Vu la procédure suivante :
La SCI Josada a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'homologuer la transaction qu'elle a conclue le 28 janvier 2019 avec le préfet de la Seine-Saint-Denis pour l'indemnisation des préjudices ayant résulté pour elle d'un refus de concours de la force publique et d'enjoindre à l'Etat de lui verser à ce titre la somme de 151 038 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par un jugement n° 2116292 du 15 décembre 2023, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 février et 7 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI Josada demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pascal Trouilly, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la SCI Josada.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI Josada est propriétaire de locaux situés à Aubervilliers (93300) qui ont fait l'objet d'un bail commercial à compter du 1er juin 2008. Par une décision du 8 juillet 2016, la cour d'appel de Paris, après avoir constaté la résolution du bail commercial au profit de la société requérante, a ordonné l'expulsion des occupants de ces locaux, au besoin avec le concours de la force publique. La SCI Josada a signé le 28 janvier 2019 une proposition de transaction qui lui a été adressée par le préfet de la Seine-Saint-Denis aux fins de l'indemniser, par le versement d'une somme de 151 038 euros, des préjudices qu'elle a subis du fait de l'octroi tardif de ce concours. Par un courrier du 1er février 2021, la SCI Josada a vainement mis en demeure le préfet de la Seine-Saint-Denis de lui verser cette somme dans un délai de huit jours. La SCI Josada se pourvoit en cassation contre le jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions à fin d'homologation de cette transaction.
2. Aux termes de l'article L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Ainsi que le prévoit l'article 2044 du code civil et sous réserve qu'elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l'administration. La transaction est formalisée par un contrat écrit. ". Lorsque le juge administratif est saisi de conclusions à fin d'homologation d'une transaction qui a pour objet le règlement ou la prévention de litiges pour le jugement desquels la juridiction administrative serait compétente, il lui appartient de vérifier que les parties consentent effectivement à la transaction, que l'objet de cette transaction est licite, qu'elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu'elle ne méconnaît pas d'autres règles d'ordre public. Si une de ces conditions n'est pas remplie, la non-homologation entraîne la nullité de la transaction.
3. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le tribunal administratif, après avoir relevé que le préfet de la Seine-Saint-Denis avait communiqué à la société requérante une proposition de protocole d'accord amiable prévoyant le versement de l'indemnité sollicitée et que cette société l'avait signée puis renvoyée aux services préfectoraux, a estimé qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'autorité administrative aurait donné son consentement à ce protocole transactionnel. En ne regardant pas la transmission de la proposition de protocole à la SCI Josada comme révélant le consentement de l'administration à la souscrire, le tribunal a commis une erreur de droit. Il suit de là que la SCI Josada est fondée à demander l'annulation de son jugement.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
5. Lorsque l'administration a refusé au propriétaire d'un local le concours de la force publique pour procéder à l'expulsion d'occupants sans droits ni titre de ce local et qu'il est établi que ceux-ci ont quitté les lieux, la responsabilité de l'Etat n'est susceptible d'être engagée à l'égard du propriétaire, au titre des préjudices résultant pour lui de l'indisponibilité du local, que jusqu'à la date du départ des occupants. En cas de réinstallation ultérieure de ceux-ci ou de toute personne n'y ayant pas de titre, la responsabilité de l'Etat ne peut, le cas échéant, être engagée au titre de cette nouvelle occupation qu'en raison d'un nouveau refus de concours de la force publique répondant à une nouvelle demande du propriétaire.
6. Il ressort des pièces du dossier que la SCI Josada a sollicité une première fois le concours de la force publique pour l'expulsion des occupants des locaux en cause le 6 septembre 2017, que ce concours lui a été octroyé et mis en œuvre le 19 février 2018 et qu'à la suite d'une réintroduction des occupants dans les lieux, elle a de nouveau requis, le 22 juin 2018, le concours de la force publique, qui a été mis en œuvre le 4 septembre 2018. Il ressort des termes du protocole transactionnel conclu avec l'administration que l'indemnité de 151 038 euros correspond à la réparation des dommages subis par la SCI Josada pour la totalité de la période courant du 7 septembre 2017 au 4 septembre 2018. En prenant ainsi en compte une période courant au-delà du 19 février 2018, date à compter de laquelle l'administration n'avait ni opposé de refus à la seconde demande de concours de la force publique que lui avait adressée la SCI Josada, ni mis en œuvre ce concours dans un délai excessif à compter de cette demande, l'indemnité est ainsi constitutive d'une libéralité qui entache la transaction d'illégalité.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la réalité du consentement de l'administration, que la demande d'homologation de cette transaction doit être rejetée.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 15 décembre 2023 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SCI Josada devant le tribunal administratif de Montreuil et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SCI Josada et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 janvier 2025 où siégeaient : Mme Laurence Helmlinger, assesseure, présidant ; M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat et M. Pascal Trouilly, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 18 février 2025.
La présidente :
Signé : Mme Laurence Helmlinger
Le rapporteur :
Signé : M. Pascal Trouilly
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras