14 Il résulte des règlements européens (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 et n° 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021, que la transformation d’une indication géographique protégée (IGP) en appellation d’origine protégée (AOP) ne constitue pas une modification du cahier des charges de l’indication géographique existante, au sens de l’article 105 du règlement du 17 décembre 2013, mais impose de mener de façon concomitante la procédure d’annulation de la protection de l’indication géographique existante et la procédure de demande de protection de la nouvelle appellation d’origine, et que l’une comme l’autre impliquent d’organiser une procédure d’opposition au niveau national, puis un examen par la Commission européenne, assorti d’une procédure d’opposition à l’échelle européenne.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 fév. 2025, n° 465426
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul Levasseur
Rapporteur public ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Avocat(s) : CABINET FRANÇOIS PINET ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 21/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:465426.20250218
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